Actualité > À la une
À la une
Droit de la consommation
Clause abusive : le relevé d’office est une obligation
Le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif des clauses contractuelles invoquées par une partie dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.
Un consommateur avait conclu un prêt immobilier, garanti par le cautionnement d’une société, pour financer la construction d'une maison d'habitation à usage de résidence principale ; en application de l'article 9 des conditions générales, qui prévoit le cas de déclaration inexacte de la part de l'emprunteur, la banque avait notifié à l’emprunteur l'exigibilité anticipée de toutes les sommes dues au titre du prêt ; la caution, subrogée dans les droits de la banque, avait assigné l'emprunteur en paiement. Pour condamner l'emprunteur à payer à la caution une certaine somme, la cour d’appel releva d'abord que le contrat de prêt stipulait que les fonds seraient débloqués en plusieurs fois, sur présentation de factures validées par l'emprunteur, indiquant la ou les prestations faites, au fur et à mesure de l'état d'avancement des travaux et retint, ensuite, que l'insincérité des factures présentées par l'emprunteur, de nature à constituer une déclaration inexacte, justifiait l'exigibilité anticipée des sommes prêtées.
Au visa de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 du Code de la consommation, la Cour de cassation, procédant au rappel de la règle selon laquelle le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif des clauses contractuelles invoquées par une partie dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, censure la décision des juges du fond auxquels elle reproche de ne pas avoir recherché d'office le caractère abusif de la clause qui autorise la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues en cas de déclaration inexacte de la part de l'emprunteur, en ce qu'elle est de nature à laisser croire que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l'importance de l'inexactitude de cette déclaration et que l'emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance du terme.
La question du relevé d’office d’une clause abusive par le juge a fait l’objet d’un traitement légal et jurisprudentiel long et séquencé, pour ne pas dire mouvementé, à l’instar des feuilletons d’été et autres séries américaines dont la complexité de l’intrigue et les multiples rebondissements, qui font la loi du genre, impliquent un découpage en plusieurs épisodes, ou saisons.
A la question de savoir si un juge peut voire doit relever d’office le caractère abusif d’une clause stipulée dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, alors même que le moyen n’a pas été soulevé par l’une des parties au litige, la Cour de cassation a entamé ce qui allait devenir une véritable saga par une première saison, radicale : le refus de la faculté de relever d’office une clause abusive (Civ. 1re, 15 févr. 2000, n° 98-12.713 : « la méconnaissance des exigences des textes susvisés, même d’ordre public, ne peut être opposée qu’à la demande de la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger» ; Civ. 1re, 16 mars 2004, n° 99-17.955).
Puis très vite, la deuxième saison parut, faisant naître, bien sûr, le rebondissement attendu : la Cour de justice de l’Union européenne condamna la France, dont elle voulut tempérer la radicalité, en affirmant que le juge doit, a minima, disposer de la faculté de relever le caractère abusif d’une clause, quand bien même les parties n’auraient pas soulevé ce moyen (CJCE 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial SA c/ Rocio Murciano Quintero et autre, n° C-240/98 ; CJCE 4 oct. 2007, Rampion, n° C-429/05).
La volonté d’accroître la protection du consommateur la conduisit ensuite, dans une troisième saison étonnante, à se montrer tout aussi radicale que la Cour de cassation l’avait été lors de la première saison mais pour retenir, de façon tout à fait contraire, l’obligation du juge national de relever d’office une clause abusive (CJCE 26 oct. 2006, Mostaza Claro, n° C-168/05). Ainsi pensait-elle qu’un tel examen pouvait avoir « un effet dissuasif concourant à faire cesser l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel », la protection du consommateur relevant selon elle de « l’intérêt public », dont l’importance méritait d’être étendue et défendue.
Puis ce fut au tour du législateur français de se trouver au cœur de la quatrième saison, fruit d’un nouveau rebondissement : par la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, il introduisit dans le Code de la consommation un article L. 141-4 (abrogé en 2016) selon lequel « le juge peut soulever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application», rompant ainsi le fil de l’histoire telle qu’elle s’était terminée à la fin de la saison précédente.
Pris entre ces vents contraires, qui nourrirent l’intrigue de la cinquième saison, la Cour de cassation, qui en était le personnage central, finit par juger, en début d’année 2009, contre son gré et les plus hautes ambitions des juges européens, mais dans le respect des dernières dispositions légales, que « la méconnaissance des dispositions d’ordre public du code de la consommation peut être relevée d’office par le juge » (Civ. 1re, 22 janv. 2009, n° 05-20.176) ; nouvel infléchissement, quelques mois plus tard, de la part du même protagoniste, la Cour modérant sa position précédente en faisant dépendre la possibilité du juge de relever d’office une clause abusive de la preuve, par les parties au litige, des faits justifiant que le juge puisse s’en saisir (Civ. 2e, 14 mai 2009, n° 08-14.129).
C’est alors que débuta la sixième saison et qu’un autre personnage central de cette histoire réapparut. Assez vite. Le 4 juin de la même année, le juge européen répéta sèchement sa position : « le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet». (CJCE 4 juin 2009, Pannon GSM Zrt, n° C-243/08).
