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[ 15 février 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Clause d’indexation : principe et portée de la sanction du réputé non écrit

Une clause d’indexation du loyer ne jouant qu’à la hausse de l’indice doit être réputée non écrite et sa seule stipulation prohibée.

Civ. 3e, 12 janv. 2022, n° 21.11-169

Un bailleur donne à bail des locaux à usage commercial. Le contrat contient une clause d’indexation annuelle du loyer stipulant que celle-ci ne serait mise en œuvre qu’en cas de variation à la hausse de l’indice de référence. Erigée en condition déterminante de l’engagement du bailleur dont la non-application, partielle ou totale, justifierait sa demande en résiliation du bail, cette clause est contestée par le preneur, ainsi privé de la possibilité de profiter d’une modération du loyer par le jeu de l’indexation. L’estimant illégale, il en demande l’annulation à l’effet d’obtenir le remboursement du trop-perçu. Assigné en justice, le bailleur prend la précaution de soutenir qu’au cas où le juge déciderait d’évincer du contrat la clause litigieuse, l’annulation devrait être écartée au profit de la sanction du réputé non-écrit, et dans la limite de la stipulation prohibée, celle interdisant la baisse du loyer. Jugeant cette clause contraire aux principes de révision du loyer indexé prévus à l’article L. 145-39 du code de commerce, la cour d’appel fait droit à la demande du preneur en remboursement des loyers mais refuse d’accueillir celle en annulation de la clause litigieuse, la juridiction du second degré la réputant non écrite. Elle y procède toutefois en son entier, refusant que cette stipulation, conçue par le bailleur comme indivisible des autres, ne soit neutralisée qu’en sa partie relative à la prohibition de la baisse du loyer. 

Le bailleur forme un pourvoi en cassation, contestant à la fois la contrariété de la clause au texte précité et l’étendue de la sanction prononcée. Dans un premier temps, la Cour de cassation confirme l’illicéité de la clause et la sanction du réputé non-écrit qui doit en résulter : « 10. […] la cour d’appel a exactement retenu que la clause d’indexation excluant toute réciprocité de la variation en prévoyant que l’indexation ne s’effectuerait que dans l’hypothèse d’une variation à la hausse contrevenait aux dispositions de l’article L. 145-39 du code de commerce et devait être réputée non écrite par application de l’article L. 145-15 du même code ». Puis dans un second temps, elle casse l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 145-39 du code de commerce en raison de l’étendue de la sanction du réputé non écrit : « 17. Pour réputer la clause d’indexation non écrite en son entier, l’arrêt retient que l’intention du bailleur était d’en faire, sans distinction de ses différentes parties, une condition essentielle et déterminante de son consentement, toutes les stipulations de cette clause revêtant un caractère essentiel, conduisant à l’indivisibilité de celles-ci et empêchant d’opérer un choix entre elles pour n’en conserver que certaines. 18. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’indivisibilité, alors que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

■ Illicéité de la clause d’indexation à la hausse - Permettant aux parties au bail de s’accorder sur la variation automatique du loyer à des échéances déterminées et en fonction de la seule variation d’un indice de référence choisi, la clause d’indexation, ou « clause d’échelle mobile », est valable (Civ. 3e, 2 juin 1977, n° 76-13.199 ; Civ. 3e, 16 oct. 2013, n° 12-16.335). Sa révision pourra cependant être demandée chaque fois que par sa mise en œuvre, le loyer variera, à la hausse comme à la baisse, de plus du quart par rapport au prix fixé précédemment par contrat ou par décision judiciaire (C. com., art. L. 145-39).

Si la clause d’indexation est valable par principe, la licéité de celle ne jouant qu’à la hausse de l’indice de référence a été discutée. Alors que plusieurs cours d’appel l’avaient admis (Douai, 21 janv. 2010, n°08/08568 ; Aix-en-Provence, 15 mars 2013, n°11/06632), la Cour de cassation l’avait au contraire, dans un arrêt de principe du 14 janvier 2016, jugée illicite (Civ. 3e, 14 janv. 2016, n° 14-24.681). La Haute juridiction confirme ici la prohibition des clauses d’indexation dites « asymétriques », c’est-à-dire qui ne varient qu’à la hausse (V. D. Houtcieff, Droit commercial, 4e éd., Sirey, 2016, p. 301, n° 586).

Cette interdiction doit être approuvée car une telle clause contrevient non seulement à l’ordre public de protection de l’article L. 145-39 du code de commerce, qui prévoit la variation du prix du loyer des baux commerciaux dans les deux sens (à la hausse comme à la baisse), mais également à l’ordre public de direction du deuxième alinéa de l’article L. 112-1 du code monétaire et financier, qui répute non écrite toute clause d'un contrat à exécution successive, et notamment des baux et locations de toute nature, prévoyant la prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée s'écoulant entre chaque révision. 

