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Droit des successions et des libéralités
Chose promise, chose due
Si la donation d’une parcelle stipule une clause d’inaliénabilité, la promesse de vente ultérieure de ce bien peut être régularisée au décès du dernier des donateurs.
Par acte authentique, le propriétaire d’un terrain reçu de ses parents en avait fait donation à un couple. Or ce dernier avait, sept ans plus tôt, fait constater par un notaire une déclaration d’intention d’aliéner ce même bien au profit d’un acquéreur, étant précisé que l’entrée en jouissance avait été fixée au jour de la réitération de la vente, par acte authentique.
Se prévalant d’une promesse synallagmatique de vente qui lui aurait été consentie, l’acquéreur avait assigné alors le promettant, en sa qualité de donateur, ainsi que le couple de donataires en annulation de la donation qui fut, en cause d’appel, prononcée.
Au soutien du pourvoi qu’il forma devant la Cour de cassation pour contester cette décision d’annulation, motivée par la méconnaissance de la vente convenue à laquelle ladite donation, conclue en fraude des droits de l’acquéreur, aurait conduit, le propriétaire soutint qu’en toute hypothèse, sa promesse de vente était nulle en ce qu’elle avait été conclue en méconnaissance de la clause d’inaliénabilité stipulée par ses parents dans l’acte de donation, contenant l’interdiction expresse de vendre comme d’hypothéquer le terrain donné. Autrement dit, selon le demandeur au pourvoi, l’annulation encourue ne concernait pas, contrairement à ce qu’avait retenu la juridiction d’appel, la donation du bien qu’il avait effectuée mais la promesse de vente qu’il avait préalablement signée en violation de la clause prohibant son aliénation. Le vendeur faisait également grief à la cour d’appel d’avoir érigé l’extinction des effets de cette clause en condition suspensive de la vente, ce que seules les parties auraient été habilitées à prévoir dans la promesse, en ayant jugé qu’en dépit de la clause d’inaliénabilité, les parties restaient engagées par la promesse de vente jusqu’au jour du décès des parents du vendeur et donc de la disparition de l’obstacle juridique qui empêchait jusqu’alors la régularisation de l’acte authentique. Il soutenait enfin que l’action en nullité de la donation effectuée sur la chose d’autrui n’est ouverte qu’au donataire, en sorte que celle en l’espèce engagée par l’acquéreur devait être jugée irrecevable.
La Cour de cassation écarte l’ensemble de ces griefs. Elle constate que « la promesse synallagmatique de vente […] n’était pas assortie de conditions lui faisant encourir la caducité, que les parties n’avaient pas entendu la dénoncer, qu’aucun délai n’avait été convenu pour la régularisation de l’acte authentique et qu’au jour où [le donateur] avait consenti la donation de la parcelle […], l’obstacle juridique à sa régularisation par acte authentique que constituaient l’interdiction de vendre et d’hypothéquer et le droit de retour avait disparu du fait du décès antérieur du dernier des parents ». En outre, la Haute cour relève que les juges du fond ne s’étaient pas fondés « sur la donation de la chose d’autrui », mais sur le fait que la donation avait été « passée en méconnaissance de la vente convenue et en fraude des droits de l’acquéreur ». Elle juge en conséquence que la cour d’appel en a exactement déduit que les parties demeuraient engagées par cette promesse au jour de la donation et que celle-ci, conclue en violation de la vente promise, devait être annulée.
Une donation peut stipuler une clause d’inaliénabilité si elle est temporaire et justifiée par un intérêt légitime et sérieux (C. civ., art. 900-1), tel un droit de retour conventionnel (Civ. 1re, 15 juin 1994, n° 92-12.139 ) qui justifiait, en l’espèce, l’inaliénabilité stipulée par les parents du vendeur. Une telle stipulation ne remet pas en cause la qualification de donation de l’acte qui la contient : la circonstance qu’un acte de disposition soit assorti d’une clause d’inaliénabilité la vie durant du donateur ne lui ôte pas la qualification de donation que lui ont donné les parties, au sens des articles 984, 900-1 et 505 du code civil (CE 17 mai 1999, n° 188870 ).
Dérogatoire au principe de la libre disposition des biens, la clause d’inaliénabilité, quel que soit le motif qui la fonde, ne peut être perpétuelle mais lorsqu’elle est stipulée pour la durée de vie du donateur, la condition liée au caractère temporaire de la clause doit être jugée satisfaite (Civ. 1re, 8 janv. 1975, n° 73-11.648 : cassation de l’arrêt qui, pour annuler la clause, s’était fondé sur le fait que l’inaliénabilité devait durer jusqu’au décès de la survivante des donatrices).
La vente consentie au mépris d’une clause d’inaliénabilité stipulée dans une donation est nulle à moins, selon la loi, que le donataire ait été judiciairement autorisé à disposer du bien notamment parce que « l’intérêt qui avait justifié la clause a disparu » (C. civ., art. 900-1). Or, la promesse synallagmatique de vente valant vente, de même que la déclaration d’aliéner, équivalente à une telle promesse dès lors qu’elle comporte, comme celle ayant été conclue en l’espèce, les mentions relatives à la chose vendue, au prix et à l’identité de l’acquéreur (Civ. 3e, 15 déc. 2004, n° 03-15.530), l’acquéreur de la parcelle aurait dû se voir opposer la nullité de la promesse dont il se prévalait, comme portant sur un bien indisponible et sur le fait établi qu’aucune démarche n’avait été entreprise par le vendeur pour renoncer à la clause litigieuse et faire lever son interdiction d’aliéner. Mais pour protéger ses droits, la Haute cour juge que, même hors du cadre légal d’une autorisation judiciaire sollicitée par le donataire, la disparition de l’intérêt sérieux et légitime ayant justifié la clause d’inaliénabilité, qui se déduisait ici logiquement du décès du dernier des donateurs, prive cette clause d’objet. La levée de l’obstacle juridique qui empêchait jusqu’alors la réitération de la promesse par acte authentique autorisait dès lors la régularisation de la vente.
Civ. 3e, 30 janv. 2020, n° 18-25.381
Références
■ Civ. 1re, 15 juin 1994, n° 92-12.139 P: D. 1995. 342, note A. Leborgne ; ibid. 50, obs. M. Grimaldi ; RTD civ. 1995. 666, obs. J. Patarin ; ibid. 919, obs. F. Zenati
■ CE 17 mai 1999, n° 188870 : D. 1999. 167 ; RDSS 1999. 787, obs. P. Ligneau
■ Civ. 1re, 8 janv. 1975, n° 73-11.648 P
■ Civ. 3e, 15 déc. 2004, n° 03-15.530 P: D. 2005. 311 ; AJDI 2005. 399, obs. S. Prigent
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