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Droit des obligations
Clause pénale et clause de dédit : le principe de distinction
Constitue une clause pénale celle qui prévoit, en cas de résiliation anticipée du contrat, une indemnité dont le montant, équivalent au prix dû en cas d’exécution du contrat jusqu’à son terme, confère à celle-ci un caractère comminatoire ayant pour objet de contraindre un cocontractant à exécuter le contrat jusqu'à son terme.
Dans un contrat de prestation de services, conclu pour une durée de cinq ans et ayant pour objet l’entretien de deux copieurs et la fourniture des produits nécessaires à leur utilisation, était stipulée une clause de résiliation anticipée obligeant le client à payer pour la durée résiduelle du contrat une indemnité égale à 100 % de la valeur moyenne mensuelle, facturée en fonction des copies effectuées depuis la date de conclusion du contrat jusqu’à sa résiliation anticipée, multipliée par le nombre de mois séparant la date de résiliation du contrat de son terme initial. Or le client avait résilié le contrat trois ans avant le terme prévu. Le prestataire de services l’avait alors assigné en paiement de l’indemnité de résiliation anticipée.
La cour d’appel accueillit sa demande : après avoir relevé que la résiliation par le client était intervenue prématurément, elle constata qu’en toute hypothèse, en cas de résiliation anticipée, le paiement d’une indemnité, calculée en fonction des indices prévus, devait, selon les termes du contrat, être versée ; elle ajouta qu’en vertu d’une clause particulière stipulée au contrat, la durée de celui-ci constituait un élément déterminant du consentement du prestataire, en sorte que toute rupture conventionnelle anticipée, de nature à créer un déséquilibre de l’économie générale du contrat, lui serait préjudiciable. Elle retint enfin que la clause de résiliation anticipée ne constituait pas une clause pénale, mais l'exécution d'une disposition contractuelle librement consentie et qu’ainsi, l'indemnité prévue par cette clause devait être payée en intégralité.
Au visa de l’article 1152 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, la Haute juridiction casse l’arrêt d’appel : « Alors que la clause litigieuse stipulait une indemnité de résiliation anticipée de la part du client dont le montant était équivalent au prix dû en cas d’exécution du contrat jusqu’à son terme et présentait, dès lors, un caractère comminatoire, en ayant pour objet de (le) contraindre d'exécuter le contrat jusqu’à cette date, de sorte qu'elle constituait une clause pénale et non une clause de dédit, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».
Si en pratique, la clause pénale et la clause de résiliation anticipée, ou clause de dédit, ont tendance à se confondre (V. notam. Com. 11 avr. 2018, n° 16-24.143), ces deux types de clauses se distinguent par leur objet, ce qui explique qu’elles n’assurent pas la même fonction.
La première a une fonction comminatoire et indemnitaire. En vertu de l’ancien article 1152, al. 1 du Code civil, applicable en l’espèce, la clause pénale est celle qui oblige, pour assurer l’exécution du contrat, celui qui y manquera à payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts. Pour être ainsi qualifiée, les juges doivent en conséquence vérifier si la clause soumise à leur contrôle vise à contraindre le débiteur à l’exécution du contrat, ce que l’on nomme son caractère comminatoire, et à sanctionner les conséquences de son inexécution par une évaluation forfaitaire et anticipée du préjudice, ce qui renvoie à son caractère indemnitaire.
La seconde a une fonction compensatoire : la clause de dédit confère aux parties la faculté unilatérale de se soustraire à l'exécution du contrat, moyennant le paiement d’une compensation ; ainsi celui qui use de cette faculté de rétractation ne commet pas de faute contractuelle, il exerce seulement un droit librement convenu par convention.
