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Droit de la consommation
Clause abusive : l’approche concrète et financière du déséquilibre significatif
Il incombe aux juges du fond, appréciant le caractère abusif d’une clause prévoyant un calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours, de mesurer son impact réel sur le coût du crédit afin de déterminer si elle porte une atteinte suffisamment grave aux droits légaux de l’emprunteur au point de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Civ. 1re, 9 sept. 2020, n° 19-14.934
Une banque avait consenti à un couple de particuliers deux prêts destinés à l’acquisition d’un bien immobilier, le premier ayant fait l’objet d’un remboursement anticipé en juin 2014 et le second ayant été modifié par avenant du 25 septembre 2015. Soutenant que la clause du premier contrat prévoyant un calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours présentait un caractère abusif, les emprunteurs avaient assigné avec succès la banque en substitution de l’intérêt légal et en remboursement des intérêts déjà versés excédant le taux légal.
Devant la Cour de cassation, la banque faisait alors grief à la juridiction d’appel d’avoir déclaré abusive et non-écrite la clause de calcul des intérêts pendant la phase d'amortissement, de l’avoir condamnée à restituer la différence entre le montant des intérêts conventionnels versés au titre des prêts et celui correspondant au taux légal, et d’avoir ordonné la substitution de l’intérêt légal pour les échéances à venir. Dans cette perspective, elle défendait la méthode d’appréciation suivante : « le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, caractérisant une clause abusive, doit s’apprécier en comparant la situation juridique du consommateur telle qu’elle résulte de la clause critiquée avec celle qui résulterait de la loi si cette clause n’avait pas été stipulée, et que le déséquilibre significatif n’est caractérisé que si la clause porte une atteinte suffisamment grave aux droits que le consommateur tirait ainsi de la loi ». Appliquant cette méthode au cas présent, la banque soutenait que le calcul des intérêts journaliers sur la base d’une année de trois cent soixante jours, tel que résultant de la clause critiquée, avait généré un surcoût de 11,65 euros au détriment des emprunteurs par rapport au montant qui aurait résulté du calcul de ces intérêts tel que résultant de la loi, c’est-à-dire sur la base d’une année civile de trois cent soixante-cinq jours.
Or la cour d’appel, en ayant affirmé son indifférence à l’impact réel de la clause sur le coût final du crédit pour le consommateur, aurait ainsi à tort refusé de comparer la situation juridique du consommateur telle qu’elle résultait de la clause litigieuse avec celle qui aurait résulté de l’application de loi et par là même, omis d’examiner si la clause pourtant jugée abusive portait une atteinte suffisamment grave aux droits légaux des emprunteurs, violant ainsi l’article L. 132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction alors applicable.
Accueillant la thèse du pourvoi, la Cour de cassation casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu.
Au visa de l’article L. 132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 - devenu l’article L. 212-1 - elle rappelle que, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Il en résulte qu’il incombe aux juges du fond, examinant le caractère abusif d’une clause prévoyant un calcul des intérêts sur la base d’une année de 360 jours, d’un semestre de 180 jours, d’un trimestre de 90 jours et d’un mois de 30 jours, « d’apprécier quels sont ses effets sur le coût du crédit, afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».
Or, pour déclarer abusive la clause contestée, la cour d’appel avait retenu que la stipulation qui faisait référence à un calcul des intérêts sur une durée de 360 jours et non d’une année civile de 365 jours privait les consommateurs de la possibilité de calculer le coût réel de leur crédit, qu’elle présentait comme telle un caractère abusif justifiant de la déclarer non écrite, quelle que soit l’importance de son impact réel. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article L. 132-1 précité.
Au problème posé par la variabilité des modes de calcul des intérêts conventionnels liés à un prêt, la jurisprudence a apporté des solutions tout aussi variables, notamment quant à la possibilité de fonder le calcul de ces intérêts non pas sur une année civile de 365 jours, mais sur une année théorique de 360 jours, généralement désignée sous le terme d’année « lombarde » (correspondant à 12 mois de 30 jours chacun = clause dite 30/360).
