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[ 7 février 2022 ] Imprimer

Droit de la consommation

Clause de médiation obligatoire : l’office du juge à l’épreuve d’un abus présumé

Le juge doit examiner d’office la régularité d’une clause contraignant le consommateur, en cas de litige portant sur l’exécution du contrat, à recourir obligatoirement à une médiation avant la saisine du juge, présumée abusive, sauf preuve contraire rapportée par le professionnel.

Civ. 3e, 19 janv.2022, n° 21-11.095

Après avoir fait l’objet de travaux de réhabilitation, un logement d'habitation aménagé en partie dans une ancienne cave est donné à bail. Se plaignant de la forte humidité affectant le logement, le locataire assigne le maître d’œuvre en exécution de travaux et réparation de ses préjudices, lequel assigne en garantie les intervenants à l'acte de construire. La cour d’appel déclare le locataire irrecevable à agir contre le maître d’œuvre en raison d’une clause stipulée dans le contrat de maîtrise d’œuvre prévoyant le recours, en cas de litige et avant toute procédure judiciaire, à une commission de conciliation d’une association de consommateurs. Devant la Cour de cassation, le locataire soulève le caractère abusif de cette clause dont le juge était tenu d’examiner d'office le caractère abusif, comme il y est par principe obligé s’agissant des clauses invoquées par une partie dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.

L’arrêt est cassé par la Haute cour, qui énonce à cet effet les deux textes principaux applicables au litige, issus du droit de la consommation, le premier d’ordre général et le second propre aux modes alternatifs de règlements des conflits (MARC) :

■ sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (C. consom., art. L. 132-1, devenu L. 212-1) ;

■ sont présumées abusives, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges (C. consom., art. R. 132-2, 10°, devenu R. 212-2, 10°).

Elle en déduit qu’« (i)l est jugé, au visa de ces textes, que la clause, qui contraint le consommateur, en cas de litige, à recourir obligatoirement à une médiation avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, de sorte que l'arrêt qui, à défaut de cette preuve contraire, fait produire effet à une telle clause, doit être cassé » (Civ. 1re, 16 mai 2018, n° 17-16.197).

Elle ajoute enfin que selon l’article R. 632-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 et également applicable au litige, « le juge écarte d'office, après avoir recueilli les observations des parties, l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des débats ». Or la clause souscrite en l’espèce par le consommateur était rédigée dans des termes trahissant l’abus proscrit : « La clause, qui contraint le consommateur, en cas de litige avec un professionnel, à recourir obligatoirement à un mode alternatif de règlement des litiges avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire ». Le juge aurait donc dû examiner d'office la régularité d'une telle clause. La cour d'appel n'a donc pas donné de base légale à sa décision.

En principe, la clause prévoyant le recours à la conciliation ou à la médiation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, est valable. Consacrée en 2003 par la Chambre mixte, cette clause constitue une fin de non-recevoir (Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, nos 00-19-423 et 00-19-424 ; v. récemment, pour une application à un tiers au contrat, Civ. 3e, 5 janv. 2022, n° 20-10.147). Le droit spécial de la consommation lui réserve toutefois un sort différent. Elle l’intègre en effet dans la liste des clauses simplement présumées abusives depuis le décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 (qualifiées de « clauses grises »).

En pratique toutefois, cette présomption d’abus peut se révéler ineffective lorsqu’elle est méconnue par le juge, ainsi qu’en a témoigné une affaire proche de celle rapportée dans laquelle un professionnel avait, en première instance, soulevé une fin de non-recevoir constituée par une clause de médiation préalable obligatoire stipulée dans son contrat. Les premiers juges avaient rejeté cette exception en raison du caractère abusif de la clause invoquée. En appel, le professionnel avait au contraire obtenu gain de cause, la cour retenant que la neutralité de l'instance de médiation, la gratuité et l'absence d'entrave de recours au juge, exemptaient la clause d'abus. Au-delà, la juridiction du second degré affirma qu’une clause de médiation préalable à une action en justice ne constitue pas, en soi, un déséquilibre entre les parties. Il apparaissait donc que les juges du fond, faisant abstraction de la liste grise, avaient soumis la clause au contrôle général du déséquilibre significatif prévu par l'article L. 212-1 du code de la consommation, en s'appuyant sur des indices avancés tant par la doctrine (v. not., M. de Fontmichel, Le faible et l'arbitrage, Economica, n° 139), que par une précédente décision rendue à une époque où la présomption d'abus assortissant la clause de médiation n'était pas encore édictée (Civ. 1re, 1er févr. 2005, n° 03-19.692).

