Actualité > À la une
À la une
Droit des obligations
Clause de réserve de propriété et prescription de la créance garantie
Selon l'article 2367 du Code civil, la propriété d'un bien peut être retenue en garantie par l'effet d'une clause de réserve de propriété, qui suspend l'effet translatif d'un contrat jusqu'au complet paiement de l'obligation qui en constitue la contrepartie. Or si la prescription de la créance du prix de vente libère l'acquéreur de l'obligation de payer le prix, elle n'entraîne pas, à défaut de paiement, le transfert de la propriété du bien, qui demeure réservée au vendeur.
Com. 19 nov. 2025, n° 23-12.250
La clause de réserve de propriété prend les traits d’une sûreté réelle offrant au vendeur la meilleure des garanties puisqu’il est de cette façon contractuellement autorisé à se réserver la propriété du bien vendu, en principe transférée immédiatement à l’acheteur, jusqu’au complet paiement du prix par ce dernier. Cette garantie se trouve codifiée à l'article 2367 du Code civil qui dispose, en son premier alinéa, que "(l)a propriété d'un bien peut être retenue en garantie par l'effet d'une clause de réserve de propriété qui suspend l'effet translatif d'un contrat jusqu'au complet paiement de l'obligation qui en constitue la contrepartie ». Le texte précise, dans un second alinéa, que « la propriété ainsi réservée est l'accessoire de la créance dont elle garantit le paiement ». Dans un arrêt rendu le 19 novembre dernier par la chambre commerciale de la Cour de cassation, l’articulation de ces deux alinéas est précisée en sorte de répondre à la question posée par le pourvoi : qu’advient-il de la propriété du bien, réservée par contrat au vendeur, lorsque la créance de prix garantie par la clause de réserve de propriété s'éteint, non pas par le paiement de l’obligation, mais par le jeu de la prescription ?
Au cas d'espèce, un navire avait été vendu, le vendeur se réservant la propriété du bien jusqu'au complet paiement du prix. Le vendeur ayant négligé de réclamer à l’acheteur le paiement de son dû, la créance de prix fut atteinte par la prescription extinctive (C. civ., art. 2224). L’acheteur excipa alors de l’extinction par prescription de sa dette de prix pour soutenir que, libéré ainsi de son obligation de paiement, la réserve de propriété du vendeur stipulée au contrat prenait fin et que, désormais, la propriété du navire lui revenait. Le vendeur soutenait au contraire que l’extinction par prescription de la créance garantie ne produisait aucun effet sur sa réserve de propriété, qui demeurait inchangée.
En vérité, les deux thèses pouvaient être valablement soutenues. En effet, selon que l’on privilégie l’application du premier ou du second alinéa du texte de l’article 2367 précité, l’effet de la prescription de la créance garantie sur la clause de réserve de propriété doit être apprécié différemment : dans le premier cas, la propriété reste réservée au vendeur, dans le second, elle est au contraire acquise à l’acquéreur.
Si l'on tient compte de l'alinéa second du texte, selon lequel la clause de réserve de propriété est l'accessoire de la créance, l'on peut valablement soutenir que, l’accessoire suivant le principal, l’extinction de la créance de prix résultant de la prescription emporte l’extinction de la réserve de la propriété. Au cas d’espèce, si la créance de prix du navire s’éteint par prescription, il en va de même de la réserve de propriété qui est l'accessoire de cette créance. En conséquence, le vendeur perdrait et le prix et la chose vendue. C’est cette conception défendue par l’acheteur qu’a retenue la cour d’appel pour juger qu’à raison de la prescription de la créance de prix, le créancier ne pouvait plus se prévaloir de la clause de réserve de propriété. La réserve de propriété n'étant que l'accessoire de la créance dont elle garantit le paiement, l'extinction de la créance, même pour une cause autre que le paiement telle que la prescription, mettrait fin à la réserve de propriété.
Si l'on privilégie au contraire l’application de l'alinéa 1er du même texte, selon lequel la clause de réserve de propriété suspend l'effet translatif d'un contrat "jusqu'au complet paiement de l'obligation", il faut autrement considérer que l'extinction de la créance résultant de la prescription, et non d’un paiement, laisse inchangée la propriété réservée au vendeur. Selon cette disposition, la réserve de propriété ne s’éteint qu’avec le paiement de la dette : conditionnant expressément la transmission de la propriété au paiement intégral du prix, ce premier alinéa interdit donc de considérer toute autre cause d’extinction de la créance comme équivalente au paiement, lequel constitue la seule source légale reconnue d’extinction de la réserve de propriété. D'où il résulterait, en l’espèce, que faute de paiement, la réserve de propriété du vendeur demeure. C'est cette dernière approche qu’adopte la chambre commerciale de la Cour de cassation dans la décision rapportée pour admettre que la clause de réserve de propriété survit à la prescription de la créance garantie : "si la prescription de la créance du prix de vente libère l'acquéreur de l'obligation de payer le prix, elle n'entraîne pas, à défaut de paiement, le transfert de la propriété du bien". En cas de prescription de la dette, bien que celle-ci soit éteinte, la propriété n'en est pas pour autant transférée à l’acheteur car même si l’extinction de la dette libère ce dernier de son obligation de payer, elle ne constitue pas le terme contractuellement fixé pour le transfert de propriété. Tant que le paiement n’est pas effectué, le bien reste donc dans le patrimoine du vendeur, indépendamment de la prescription du droit de créance (Civ. 2e, 27 févr. 2014, n° 13-10.891 ; adde, en cas de procédure collective, Com. 9 janv. 1996, n° 93-12.667). Si la réserve de propriété disparaît bien lorsque la créance est éteinte du fait d'un paiement complet effectué par l'acheteur (la propriété se trouvant alors automatiquement transférée à ce dernier), il n'en va donc pas de même lorsque la créance est éteinte par prescription.
La solution a le mérite de concilier l'alinéa 2nd du texte avec le 1er. La prise en compte de l'accessoire permet de justifier que la clause de réserve de propriété suive la créance à l'occasion de sa transmission, mais pas que la réserve de propriété prenne fin par prescription sans que le paiement ait eu lieu, alors que cette stipulation garantit spécifiquement ledit paiement. Si la réserve de propriété se transmet bien avec la créance du vendeur, elle ne disparaît donc pas toujours du fait de l'extinction de celle-ci.
Références :
■ Civ. 2e, 27 févr. 2014, n° 13-10.891 : D. 2014. 1081, note D. R. Martin ; ibid. 1722, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis et N. Palle ; RTD civ. 2014. 370, obs. H. Barbier
■ Com. 9 janv. 1996, n° 93-12.667 : D. 1996. 184, note F. Derrida ; RDI 1996. 259, obs. P. Delebecque et P. Simler ; RTD civ. 1996. 436, obs. P. Crocq ; RTD com. 1997. 331, obs. A. Martin-Serf
Autres À la une
-
Droit des obligations
[ 5 décembre 2025 ]
Précisions sur la compétence du JAF d’ordonner des mesures de protection dans le cadre d'une procédure de divorce
-
Droit de la responsabilité civile
[ 4 décembre 2025 ]
Perte de gains professionnels futurs et revenus locatifs
-
Droit du travail - relations individuelles
[ 3 décembre 2025 ]
L’obligation de sécurité à l’épreuve du droit au respect du domicile du télétravailleur
-
Droit des obligations
[ 2 décembre 2025 ]
Transaction : un fait juridique opposable par le tiers codébiteur solidaire
-
Droit des obligations
[ 1 décembre 2025 ]
Baux commerciaux : nouvelles précisions sur les conditions d’application de la loi nouvelle à la clause résolutoire
- >> Toutes les actualités À la une






