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Droit administratif général
Circulaires impératives : une application de la jurisprudence Duvignères
Mots-clefs : Acte administratif, Circulaire, Circulaire impérative, Légalité, Compétence
Le Conseil d’État réitère par un arrêt du 7 octobre dernier sa jurisprudence Duvignères sur la distinction entre circulaires à caractère impératif et celles qui en sont dénuées ainsi que sur les conditions de la légalité des premières.
Une circulaire contenant des dispositions impératives peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir même si elle se limite à réitérer une règle déjà contenue dans une norme juridique supérieure, le cas échéant en en reprenant les termes exacts. Telle est la solution issue de la jurisprudence Duvignères (CE, Sect., 18 déc. 2002) appliquée en l’espèce à une circulaire relative à la mise en œuvre de la réforme des fonds d’assurance formation de l’artisanat dans les chambres régionales de métiers.
En l’espèce, l’assemblée permanente des chambres de métiers invoquait plusieurs moyens tirés de l’incompétence des auteurs de la circulaire attaquée. Après avoir rappelé que « si l'interprétation, par voie de circulaires ou d'instructions, que l'autorité administrative donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en œuvre, n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir, il en va autrement lorsqu'une telle instruction contient des dispositions impératives, alors même qu'elles se borneraient à réitérer une règle déjà contenue dans une norme juridique supérieure, le cas échéant en en reprenant les termes exacts ; que tel est le cas en l'espèce de la circulaire attaquée ». Par conséquent, l’assemblée permanente des chambres de métiers n’est pas fondée à demander l’annulation de la circulaire.
CE 7 octobre 2009, Assemblée permanente des chambres de métiers, n° 314747
Références
■ Circulaire
« 1. Abréviation de “lettre circulaire ”, encore appelée instruction ou note de service, la circulaire contient normalement des indications, recommandations, explications, destinées par les chefs de service, notamment les ministres, à encadrer leurs personnels dans l’organisation et le fonctionnement d’un service public. L’arrêt Notre-Dame du Kreisker, du 24 janvier 1954, distingue les circulaires interprétatives, actes non décisoires purement internes à l’Administration qui se bornent à reprendre le droit en vigueur, des circulaires réglementaires, qui, parce qu’elles modifient l’état du droit, sont assimilées à de véritables règlements. Il est à noter qu’une même circulaire peut contenir à la fois des dispositions réglementaires et interprétatives (CE A. 30 juin 2000, Assoc. Choisir la vie et a., Rec. p. 249). Le critère retenu est donc celui de l’innovation. La distinction est essentielle en ce qu’elle conditionne le régime juridique de la circulaire, son opposabilité aux administrés ainsi que la possibilité pour eux de l’invoquer. Sa principale conséquence est d’ordre contentieux : seules les circulaires réglementaires sont des actes faisant grief susceptibles d’être déférés au juge de l’excès de pouvoir. Ce raisonnement a pour effet de soustraire au contrôle de légalité les circulaires interprétatives, « instruments d’un pouvoir réglementaire d’application de fait » (J. Petit) qui peuvent être erronées ou illégales. Pour compenser cet inconvénient, le juge administratif a inversé l’ordre d’examen des questions, faisant dépendre la nature interprétative ou réglementaire de la circulaire de sa légalité : une circulaire jugée légale est de ce fait interprétative, tandis qu’une circulaire illégale s’avère réglementaire, ce qui rend le recours à son encontre recevable et entraîne son annulation (CE 15 mai 1987, Ordre des avocats à la Cour de Paris, Rec. p. 175). Ce critère de la légalité a été employé à propos de circulaires donnant des interprétations au moyen de “dispositions impératives à caractère général ”, qui peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir dans la mesure où elles méconnaissent la légalité (CE 18 juin 1993, IFOP, Rec. p. 178; CE A. 28 juin 2002, Villemain, RFDA 2002, p. 723 concl. Boissard). Mais la non-coïncidence des critères de l’innovation et de la légalité nécessitait une rationalisation, opérée par l’arrêt Mme Duvignères du 18 déc. 2002. Celui-ci subordonne le caractère d’acte faisant grief de la circulaire à son caractère impératif posant ainsi un nouveau critère quant à la recevabilité du recours pour excès de pouvoir : la circulaire interprétative “ dénuée de caractère impératif… ne saurait… faire grief “; “ en revanche, les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire… doivent être regardées comme faisant grief ”. Le juge doit désormais apprécier l’impérativité de la circulaire, condition préalable à l’examen de sa légalité : l’arrêt Duvignères rétablit par là l’ordre des facteurs. Quant au critère de l’impérativité, il apparaît comme essentiellement subjectif – contrairement au critère de la modification du droit, de nature objective. Il s’agit de déterminer si l’autorité administrative a voulu créer des droits et obligations ou imposer une interprétation, et pour ce faire de rechercher l’intention de l’auteur de la circulaire ainsi que la façon dont elle est reçue par ses destinataires. Il faut considérer comme impérative l’interprétation que son auteur entend imposer “ en vue de l’édiction de décisions ” (concl. P. Fombeur). Mais la portée objective et les effets de la circulaire sont également pris en compte pour apprécier son impérativité (CE 2 févr. 2005, Assoc. spirituelle de l’Église scientologique d’Île-de-France, Rec. 201; 8 mars 2006, Féd. des conseils de parents d’élèves des écoles publiques, Rec. 112 : caractère impératif d’une circulaire qui réglemente des mesures d’ordre intérieur).
