Actualité > À la une
À la une
Droit de la concurrence
Clause d’élection du for : l’imprécision de sa rédaction ne condamne pas son efficacité
Si une clause attributive de juridiction ne peut concerner que des différends nés ou à naître à l'occasion du contrat, cette stipulation a en revanche vocation à s'appliquer à tous ceux qui y trouvent leur source, que la responsabilité encourue soit de nature contractuelle ou délictuelle dès lors qu’elle est susceptible d’être engagée du fait d’une infraction au droit de la concurrence.
Un revendeur agréé pour les produits de la marque Apple, lié à un fournisseur par un contrat stipulant une clause attributive de compétence au profit des juridictions irlandaises, avait invoqué des pratiques anticoncurrentielles et des actes de concurrence déloyale à l’encontre, notamment, de son fournisseur. Il l’avait alors assigné en réparation de son préjudice, mais devant une juridiction française. En appel, les juges reconnurent la compétence du juge national et renvoyèrent l’affaire devant le tribunal de commerce de Paris, au motif que la clause attributive de compétence insérée au contrat liant les deux parties au litige ne stipulait pas expressément qu'elle trouvait à s'appliquer en matière d'abus de position dominante ou de concurrence déloyale. Au contraire, la Cour de cassation, à la suite du pourvoi formé par le fournisseur, décide de mettre fin au litige en constatant l'incompétence des juridictions françaises, conformément à la doctrine défendue par la Cour de justice de l’Union européenne en la matière.
En effet, elle rappelle, d’une part, que, saisie par voie préjudicielle, la CJUE (CJUE, 24 oct. 2018, aff. C-595/17) a dit pour droit que l'article 23 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que l'application, à l'égard d'une action en dommages-intérêts intentée par un distributeur à l'encontre de son fournisseur sur le fondement de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, d'une clause attributive de juridiction contenue dans le contrat liant les parties n'est pas exclue au seul motif que cette clause ne se réfère pas expressément aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d'une infraction au droit de la concurrence.
Elle ajoute, d’autre part, que par un arrêt en date du 20 octobre 2011 (CJUE, 20 oct. 2011, Interedil, aff. C-396/09), cette même juridiction a également dit pour droit que le droit de l'Union s'oppose à ce qu'une juridiction nationale soit liée par une règle de procédure nationale, en vertu de laquelle les appréciations portées par une juridiction supérieure nationale s'imposent à elle, lorsqu'il apparaît que les appréciations portées par la juridiction supérieure ne sont pas conformes au droit de l'Union, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne.
Or en l’espèce, compte tenu des faits d’après lesquels le distributeur avait assigné son fournisseur devant le juge français en soutenant que, dès l'ouverture de son premier Apple Store en France, la société Apple avait décidé le développement de son propre réseau de distribution et réservé, à cette fin, un traitement discriminatoire aux distributeurs indépendants qui, comme elle, en sont les principaux concurrents, en refusant ou en retardant la fourniture de nouveaux modèles au moment de leur mise sur le marché, puis en retardant les livraisons, la plaçant ainsi en situation de pénurie par rapport à son propre réseau de distribution, lui-même abondamment approvisionné, en lui refusant la possibilité de procéder à la pré-vente de certains produits, par ailleurs offerte aux clients se rendant sur le site Internet Apple Store ou dans les magasins Apple Store, et en imposant au demandeur au pourvoi des tarifs grossistes supérieurs aux prix de vente au détail pratiqués sur le site Internet Apple Store ou dans les magasins Apple Store, l’incompétence des juridictions nationales devait être constatée, les pratiques anticoncurrentielles alléguées, qui se seraient matérialisées dans les relations contractuelles nouées entre le distributeur et son fournisseur, au moyen des conditions contractuelles convenues avec lui, n’étant pas étrangères au rapport contractuel à l'occasion duquel la clause attributive de juridiction a été conclue, laquelle devait donc recevoir application.
L'article 23 du règlement (CE) n°44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, traitant des prorogations de compétence, prévoit que : « 1. Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un État membre, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties ». Si la clause litigieuse s'inscrivait sans aucun doute dans le cadre de cet article, les parties au litige s'opposaient toutefois sur son applicabilité au litige, introduit par le distributeur devant les juridictions françaises. Au cœur de leur opposition se trouvait le rattachement ou non des griefs invoqués au contrat qui les liait.
En effet, la formulation de l'article 23 du règlement, selon laquelle la clause de prorogation de compétence donne compétence à une juridiction choisie pour des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, concerne au premier chef l'exécution du contrat qui la stipule ; si elle peut également y inclure des litiges de nature extra-contractuelle pouvant survenir entre les parties, c’est à la condition expresse, et en l’espèce insatisfaite, qu'elle les énumère précisément, dans un souci de prévisibilité consistant à éviter qu'une des parties ne soit surprise par l'attribution à un for déterminé de l'ensemble des différends dans les rapports qu'elle entretient avec son cocontractant et qui trouveraient leur origine dans des rapports autres que celui à l'occasion duquel l'attribution de juridiction a été convenue. C’est la raison pour laquelle le fournisseur défendait le rattachement du litige à l'exécution du contrat, ce à quoi les juges du fond lui avaient opposé le fondement délictuel des demandes qui lui étaient adressées, ayant trait à la concurrence déloyale et à la violation des règles, tant françaises qu'européennes, en matière d'abus de position dominante. Il est vrai que si la position dominante d'une partie se rencontre fréquemment dans les contrats de distribution ou d'adhésion, l'abus de celle-ci, ne pouvant logiquement découler d'une exécution loyale de ce rapport de droit, est par essence délictuel.
Cependant, selon la jurisprudence européenne, une clause attributive de juridiction se référant de manière abstraite aux différends surgissant dans les rapports contractuels a vocation à s'appliquer à tous les litiges qui trouvent leur origine dans la relation contractuelle, que la responsabilité encourue soit de nature contractuelle ou délictuelle ; seuls les différends complètement étrangers à la relation contractuelle ne peuvent bénéficier de la prorogation conventionnelle de compétence que s'ils sont expressément mentionnés dans la clause attributive de juridiction. Cette position repose sur le constat que la formation comme l'exécution du contrat peuvent donner naissance à des litiges de nature délictuelle, qui sont prévisibles pour les cocontractants et doivent à ce titre bénéficier de la prorogation conventionnelle de compétence. Il s'en déduit que l'action en responsabilité, même délictuelle, fondée sur une violation des règles de concurrence, dès lors qu’elle trouve sa source dans la relation contractuelle, a vocation à bénéficier de la prorogation conventionnelle de compétence, ce qui tempère d’ailleurs, plus généralement, la distinction des deux types de responsabilité.
Or en l’espèce, les fautes invoquées par le distributeur s’apparentaient à des manquements contractuels imputables à son fournisseur. Elles trouvaient donc bien leur origine dans le contrat conclu entre les parties. Le comportement anticoncurrentiel allégué étant en lien avec le contrat contenant la clause attributive de juridiction, celle-ci devait donc déployer ses effets.
Civ. 1re, 30 janv. 2019, n°16-25.259
Références
■ CJUE, 24 oct. 2018, aff. C-595/17, D. 2018. 2338, note H. Gaudemet-Tallon ; AJ Contrat 2019. 31, obs. G. Parleani
■ CJUE, 20 oct. 2011, Interedil, aff. C-396/09, D. 2011. 2915, obs. A. Lienhard, note J.-L. Vallens ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 2196, obs. F.-X. Lucas et P.-M. Le Corre ; ibid. 2331, obs. L. d'Avout et S. Bollée ; Rev. sociétés 2011. 726, obs. P. Roussel Galle ; ibid. 2012. 116, note T. Mastrullo ; Rev. crit. DIP 2012. 189, note F. Jault-Seseke et D. Robine
Autres À la une
-
[ 20 décembre 2024 ]
À l’année prochaine !
-
Droit du travail - relations collectives
[ 20 décembre 2024 ]
Salariés des TPE : à vous de voter !
-
Droit du travail - relations individuelles
[ 19 décembre 2024 ]
Point sur la protection de la maternité
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 18 décembre 2024 ]
PMA post-mortem : compatibilité de l’interdiction avec le droit européen
-
Droit de la famille
[ 17 décembre 2024 ]
GPA : l’absence de lien biologique entre l’enfant et son parent d’intention ne s’oppose pas à la reconnaissance en France du lien de filiation établi à l'étranger
- >> Toutes les actualités À la une