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[ 24 juin 2021 ] Imprimer

Droit de la consommation

Clause abusive : diviser pour mieux régner

Une clause dont seules certaines des causes sont abusives peut être maintenue dès lors que sa divisibilité permet de supprimer les seuls éléments l’entachant d’abus et n’en affectant pas la substance.

Civ. 1re, 2 juin 2021, n° 19-22.455

La divisibilité d’une clause dont seuls certains termes sont abusifs permet d’éviter son annulation totale.

Tel est l’enseignement que nous livre la première chambre civile de la Cour de cassation dans l’arrêt rapporté. En l’espèce, par acte notarié, une banque avait consenti à un couple un prêt immobilier dont l’une des clauses figurant parmi les conditions générales stipulait que les sommes dues seraient de plein droit et immédiatement exigibles dans plusieurs cas répertoriés, dont un retard de plus de trente jours dans le paiement d’une échéance en principal, intérêts et accessoires du prêt et que formellement, le prêteur pourrait se prévaloir de cette prérogative contractuelle par un seul avertissement, par lettre simple, de leurs emprunteurs. Après que la banque leur eut délivré des commandements de payer, les emprunteurs avaient dénoncé l’abus de ladite clause constitué, parmi la liste des causes de déchéances du terme établie, par l’extériorité au champ du contrat de certaines d’entre elles, ce qui est effectivement abusif (v. en ce sens la recommandation n° 21-01 de la Commission des clauses abusives adoptée le 10 mai dernier en matière de crédit à la consommation), a fortiori en l’absence de mise en demeure préalable prévue à cet effet. 

La cour d’appel ayant refusé de réputer cette clause non-écrite, les emprunteurs avaient alors formé un pourvoi en cassation, rejeté par la première chambre civile sur le fondement du droit supranational de la consommation tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne.

Ainsi, pour confirmer l’analyse retenue par la juridiction du second degré, la Cour régulatrice rappelle tout d’abord que « La Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que les articles 6 et 7 de la directive 93/13/CEE, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une clause de déchéance du terme d’un contrat de prêt jugée abusive soit maintenue en partie, moyennant la suppression des éléments qui la rendent abusive, lorsqu’une telle suppression reviendrait à réviser le contenu de ladite clause en affectant sa substance (CJUE 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria SA, aff. C-70/17) » (pt. 5). Conformément à cette directive d’interprétation, les hauts magistrats considèrent qu’à la condition que la substance de la clause considérée demeure inchangée, « (…) peut être maintenue en partie une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes sont abusives, dès lors qu’en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendent abusive n’affecte pas sa substance » (pt. 6). Rapportant ces règles d’interprétation à l’espèce, la Cour approuve les juges du fond d’en avoir fait une exacte application : « (a)près avoir relevé que l’article 14 du contrat de prêt comportait des causes de déchéance du terme pouvant être déclarées abusives car étrangères à l’exécution de ce contrat, la cour d’appel a constaté qu’il prévoyait d’autres causes liées à l’exécution du contrat lui-même qui étaient valables » (pt. 7), pour déduire « (d)e ces constatations et énonciations, faisant ressortir la divisibilité des causes de déchéance du terme prévues à l’article 14 (…) que le caractère non écrit de certaines de ces causes de déchéance n’excluait pas la mise en œuvre de celles valablement stipulées, dès lors que la suppression des éléments qui rendaient la clause litigieuse abusive n’affectait pas sa substance » (pt. 8).

Au regard de la jurisprudence européenne expressément visée par la Cour, la solution est d’une parfaite orthodoxie. En se référant à la substance de la clause dont l’abus est dénoncé, celle-ci s’oppose en réalité à ce qu’un juge national s’auto-confère un pouvoir de révision des clauses abusives que ne lui reconnaît pas la directive originelle du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, et auquel les juges européens ont pu farouchement s’opposer :  « L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre (…) qui permet au juge national, lorsqu’il constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de compléter ledit contrat en révisant le contenu de cette clause » (CJUE 14 juin 2012, aff. C-618/10 - Comp. CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13 : le même texte doit être interprété en ce sens qu’il « ne s’oppose pas à une règle de droit national permettant au juge national de remédier à la nullité de cette clause en substituant à celle-ci une disposition de droit national à caractère supplétif »).

Le maintien d’une clause partiellement abusive n’est donc possible qu’à la condition que sa divisibilité le permette et que le juge se limite à éradiquer ceux des termes qui l’entachaient d’abus sans étendre ce pouvoir légalement fondé d’annulation partielle à un pouvoir de dénaturation et de réfaction contractuelle qui n’aurait pas cette légitimité.

Dans l’ordre interne, la solution rappelle la règle prévue par l’article L. 241-1 du Code de la consommation, faisant d’ailleurs elle-même écho à l’art. 6, § 1, de la directive de 1993 précitée : « Les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans ces clauses. Les dispositions du présent article sont d’ordre public ». Une fois amputé de la clause abusive qui l’entache, le maintien du contrat redevient possible dès lors que son application ne dépendait pas de la clause annulée. Resserrée à une seule clause dont l’abus est invoqué, la même logique trouve ici à s’appliquer, en l’absence d’indivisibilité de la clause incriminée : ainsi, en l’espèce, la clause litigieuse reste-t-elle applicable dans toutes ses causes autres que celles, jugées abusives, dont l’annulation n’en empêche pas le maintien. C’est donc à ces conditions que la clause de déchéance du terme a pu être sauvée.

Il est enfin à noter que rien ne s’oppose à ce que cette solution puisse être transposée en droit commun des contrats, à l’occasion d’une demande en annulation d’une clause abusive formée sur le fondement de l’article 1171 du Code civil.

Références :

■ Dalloz coaching : la protection contre les clauses abusives

■ CJUE 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria SA, aff. C-70/17: D. 2019. 636 ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud

■ CJUE 14 juin 2012, aff. C-618/10: D. 2012. 1607 ; ibid. 2013. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2012. 666, obs. C. Aubert de Vincelles

■ CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13: D. 2014. 1038 ; RTD eur. 2014. 715, obs. C. Aubert de Vincelles ; ibid. 724, obs. C. Aubert de Vincelles

 

Auteur :Merryl Hervieu


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