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Droit des obligations
Clause pénale : rappel de ses éléments constitutifs
La clause prévoyant au profit du créancier le versement d’une indemnité en cas d’inexécution ne peut être qualifiée de clause pénale que si cette indemnité est forfaitaire et anticipée ; or, tel n’est pas le cas de la clause prévoyant un simple abattement d’une indemnité de fin de contrat ne pouvant excéder 30% de son montant total.
Civ. 2e, 31 mars 2022, n° 20-23.284
L’on sait l’enjeu lié à la qualification d’une stipulation de « clause pénale » : dérogeant, hier comme aujourd’hui, au principe de non-immixtion du juge dans le contrat tel que le commande la théorie générale du contrat, une telle qualification permet au juge de modérer le montant de l’indemnité due au créancier (C. civ., anc. art. 1152 ; art. 1231-5 nouv.). Tel était précisément l’enjeu de la clause litigieuse dans l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 31 mars dernier.
Au cas d’espèce, une convention collective prévoyait qu’en fin de mandat, l’indemnité due à un agent général d’assurance serait affectée d’un abattement de 30 % dans l’hypothèse de la découverte d’un déficit de caisse ou de fautes de gestion. Après avoir donné sa démission, l’agent d’assurance, contestant l'application de cet abattement, a assigné l'assureur en paiement de l'intégralité de l'indemnité de fin de contrat. Pour rejeter sa demande tendant à obtenir une réduction du montant de l'abattement, la cour d'appel a considéré que cette pénalité ne s’analysait pas en une clause pénale mais constituait l'un des éléments de calcul de l'indemnité de fin de mandat dans les cas prévus, en sorte qu'elle ne pouvait être soumise au pouvoir modérateur du juge. Devant la Cour de cassation, l’agent soutenait la qualification de clause pénale à propos de la pénalité litigieuse en ce qu’elle stipule, à la charge de l’agent sortant, une sanction sous la forme d'un abattement sur le montant total de son indemnité de cessation de fonctions en cas d’inexécution de ses obligations. La deuxième chambre civile devait donc répondre à la question de savoir si cette clause était constitutive d’une clause pénale dont le montant pouvait donner lieu à une modification par le juge ? Y répondant par la négative, elle approuve la cour d’appel d’avoir écarté une telle qualification. Après avoir rappelé les éléments constitutifs de la clause pénale, définie comme la « clause d’un contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et d’avance l’indemnité à laquelle donnera lieu l’inexécution de l’obligation contractée », elle les juge en l’espèce absents, l’abattement prévu n’étant ni forfaitaire ni déterminé à l'avance. Partant, la Cour de cassation considère que c’est, à bon droit que « l’arrêt retient que la stipulation qui prévoit un tel abattement n’est pas une clause pénale mais constitue l’un des éléments de calcul de l’indemnité de fin de mandat, de telle sorte qu’il n’est pas soumis au pouvoir modérateur du juge ».
L’abattement, une pénalité contractuelle - L'agent général d’assurances est un indépendant rémunéré par une ou plusieurs compagnies d'assurances qu'il représente en vertu d'un mandat, jouant ainsi un rôle d'intermédiaire entre les sociétés mandantes et les assurés. Par principe, la cessation de son mandat ouvre droit à une indemnité versée à son profit en contrepartie de la cession de sa clientèle personnelle et de la perte de ses commissions. Les modalités de calcul et de versement de cette indemnité compensatrice sont déterminées par un accord entre l'entreprise et le syndicat des agents généraux. Si l'agent général a droit à l'indemnité compensatrice quelle que soit la cause de la révocation ou de la fin de son mandat, le montant de son indemnité pourra être réduit en cas de comportement fautif de sa part. Ainsi est-il fréquent qu’à titre de sanction du manquement par l’agent sortant à ses obligations, les compagnies d’assurances prévoient une pénalité sous la forme d’un abattement sur le montant de son indemnité de cessation de fonctions. Ainsi, en l’espèce, l’assureur avait prévu un abattement plafonné à 30 % de l'indemnité en cas de déficit de caisse ou de faute de gestion de l’agent.
L’abattement, une pénalité incompatible avec la notion de clause pénale - La clause pénale se définit comme la stipulation d’un contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et par avance l’indemnité due en cas d’inexécution de l’obligation contractée. Ces deux caractères sont indispensables à la qualification de la notion : Propre à la clause pénale, la prédétermination forfaitaire de l’indemnité stipulée implique que son débiteur soit tenu de payer la somme préalablement convenue, sans pouvoir être condamné à verser une somme ni moindre ni plus élevée que celle stipulée, ce qui évite d’établir la réalité du préjudice et de procéder à l’évaluation judiciaire des dommages et intérêts. Pour être ainsi qualifiée, la clause pénale doit donc nécessairement fixer forfaitairement et de manière anticipée les conséquences du manquement contractuel (Civ. 1re, 10 oct. 1995, n° 93-16.869 ; D. 1996, