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Droit des obligations
Clause de prix : l’ambigu crée l’abus
Le caractère abusif d’une clause dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne s’applique pas à l’adéquation de la rémunération au service proposé, à la condition qu’elle soit rédigée de façon claire et compréhensible.
Un couple projette de vendre son mobil-home et à cette fin, conclut un contrat de mandat avec un professionnel spécialisé. Une fois la vente conclue, au prix de 10 500 €, le couple, contestant le montant de la commission versée (7 000 €), assigne le mandataire en justice pour faire constater le caractère abusif de la clause ayant fixé ce montant. Plus précisément, la clause litigieuse stipulait que le mandataire pourrait conserver à titre de rémunération la part du prix de vente excédant 10 500 €, « quand bien même cette rémunération n’aurait eu aucune contrepartie ». La cour d’appel jugea cette clause abusive au motif qu’en l’absence de toute contrepartie, elle se trouvait dépourvue de cause. Le mandataire forma un pourvoi en cassation arguant du fait que l’appréciation du caractère abusif d’une clause ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert et que dans les contrats synallagmatiques, la cause de l’obligation de chacune des parties réside dans l’objet de l’obligation de l’autre, peu important un éventuel défaut d’équivalence des prestations. À première vue convaincante (v. notam. Civ. 1re, 24 oct. 2019, n° 18-12.255), la thèse du pourvoi est néanmoins rejetée par la Cour de cassation : « ayant relevé que le contrat de mandat ne précisait pas la rémunération du mandataire, la cour d’appel a fait ressortir que la fixation de la commission litigieuse procédait d’une clause qui n’était pas rédigée de façon claire et compréhensible ; qu’elle a, dès lors, à bon droit, procédé à l’appréciation de son caractère abusif, peu important que celle-ci ait porté sur l’adéquation de la rémunération au service offert ».
L'article L. 212-1 du Code de la consommation (anc. art. L. 132-1) dispose que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Le troisième alinéa de ce texte (anc. art. L. 132-1, al. 7 C. consom.) apporte toutefois une restriction au premier : l’appréciation du caractère abusif des clauses visées par la première disposition ne peut porter sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération du bien vendu ou de la prestation, pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
L’articulation de ces deux alinéas peut être résumée ainsi : le texte sanctionne les clauses qui entraînent un déséquilibre significatif des droits et des obligations au contrat mais l’appréciation de ce déséquilibre significatif, constitutif de l’abus, ne pouvant porter sur l’adéquation du prix à la prestation, il ne permet pas de contester un contrat économiquement déséquilibré, à moins que la stipulation contestée, par son manque de clarté, lui confère un caractère abusif dont elle était en principe dépourvue.
Ainsi, à l’effet de ne pas remettre en cause le principe général de validité des contrats lésionnaires, le texte précité, fondateur du droit des clauses abusives, fait-il paradoxalement sien ce principe traditionnel du droit commun contractuel, dont le postulat libéral suppose d’interdire au juge de contrôler l’équivalence ou l’adéquation du prix au bien vendu ou au service proposé (comp., sur le terrain du droit commun, C. civ., art. 1171 nouv. ; Ord. n° 2016-131 du 10 février 2016 ; L. n° 2018-287 du 20 avril 2018 ; V. à ce sujet, G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 2e éd. Dalloz, 2018, nos 440 s.) Le même texte l’autorise en revanche, au regard de l’impératif d’intelligibilité de la clause, à contrôler les abus éventuels contenus dans les clauses de prix ; ainsi, en l’espèce, l’octroi abusif d’un avantage non assorti d’une contrepartie ; de même, l’existence d’un avantage manifestement excessif conféré au profit du professionnel, et que l’ambiguïté de rédaction de la clause de prix trahit. Ainsi dans un arrêt du 19 juin 2001, la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel qui, après avoir relevé que « la clause litigieuse, était rédigée en des termes susceptibles de laisser croire au consommateur qu’elle autorisait seulement la négociation du prix de la prestation, a exactement considéré qu’en affranchissant dans ces conditions le prestataire de service des conséquences de toute responsabilité moyennant le versement d’une somme modique, la clause litigieuse, qui avait pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, était abusive et devait être réputée non écrite selon la recommandation n° 82-04 de la Commission des clauses abusives» (Civ. 1re, 19 juin 2001, n° 99-13.395 ; Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 15-25.479). Il pourrait encore s’agir d’une absence de réciprocité des droits et obligations des parties, ou de l’octroi d’un pouvoir unilatéral à la partie forte du contrat, critères d’appréciation traditionnels du déséquilibre significatif, dans le cas où la clause de prix, d’interprétation difficile, permet en fait au stipulant d’augmenter unilatéralement son prix, ou de le déterminer seulement au moment de la livraison, sans accorder au consommateur le droit correspondant de rompre le contrat, ce qui permettrait au juge, sinon de vérifier l’adéquation du prix au bien ou à la prestation vendue, du moins d’en contrôler le mode de détermination qui, une fois la clause éclaircie, se révélerait abusif.
La décision rapportée présente ainsi l’intérêt d’illustrer la nuance apportée par le juge à la restriction édictée par la loi : si le caractère abusif d’une clause ne peut être déduit de l’inadéquation de la rémunération au service rendu, il peut en toute hypothèse être déduit d’un élément autre que l’existence d’un déséquilibre significatif, notamment de l’ambiguïté de sa rédaction, ayant pour objet et pour effet d’induire le consommateur en erreur sur l’étendue de ses droits et obligations.
Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-14.575
Références
■ Civ. 1re, 24 oct. 2019, n° 18-12.255: D. 2019. 2084
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