En l’espèce, la Cour de cassation s’est fondée sur la fonction comminatoire classique (quoique textuellement disparue depuis la réforme du droit des contrats, v. art. 1231-5, al. 1 nouv.) de la clause pénale pour requalifier ainsi la clause litigieuse, jugée en appel comme une clause de dédit. Cette fonction, que les parties assignent à une clause ayant pour objet de faire assurer par l’une des parties l’exécution de son obligation, se révèle particulièrement utile pour contrôler la qualification des clauses de résiliation unilatérale contenues dans les contrats de prestations de services à durée déterminée. Dans cette perspective, les juges prennent principalement en compte, pour caractériser la volonté de contraindre le client à l'exécution du contrat jusqu'à son terme, l’identité du montant prévu aux sommes qui auraient été facturées si le contrat avait été exécuté jusqu’à son terme initialement convenu ; ainsi la clause d’un contrat de prestation de services d'une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction, en vertu de laquelle le client s'engage à verser au prestataire, en cas de résiliation anticipée du contrat, l'intégralité du prix qu'il aurait dû payer jusqu'au terme de la durée du contrat, constitue-t-elle une clause pénale, et non une clause de dédit, puisque le montant fixé l’a été à l’effet de dissuader le client de rompre le contrat avant le terme prévu et d’évaluer forfaitairement le montant des dommages et intérêts dus en cette hypothèse au prestataire (Com. 10 mars 2015 n° 13-27.993, v. égal., Com. 13 févr. 2007, n° 05-17.054) ; la qualification de clause pénale sera a fortiori également retenue lorsqu’outre le montant particulièrement élevé de l’indemnité, la clause stipule expressément que celle-ci sera due à titre de « pénalité », confirmant que celle-ci n’a pas pour objet de conférer au client une simple faculté unilatérale de résiliation anticipée mais bien de l’obliger à respecter le terme prévu et à évaluer de manière forfaitaire le préjudice subi par le prestataire (Com. 5 déc. 2018, n° 17-22.346)
En revanche, la clause d’un contrat de prestation de services conclu pour neuf ans stipulant, en cas de résiliation anticipée provoquée par le client, une indemnité forfaitaire et définitive d'un montant variable selon la date à laquelle la rupture interviendrait, s’analyse en une clause de dédit, n’ayant pas pour objet de faire assurer par l'une des parties l'exécution de son obligation mais de lui octroyer une faculté de dédit lui permettant de se soustraire à cette exécution (Com. 14 oct. 1997 n° 95-11.448 ; v. égal., à propos d’un prêt, Civ. 1re, 11 oct. 1994, n° 92-13.947, et à propos d’un contrat de mandat, Civ. 1re, 6 mars 2001, n° 98-20.431).
L’intérêt de la distinction que rappelle la décision rapportée est le suivant : la cour d’appel, après avoir qualifié la stipulation litigieuse de clause de dédit, avait jugé en conséquence que l’indemnité prévue devait être « payée en intégralité », alors que le juge a le pouvoir de réviser à la hausse ou à la baisse le montant de la clause pénale s’il lui semble manifestement excessif ou dérisoire, liberté qu’il n’a pas s’agissant de la clause de résiliation anticipée (Com. 14 oct. 1997, préc.).
Le juge du droit ayant ici requalifié la stipulation litigieuse en clause pénale, les juges du fond devront en conséquence estimer le montant de l'indemnité résultant de son application, qu’ils pourront fixer librement, sans être tenu de le limiter à celui du dommage effectivement subi (Civ. 1re, 8 juin 2004, n° 00-15.497).
Com. 25 sept. 2019, n° 18-14.427
Références
■ Com. 11 avr. 2018, n° 16-24.143 P: D. 2018. 844 ; AJDI 2019. 218, obs. O. Poindron, Margaux Azoulay et J. Moreau ; AJ Contrat 2018. 295, obs. T. de Ravel d'Esclapon ; RTD com. 2018. 452, obs. B. Bouloc
■ Com. 10 mars 2015 n° 13-27.993: RTD civ. 2015. 378, obs. H. Barbier
■ Com. 13 févr. 2007, n° 05-17.054
■ Com. 5 déc. 2018, n° 17-22.346 P: AJ Contrat 2019. 132, obs. Y. Dagorne-Labbe ; JS 2019, n° 194, p. 9, obs. J. Mondou ; RTD civ. 2019. 103, obs. H. Barbier
■ Com. 14 oct.1997 n° 95-11.448 P: D. 1999. 103, note C. Willmann
■ Civ.1re, 11 oct. 1994, n° 92-13.947 P: D. 2001. 3243, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 2001. 589, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2001. 757, obs. B. Bouloc
■ Civ. 1re, 6 mars 2001, n° 98-20.431 P: D. 2001. 3243, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 2001. 589, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2001. 757, obs. B. Bouloc
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