Pendant longtemps, la Cour de cassation avait clairement admis la validité de ce mode de calcul lorsque le crédit avait une finalité professionnelle (Com. 24 mars 2009, n° 08-12.530), mais l’invalidait avec autant de netteté lorsque le crédit était consenti à un consommateur (Civ. 1re, 19 juin 2013, n° 12-16.651). Partant, en cas de recours à l’année « lombarde », la banque dispensatrice de crédit s’exposait à la nullité de cette clause jugée abusive et à l’obligation de lui substituer le taux fixé par la loi.
Cependant, cette dernière solution avait été sensiblement modifiée par la Cour de cassation qui avait considéré, dans un arrêt récemment publié (Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-19.097), que l’emprunteur « doit, pour obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts, démontrer […] que ce calcul a généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du Code de la consommation » (dans le même sens, v. Civ. 1re, 11 mars 2020, n° 19-10.858).
Défavorable aux emprunteurs contractant en qualité de consommateurs, la décision rendue maintient cette nouvelle condition (v. égal. Civ. 1re, 11 mars 2020, n° 19-10.875) consistant à démontrer en quoi l’impact financier de la clause 30/360 est défavorable au consommateur point de créer à son préjudice un déséquilibre significatif caractéristique des clauses abusives. Si la cour d’appel a en l’espèce manqué de le caractériser, il ne faudrait cependant pas en conclure que cette clause 30/360 est valable en soi. Elle reste susceptible d’être abusive, à la charge cependant de pouvoir le démontrer. C’est pourquoi il est ici seulement reproché aux juges du fond d’avoir jugé que cette clause présentait « comme telle » un caractère abusif, de même que dans sa précédente décision du 11 mars 2020 (n° 19-10.858, préc.), la Cour justifiait l’absence d’abus de la clause litigieuse par le manquement de l’emprunteur à la charge qui lui incombait de prouver que la clause en question « créerait un déséquilibre significatif à son détriment ».
Autrement dit, la clause « 30/360 » n’est ni valable par principe, ni abusive en soi. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation en appelle à une appréciation au cas par cas par les juges du fond, par une analyse « in concreto » de l’abus éventuellement généré par cette clause qui de façon générale et systématique cette fois, n’encourt plus l’annulation comme au temps, encore récent, où les juges la considéraient comme intrinsèquement abusive. En ce sens également, la Cour requiert du juge du fond, pour la première fois à notre connaissance, d’apprécier concrètement les effets de la clause « sur le coût réel du crédit », afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Il appartiendra par conséquent à la juridiction de renvoi d’y procéder.
Plus généralement, cette décision confirme également la réticence observée dans la jurisprudence récente de la première chambre civile de la Cour de cassation à accueillir les actions engagées par les emprunteurs contre les prêts dont les intérêts conventionnels ont été calculés en se fondant sur une année théorique de 360 jours (v. not., Civ. 1re, 10 oct. 2019, n° 18-19.151 ; Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-19.097).
Références :
■ Com. 24 mars 2009, n° 08-12.530 P: D. 2009. 1016, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2009. 422, obs. D. Legeais
■ Civ. 1re, 19 juin 2013, n° 12-16.651 P: D. 2013. 2084, obs. V. Avena-Robardet, note J. Lasserre Capdeville ; ibid. 2420, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2014. 1297, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2013. 770, obs. B. Wertenschlag, O. Poindron et J. Moreau
■ Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-19.097 P: D. 2019. 2292 ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJ contrat 2020. 32, obs. J. Moreau ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. V. Valette-Ercole ; RTD com. 2020. 153, obs. D. Legeais
■ Civ. 1re, 11 mars 2020, n° 19-10.858
■ Civ. 1re, 11 mars 2020, n° 19-10.875 P: D. 2020. 859, note J. Lasserre Capdeville ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. V. Valette-Ercole ; RTD com. 2020. 435, obs. D. Legeais
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