En effet, comme le rappelle ici la Cour, le propre d'une clause d'échelle mobile est de faire varier à la hausse et à la baisse le montant du loyer (pt 8) : la clause du bail écartant toute réciprocité de variation fausse alors le jeu normal de l'indexation (v. déjà, Civ. 3e, 14 janv.2016, n° 14-24.681 préc.). C’est donc l’absence de réciprocité, dénaturant le mode de fixation du prix prévu par les parties, qui fonde cette solution protectrice des intérêts du preneur. Cette volonté d’éradiquer les clauses d’échelle mobile déséquilibrées s’inscrit également dans l'actuel mouvement de rééquilibrage du contrat de bail commercial en particulier, et des contrats de droit commun en général dont le nouvel article 1171 du code civil est le fer de lance (v. Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782). Ainsi l’interdiction ici rappelée des clauses d’indexation à la hausse repose-t-elle sur l’idée que chacune des parties à un bail commercial, et non pas le seul preneur, doit supporter le risque d’une variation du prix du loyer qui leur serait défavorable.

■ Sanction de la clause d’indexation à la hausse – Dans cette affaire, l’illicéité de la clause litigieuse n’était pas, en vérité, réellement discutée. Le débat portait essentiellement sur la sanction d’une clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse et ses conséquences. Confirmant la décision des juges d’appel de refuser l’annulation de la clause pour la réputer non écrite, la Cour de cassation rappelle que l’article L. 145-15 du code de commerce, modifié par la loi du 18 juin 2014 dite Pinel, a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 à L. 145-41 du code de commerce leur caractère réputé non écrit (pt 6). La différence de régime entre la nullité, en l’espèce demandée par le preneur, et le réputé non écrit, soulevé par le bailleur, réside essentiellement dans la prescription. En effet, seule l’action en nullité est soumise à la prescription extinctive de droit commun (C. civ., art. 2224), l’action tendant à voir réputer une clause non écrite y étant soustraite (Civ. 3e, 19 nov. 2020, n° 19-20.405 ; Civ. 3e, 30 juin 2021, n° 19-23.038). Elle n’est d’ailleurs pas même soumise, s’agissant d’une clause d’indexation, à la prescription biennale découlant de l’article L. 145-60 du code de commerce (Douai, 7 nov. 2019, n° 18/06415). Ainsi l’action en réputé non écrit ne fait-elle courir aucun délai, si bien qu’elle se distingue, comme l’avait justement analysé la cour d’appel, d’une action en nullité. Prolongeant son analyse, les hauts magistrats confirment que la clause d’indexation stipulée au bail commercial, qui a pour effet de faire échec au mécanisme de révision légale prévu par l’article L. 145-39 du code de commerce, doit être réputée non écrite en application de l’article L. 145-15 du même code. En l’espèce, le preneur avait pourtant sollicité la nullité de la clause, plutôt que la sanction du réputé non écrit. Ce choix peut d’abord s’expliquer par sa volonté d’obtenir, par l’annulation de la clause, le remboursement des loyers indûment perçus. Cependant, la sanction du réputé non écrit n’évince pas le jeu des restitutions. Dit autrement, nul besoin de passer par l’annulation de la clause d’indexation pour obtenir le remboursement du trop-perçu. En effet, la demande en restitution des sommes versées en exécution de l’indexation fondée sur une clause réputée non écrite est une action en paiement de l’indu (C. civ, art. 1302), et dans la mesure où une clause d’indexation réputée non écrite est censée n’avoir jamais existé, « les sommes indûment versées, puisque payées en vertu d’une clause inexistante » doivent être restituées (S. Regnault, « Bail commercial et clause d’indexation : suite et fin ? », Loyers et copr. 2021, n  5, étude 4). L’action en nullité du preneur peut également se comprendre par l’ambiguïté observée dans l’arrêt de principe du 14 janvier 2016 sur la sanction applicable à une clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse. En effet, alors que les hauts magistrats avaient d’abord opté pour sa nullité, ils s’étaient ensuite rangés à l’analyse de la cour d’appel, qui ayant « apprécié souverainement le caractère essentiel de l’exclusion d’un ajustement à la baisse du loyer à la soumission du loyer à l’indexation, a pu en déduire que la clause devait être, en son entier, réputée non écrite ». 

L’identité d’analyse de la cour d’appel et de la Cour de cassation dans cette affaire dissipe l’équivocité de l’arrêt précité : elle confirme qu’en application de l’article L. 145-15 du code de commerce, toute clause faisant échec à l’article L. 145-39 doit être réputée non écrite (pt 10 ; v. déjà, Civ. 3e, 19 nov. 2020, n° 19-20.405 préc.).