L’intrigue stagna alors quelque temps avant que le juge européen, au cours de la septième saison, reçut l’aide, lente mais sûre, d’un autre acteur majeur de la série, le législateur, qui en mars 2014, imposa au juge d’« écarte(r) d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat» (Loi Hamon, 17 mars 2014, C. consom. art. L. 141-4 anc. ; art. R.632-1).
Lors de la huitième saison, qui fut aussi la dernière, la Cour de cassation abdiqua en se ralliant finalement à la position désormais partagée par ses partenaires de jeu, admettant que « le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles invoquées par une partie dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet». (Civ. 1re, 1er oct. 2014, n° 13-21.801).
Le consommateur, qui était somme toute le personnage principal de cette histoire, ressortant ainsi vainqueur de cette histoire franco-européenne digne des meilleures séries américaines !
Celui mis en cause dans cette affaire devait de toute évidence profiter de cette victoire longuement obtenue ; en effet, la clause du contrat de prêt de l'espèce, qui permettait au banquier prêteur de résilier à son gré, sans contrôle du juge et avec effet au bout de quinze jours, donc de façon exorbitante, le prêt qu'il avait consenti, en cas de déclaration inexacte de l’emprunteur, quand l'économie de cette clause dont l'application était abandonnée à l'entière discrétion du banquier prêteur, ne laissait à l'emprunteur aucune possibilité de faire valoir les raisons qui l'avaient conduit à faire la déclaration qui lui était imputée à faute ou encore les circonstances particulières qui étaient propres à atténuer, voire à effacer, la gravité de cette déclaration, contenait suffisamment d’éléments à la fois juridiques et factuels pour obliger le juge à en relever l’abus.
Civ. 1re, 10 oct. 2018, n° 17-20.441
Références
■ Civ. 1re, 15 févr. 2000, n° 98-12.713 P: D. 2000. 275, obs. C. Rondey ; RTD com. 2000. 705, obs. B. Bouloc
■ Civ. 1re, 16 mars 2004, n° 99-17.955 P: D. 2004. 947, obs. V. Avena-Robardet ; RTD com. 2004. 358, obs. D. Legeais ; ibid. 802, obs. B. Bouloc
■ CJCE 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial SA c/ Rocio Murciano Quintero et autre, n° C-240/98 : RTD civ. 2000. 939, obs. J. Raynard ; ibid. 2001. 878, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2001. 291, obs. M. Luby
■ CJCE 4 oct. 2007, Rampion, n° C-429/05: D. 2008. 458, note H. Claret ; RTD com. 2008. 403, obs. D. Legeais
■ CJCE 26 oct. 2006, Mostaza Claro, n° C-168/05
■ Civ. 1re, 22 janv. 2009, n° 05-20.176 P: D. 2009. 908, note S. Piedelièvre ; ibid. 365, obs. V. Avena-Robardet ; Just. & cass. 2010. 455, rapp. M.-S. Richard ; ibid. 460, obs. B. Pagès ; RTD com. 2009. 421, obs. D. Legeais ; ibid. 607, obs. B. Bouloc
■ Civ. 2e, 14 mai 2009, n° 08-14.129https://www.dalloz-avocats.fr/documentation/Document?id=CASS_LIEUVIDE_2009-05-14_0814129&ctxt=0_YSR0MT0wOC0xNC4xMjnCp3gkc2Y9c2ltcGxlLXNlYXJjaA==&ctxtl=0_cyRwYWdlTnVtPTHCp3MkdHJpZGF0ZT1GYWxzZcKncyRzb3J0PcKncyRzbE5iUGFnPTIwwqdzJGlzYWJvPUZhbHNlwqdzJHBhZ2luZz1UcnVlwqdzJG9uZ2xldD1EWi9EWkZSwqdzJGZyZWVzY29wZT1GYWxzZcKncyR3b0lTPUZhbHNlwqdzJGJxPQ==&nrf=0_UmVjaGVyY2hlfExpc3Rl
■ CJCE 4 juin 2009, Pannon GSM Zrt, n° C-243/08
■ Civ. 1re, 1er oct. 2014, n° 13-21.801 P: D. 2014. 1996 ; ibid. 2015. 588, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2015. 348-3, obs. B. Le Baut-Ferrarese
Autres À la une
-
[ 20 décembre 2024 ]
À l’année prochaine !
-
Droit du travail - relations collectives
[ 20 décembre 2024 ]
Salariés des TPE : à vous de voter !
-
Droit du travail - relations individuelles
[ 19 décembre 2024 ]
Point sur la protection de la maternité
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 18 décembre 2024 ]
PMA post-mortem : compatibilité de l’interdiction avec le droit européen
-
Droit de la famille
[ 17 décembre 2024 ]
GPA : l’absence de lien biologique entre l’enfant et son parent d’intention ne s’oppose pas à la reconnaissance en France du lien de filiation établi à l'étranger
- >> Toutes les actualités À la une