2. La distinction des circulaires impératives et non impératives emporte les conséquences suivantes :
• Circulaire non impérative : acte que son auteur ne pourvoit d’aucune force obligatoire, qui par conséquent ne peut s’analyser comme une décision ou un acte faisant grief. Ce type de circulaire est inopposable aux administrés, qui de leur côté ne peuvent s’en prévaloir pour en réclamer l’application, ni la contester par la voie de l’excès de pouvoir ou exciper de son illégalité. Pourtant, selon l’article 9 de la loi du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’Administration et le public, “ les directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives doivent être publiées ”. Dans la pratique, seule une infime proportion des circulaires produites donne lieu effectivement à publication.
• Circulaire impérative : acte identifiable d’après son caractère prescriptif, et dont les dispositions peuvent avoir un contenu réglementaire ou interprétatif. S’inscrivant tout d’abord dans la ligne de la jurisprudence de 1954, l’arrêt Duvignères précise que les dispositions de la circulaire “ qui fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle ” (et sont alors réglementaires), sont illégales pour cause d’incompétence de leur auteur (souvent les ministres ne disposent pas d’un pouvoir réglementaire général : v. CE A. 7 juill. 1978, Synd. des avocats de France, RDP 1979. 263, concl. Théry), ou pour “ d’autres motifs ” (erreur de droit ou violation directe de la loi : Notre-Dame du Kreisker ; Association Choisir la vie et a., préc.). Il innove ensuite à propos des dispositions prescrivant une interprétation : confirmant la jurisprudence IFOP, l’arrêt Duvignères pose que la circulaire interprétative impérative est illégale, car entachée d’une violation de la loi, quand “ elle méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires ” qu’elle entend expliciter. Une seconde cause d’illégalité réside dans la réitération “ d’une règle contraire à une norme juridique supérieure ”, ce qui constitue une erreur de droit. Le Conseil d’État abandonne ainsi sa jurisprudence antérieure pour accepter de considérer une circulaire impérative se bornant à répéter une règle illégale comme un acte faisant grief, “ par souci de réalisme et d’efficacité ” (F. Donnat et D. Casas, chron. AJDA 2003 p. 487). Il n’est pas nécessaire qu’une telle circulaire comporte la moindre interprétation du texte qu’elle réitère (CE 6 mars 2006, Synd. nat. des enseignants et artistes, Rec. 107).
3. Quant à l’opposabilité et l’invocabilité des circulaires, l’arrêt Duvignères ne modifie guère l’état du droit. En dépit de la tentative opérée par l’art. 1er du décret du 28 novembre 1983 (abrogé par décret du 8 juin 2006), permettant aux administrés de se prévaloir, à l’encontre de l’Administration, des circulaires, même interprétatives, à condition qu’elles soient publiées et non contraires aux lois et règlements, le juge administratif maintient sans ambiguïté la dualité des circulaires et de leur régime. Ainsi, les circulaires interprétatives impératives, n’étant pas des règlements, ne sont pas invocables ni opposables, alors même qu’elles seraient publiées et légales (CE 19 févr. 2003, M. Daniel X). L’arrêt du 18 déc. 2002 marque cependant un rapprochement des règlements et des circulaires interprétatives impératives, en affirmant l’obligation pour l’auteur d’une telle circulaire illégale de l’abroger si la demande lui en est faite. »
Source : V. Van Lang, G. Gondouin, V. Inserguet-Brisset, Dictionnaire de droit administratif, 5e éd., Sirey, coll. « Dictionnaire », 2008.
■ Recours pour excès de pouvoir
« Recours juridictionnel formé auprès du juge administratif en vue de l’annulation d’un acte administratif unilatéral, pour cause d’illégalité. (…) »
Source : V. Van Lang, G. Gondouin, V. Inserguet-Brisset, Dictionnaire de droit administratif, 5e éd., Sirey, coll. « Dictionnaire », 2008.
■ CE, Sect., 18 déc. 2002, Duvignères, GAJA, 17e éd., n° 112, 2009.
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