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Droit de la consommation
Clause abusive et charge de la preuve
Mots-clefs : Droit de la consommation, Clauses abusives, Qualification de l’abus, Appréciation de l’abus, Pouvoir réglementaire, Pouvoir judiciaire
La clause ayant pour objet ou pour effet d’imposer au non-professionnel ou au consommateur la charge de la preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait incomber normalement à l’autre partie au contrat, est irréfragablement présumée abusive.
La veuve de la victime d'un accident mortel de la circulation avait sollicité la garantie de l’assureur de son mari, le contrat d'assurance qu’il avait souscrit comportant une garantie des dommages matériels causés au véhicule et des dommages corporels subis par le conducteur. Après lui avoir versé une indemnité au titre des dommages matériels, l'assureur avait limité sa garantie à ces dommages en raison de l'alcoolémie de son assuré, lors de l'accident. Sa veuve l’avait assigné en garantie, ce à quoi la cour d’appel s’opposa au motif qu’en application de plusieurs articles des conditions générales du contrat d’assurance, étaient exclus de la garantie les dommages causés aux véhicules assurés et les dommages corporels lorsqu’il était établi que le conducteur s’était trouvé, lors du sinistre, en état d’ébriété, sauf à l’assuré de prouver que le sinistre n’avait pas été causé par son état. La cour ajouta, à l’appui du procès-verbal dressé après l’accident, qu’il était avéré que l’assuré conduisait sous l’empire d’un état alcoolique excessif au moment de l’accident et qu’il n’avait pas par ailleurs été démontré par sa veuve que cet état n’avait pas été à l’origine de l’accident, démonstration incombant contractuellement aux ayants droit de l’assuré et non à l’assureur, en sorte que celui-ci était fondé à opposer à la veuve de la victime l’exclusion de sa garantie.
Cette décision est cassée par la Cour de cassation : au visa de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, elle affirme que dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet d'imposer au non-professionnel ou au consommateur la charge de la preuve, qui, en vertu du droit applicable, devrait incomber normalement à l'autre partie au contrat. Elle ajoute que par un arrêt du 4 juin 2009, la CJUE (ex CJCE) a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne doit pas l'appliquer, sauf si le consommateur s'y oppose (Pannon GSM Zrt., n° C-243/08).
Elle reproche donc à la cour d’appel, en conséquence de ces deux principes, d’avoir omis de rechercher d’office si la clause litigieuse était abusive, alors qu’en vertu du droit commun, il appartient à l’assureur d’établir que l’accident était en relation avec l’état alcoolique du conducteur.
La notion de clause abusive est connue. Elle est celle « qui a pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat » (C. consom., art. L. 132-1). Objectif, l’abus se définit exclusivement par son résultat : un déséquilibre significatif défavorable au consommateur. La caractérisation de l’abus dépend ainsi d’un double critère : un déséquilibre significatif, préjudiciable au consommateur. Avant la réforme du 1er février 1995, les clauses abusives étaient différemment définies comme celles « imposées aux non-professionnels ou aux consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie, et conférant à cette dernière un avantage excessif ». Les juges devaient donc caractériser, outre l’avantage excessif, « l’abus d’une puissance économique » de la part de l’auteur de la clause. A priori abandonné, cet élément demeure toutefois, comme en témoigne l’affaire rapportée, née d’un litige entre un assureur et un assuré, dont le lien contractuel est marqué par un déséquilibre des forces économiques et techniques. L’inégalité du rapport de forces des parties au contrat demeure, même implicitement, un élément de qualification de la clause abusive.
Outre l’éclairage apporté sur la qualification de l’abus, la décision rapportée offre l’occasion de rappeler l’évolution des rôles respectivement joués par les pouvoirs réglementaire et judiciaire en cette matière. A l’origine, seul le premier pouvait déterminer l’abus de certaines clauses, la compétence du juge se trouvant liée aux listes qu’il dressait, avant que par un « coup d’état judiciaire » (Civ. 1re, 14 mai 1991, n° 89-20.999), la Cour de cassation reconnût aux tribunaux le pouvoir de déclarer une clause abusive en prenant directement appui sur la loi, peu important, contrairement à ce que prévoyait le système institué, qu’elle ait été préalablement ou non prohibée par décret. Cet étouffement du pouvoir réglementaire cessa avec la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, signant son retour en force, le législateur le chargeant d’établir, sous forme de listes (noires, grises, blanches) des présomptions réglementaires d’abus. Ainsi la clause litigieuse, mettant à la charge de l’assuré la preuve d’un fait soumis à garantie, laquelle incombe par principe à l’assureur (C. civ., art. 1315), est de manière irréfragable présumée abusive (donc intégrée à la liste noire), la présomption étant donc impossible à renverser. Le rôle du juge n’en ressort pas, cependant, diminué. Comme le rappelle ici expressément la Cour, sous l’influence européenne, le juge national n’a pas la simple faculté mais l’obligation de relever d’office l’abus d’une clause, celui que sa victime aurait donc manqué de dénoncer à l’occasion du litige, et d’en refuser l’application. En somme, le concours des pouvoirs judiciaire et réglementaire est désormais préféré à leur concurrence, ce qui ne peut que profiter au consommateur à protéger.
Civ. 1re, 12 mai 2016, n° 14-24.698
Références
■ CJCE 4 juin 2009, Pannon GSM Zrt., n° C-243/08, D. 2009. 2312, note G. Poissonnier ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais.
■ Civ. 1re, 14 mai 1991, n° 89-20.999 P, D. 1991. 449, note J. Ghestin ; ibid. 320, obs. J.-L. Aubert ; RTD civ. 1991. 526, obs. J. Mestre ; RTD com. 1992. 227, obs. B. Bouloc.
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