C'est précisément l'existence d'une présomption simple d'abus frappant désormais cette stipulation qui justifie la cassation de la décision ici rendue par les juges du fond, comme le fut celle précitée (Civ. 1re, 16 mai 2018, n° 17-16.197) au même motif que « la clause qui contraint le consommateur, en cas de litige, à recourir obligatoirement à une médiation avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à apporter la preuve contraire ». La Cour de cassation confirme ici que cette clause, valable en droit commun, devient abusive lorsqu’elle est stipulée dans un contrat de consommation, sauf preuve contraire rapportée par le professionnel. Elle l’inscrit donc dans la catégorie des « clauses obligeant le consommateur à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges » (C. consom., art. R. 212-2, 10°, préc.), en se passant de surcroît de l'exigence légale « d'exclusivité », exigence qui est en tout état de cause maladroite dans une liste grise puisque si la clause exclut le recours au juge, elle devrait figurer dans la liste noire des clauses présumées abusives de façon irréfragable.

De surcroît, depuis l’ordonnance n° 2015-1033 du 20 août 2015 transposant la directive 2013/11/UE relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation, la clause de médiation préalable obligatoire est désormais purement et simplement interdite (C. Consom. art. L. 152-4, devenu C. consom., art. L. 612-4), en plus d'être présumée abusive. La conciliation entre ces deux dispositions est malaisée puisque la preuve contraire apportée par le professionnel à la présomption simple rend la clause a posteriori valable, alors même qu'elle est illicite en application de l'article L. 612-4 (V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 2e éd., 2019, Dalloz, coll. « Cours », n° 314 ; D. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud). Difficile à accorder avec le texte réglementaire, l’article L. 612-4 semble en outre inopportun, la clause prohibée ne privant pas le consommateur, si la médiation échoue, de recourir au juge (v. C. civ., art. 2238), dont le droit d’accès garanti à tout justiciable reste ainsi préservé. Enfin, cette surenchère normative, que nourrit également l’article R. 632-1 précité relatif au relevé d’office judiciaire pour éradiquer l’abus de ce type de clauses, contredit le mouvement actuel de promotion du processus de médiation (v. not., C. pr. civ., art. 56), et plus particulièrement le texte issu de la loi de programmation et de réforme pour la justice ayant étendu l'obligation de recourir à une médiation préalable, notamment pour les litiges de faible incidence financière (L. n° 2019-222 du 23 mars 2019, art. 3), comme ils le sont souvent en droit de la consommation.

Ainsi le juge peut-il désormais enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur à toutes les étapes de la procédure, y compris en référé. Il est donc regrettable que le législateur n'ait pas saisi l'occasion de cette réforme pour clarifier, quitte à le renouveler, le régime des clauses de médiation tel qu’il est encore prévu par le droit des clauses abusives.

Références :

■ Civ. 1re, 16 mai 2018, n° 17-16.197D. 2019. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud.

■ Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, nos 00-19-423 et 00-19-424 PD. 2003. 1386, et les obs., note P. Ancel et M. Cottin ; ibid. 2480, obs. T. Clay ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 349, obs. R. Perrot.

■ Civ. 3e, 5 janv. 2022, n° 20-10.147

■ Civ. 1re, 1er févr. 2005, n° 03-19.692 P, D. 2005. 565, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2836, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2005. 393, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2005. 825, obs. B. Bouloc.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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