■ Étendue de la sanction de la clause d’indexation à la hausse – Bienvenu, l’accord des magistrats sur la sanction du réputé non écrit ne s’étendit toutefois pas à ses conséquences : alors que la cour d’appel avait réputé la clause d’indexation non écrite en son entier, la Cour de cassation module la sanction de son illicéité en affirmant que seule la stipulation prohibée doit être écartée.  Contrôlant les motifs caractérisant l’indivisibilité de la clause, qui seule permet de la réputer intégralement non écrite, la Haute cour considère que « seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée est réputée non écrite » (Civ. 3e, 29 nov. 2018, n  17-23.058, Civ. 3e, 11 mars 2021, n° 20-12.345). Cette limite a pour but d’éviter les conséquences financières drastiques susceptibles de résulter d’une clause d’indexation réputée non écrite en son entier, à savoir la restitution intégrale des sommes résultant de l’indexation indûment versées. Une limite à la règle précitée est toutefois réservée, tenant au caractère « essentiel » pour les parties de la disposition litigieuse (Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 19-17.139, Civ. 3e, 30 juin 2021, n° 19-23.038), justifiant alors de la réputer intégralement non écrite. 

L’alternative est donc la suivante : si l’exclusion de la variation à la baisse a été déterminante dans la volonté des parties de recourir à l’indexation, la clause, tenue pour indivisible, doit être déclarée non écrite en son entier ; au contraire, s’il ressort de l’intention des parties que cette exclusion n’était pas une condition essentielle mais accessoire à la clause d’indexation, seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite (Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 19-17.139 préc. ; Civ. 3e, 14 janv. 2016, n° 14-24.681 préc.). Déterminante de l’étendue de la sanction du réputé non écrit, l’appréciation du caractère divisible ou non de la clause, qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Paris, 30 janv. 2019, n° 17/07597), suppose de s’attacher à la commune intention des parties lorsqu’elles ont conclu le bail. Or dans l’arrêt rapporté, après avoir énoncé les modalités de la clause d’indexation, les contractants avaient expressément indiqué dans le bail que cette clause constituait une condition essentielle et déterminante sans laquelle le bailleur n’aurait pas contracté. Ce dernier avait donc entendu ériger l’ensemble des stipulations de la clause litigieuse en un élément essentiel de sa volonté de contracter, sans qu’il soit possible de distinguer entre ses différentes stipulations, formant un tout indivisible. De surcroît, la clause ajoutait que sa non-application partielle pourrait servir de fondement à une action du bailleur en résiliation du bail, ce qui confortait l’idée de l’indivisibilité de cette clause dont tous les termes revêtaient, à ses yeux, un caractère essentiel. Nonobstant la clarté de ces stipulations, la Cour de cassation considère que la cour d’appel a statué « par des motifs impropres à caractériser l’indivisibilité » (pt 18), probablement dans le dessein d’éviter au bailleur la restitution intégrale des sommes indûment versées. 

Quoi qu’il en soit, en l’absence d’indivisibilité caractérisée, « seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite », de sorte que les autres stipulations de la clause, licites, sont maintenues.

Références : 

■ Civ. 3e, 2 juin 1977, n° 76-13.199

■ Civ. 3e, 16 oct. 2013, n° 12-16.335D. 2013. 2464, obs. Y. Rouquet ; ibid. 2014. 1000, chron. A.-L. Collomp, A. Pic, V. Georget et V. Guillaudier ; AJDI 2014. 36, obs. F. Planckeel et A. Antoniutti ; ibid. 1, point de vue J.-P. Blatter

■ Douai, 21 janv. 2010, n° 08/08568AJDI 2010. 552, obs. Y. Rouquet

■ Aix-en-Provence, 15 mars 2013, n° 11/06632AJDI 2013. 517, obs. F. Planckeel

■ Civ. 3e, 14 janv. 2016, n° 14-24.681D. 2016. 199, obs. Y. Rouquet ; ibid. 1613, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI 2016. 365, obs. F. Planckeel et A. Antoniutti ; ibid. 157, point de vue J.-P. Dumur ; RTD com. 2016. 56, obs. J. Monéger

■ Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782D. 2022. 214

■ Civ. 3e, 19 nov. 2020, n° 19-20.405D. 2020. 2342 ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 980, chron. A.-L. Collomp, V. Georget et L. Jariel ; ibid. 1397, obs. M.-P. Dumont ; AJDI 2021. 513, obs. J.-P. Blatter ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin ; RTD civ. 2021. 124, obs. H. Barbier

■ Civ. 3e, 30 juin 2021, n° 19-23.038D. 2021. 1285 ; ibid. 2251, chron. A.-L. Collomp, B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda ; RTD civ. 2021. 635, obs. H. Barbier ; RTD com. 2021. 771, obs. F. Kendérian

■ Douai, 7 nov. 2019, n° 18/06415

■ Civ. 3e, 29 nov. 2018, n  17-23.058D. 2018. 2359 ; ibid. 2019. 1358, chron. A.-L. Collomp, C. Corbel, L. Jariel et V. Georget ; AJDI 2019. 531, obs. J.-P. Blatter

■ Civ. 3e, 11 mars 2021, n° 20-12.345AJDI 2021. 770, obs. S. Andjechaïri-Tribillac

■ Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 19-17.139AJDI 2021. 276, obs. D. Lipman-W. Boccara ; AJ contrat 2020. 581, obs. S. Regnault

■ Paris, 30 janv. 2019, n° 17/07597

 

Auteur :Merryl Hervieu


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