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[ 14 décembre 2017 ] Imprimer

Procédure civile

Clause de médiation : les conséquences de son défaut de mise en œuvre

Mots-clefs : Procédure civile, Contrat d’entreprise, Clause de médiation, Défaut de mise en oeuvre, Effet, Fin de non-recevoir, Action en justice, Irrecevabilité

La clause prévoyant qu’en cas de litige, les parties devront saisir pour avis le conseil de l’ordre dont relève l’un des contractants s’analyse en une clause de médiation dont le défaut de mise en oeuvre constitue une fin de non-recevoir.

Un maître d'ouvrage avait fait construire par un entrepreneur deux maisons et une piscine. Après avoir reçu l’ouvrage, le maître d’ouvrage avait émis des réserves, avant d’assigner l’architecte en paiement de la retenue de garantie et des travaux supplémentaires. L’architecte avait alors soulevé l'irrecevabilité de l'action, faute de saisine préalable du conseil régional de l'ordre des architectes. Pour déclarer recevable la demande du maître de l'ouvrage contre l'architecte, l'arrêt retint que l'article G10 du cahier des charges générales du contrat d'architecte, qui stipulait qu' « en cas de litige portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire », n'instituait pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, mais prévoyait simplement qu'une demande d'avis devait être adressée au conseil régional des architectes et que la fin de non-recevoir pouvait être régularisée en cours d'instance. 

Au visa des articles 122 et 126 du Code de procédure civile, la cour de cassation casse la décision des juges du fond au motif qu'en statuant ainsi, alors que le moyen tiré du défaut de mise en oeuvre de la clause litigieuse, qui instituait une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, constituait une fin de non-recevoir et que la situation donnant lieu à celle-ci n'était pas susceptible d'être régularisée par la mise en oeuvre de la clause en cours d'instance, la cour d'appel a violé les textes susvisés. 

En matière contractuelle, les parties ont la possibilité d’anticiper leur éventuel désaccord, en prévoyant son apparition et les modalités de son règlement pour le cas où celui-ci surviendrait. Par principe, sous la réserve qu'elles ne portent atteinte à l'ordre public ou qu’elles se révèlent abusives, ces clauses relatives à la prévention d’un litige sont valables. Un régime procédural spécifique les accompagne, comme en témoigne la décision commentée. Les clauses peuvent être de différentes sortes, toutes ayant la même finalité, celle de favoriser la résolution bilatérale des difficultés rencontrées par les parties, avec ou sans l’intervention d'un tiers. Aussi, lorsqu’un tiers intervient, il convient de distinguer selon que son rôle est passif ou actif. Le premier cas vise la clause d'expertise (ou clause d'expert ou clause d'expert neutre). Spécialement adaptée aux relations d'affaires comportant des aspects techniques ou économiques complexes, comme dans les contrats de construction internationale, cette clause se présente comme un outil efficace de gestion des risques contractuels. Elle prévoit la nomination d'un expert technique dont la mission est variable. Parfois, l'expert a mission de suivre l'exécution du contrat pour prévenir l’apparition des difficultés qui lui sont inhérentes et au cas où celles-ci apparaîtraient, pour de les régler, progressivement, et de façon purement technique. La nomination d’un expert peut aussi n’être prévue qu'au cas où un différend naîtrait et sa mission consistera alors à établir un rapport technique sur les divers aspects du contentieux en cours de constitution ou même de rapprocher les parties dans la perspective de trouver une solution amiable au différend en cours de formation, l'expertise empruntant alors dans ce cas à la médiation. Cette clause est opportune, l'expérience révélant en effet que le différend lié à l'exécution du contrat naît souvent d'une représentation inexacte, par chaque partenaire, de la réalité de l’exécution de leurs prestations respectives. L’expertise technique permet ainsi de clarifier la nature des difficultés rencontrées par les parties qui, mieux averties, pourront plus aisément mesurer leurs chances de succès contentieux, l’expert étant alors susceptible de dissuader l'une des parties, ou même les deux, de déclencher une procédure juridictionnelle. Mais ce type de clauses ne présente pas davantage d’avantages ! En principe, l'expert garde sa neutralité et partant, reste étranger à l'issue du litige puisqu'il n'a pas, en principe, à proposer de solution : il se contente de clarifier le débat. C'est principalement en raison de la passivité de l'expert par rapport à la solution du litige que la clause d'expertise diffère des clauses de conciliation, ou de médiation. À la différence de l'expert, le conciliateur, ou médiateur, a pour mission d’aider les parties à trouver une solution à leur litige ; il cherche à rapprocher les points de vue des parties en conflit et à faire naître une solution au différend qui les oppose en proposant, au besoin, une base d'accord. Mais, à la différence de l'arbitre, il n'impose pas cette solution. Il a pour seule mission de concilier les parties et de tenter de résoudre leur différend en proposant un projet d'accord. 

En l’espèce, la clause prévoyait une saisine pour avis du conseil régional de l'Ordre des architectes dont relevait l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire. La clause visait bien à obliger la partie qui voulait agir en justice à saisir un tiers pour rapport sur un litige en train de naître, afin d'éviter – dans la mesure du possible – le recours à la justice (sauf, une nouvelle fois, action conservatoire). Or, l’effet de cette clause est remarquable, puisqu’elle rend irrecevable une éventuelle action en justice, tant qu'elle n'a pas été mise en application préalablement à l’instance, cette fin de non-recevoir, d’origine conventionnelle, ne pouvant être régularisée au cours de celle-ci. 

Si la jurisprudence s’était montrée hésitante, depuis un arrêt du 14 février 2003 (Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003 : n° 00-19.423 et 00.19.424), il est désormais acquis que le contrat peut créer une telle irrecevabilité : la sanction du défaut de mise en oeuvre d’une clause de conciliation ou de médiation préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s’impose aux juges si les parties l’invoquent. Et alors que certains arrêts avaient retenu que cette fin de non-recevoir pouvait être régularisée en cours d’instance (V. notam., Com. 16 déc. 2010, n° 09-71.575), un arrêt de chambre mixte du 12 décembre 2014 avait clairement écarté cette possibilité de régularisation (Cass., ch. mixte, 12 déc. 2014, n° 13-19. 684).

Civ. 3e, 16 nov. 2017, n° 16-24.642

Références

■ Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423 P et 00.19.424 P : D. 2003. 1386, note P. Ancel et M. Cottin ; ibid. 2480, obs. T. Clay ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 349, obs. R. Perrot.

■ Com. 16 déc. 2010, n° 09-71.575 P : D. 2011. 172 ; RTD civ. 2011. 170, obs. R. Perrot.

 ■ Cass., ch. mixte, 12 déc. 2014, n° 13-19. 684 P : D. 2015. 298, note C. Boillot ; ibid. 287, obs. N. Fricero ; RDI 2015. 177, obs. K. de la Asuncion Planes ; AJCA 2015. 128, obs. K. de la Asuncion Planes ; D. avocats 2015. 122, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2015. 131, obs. H. Barbier ; ibid. 187, obs. P. Théry.

 

 

Auteur :M. H.


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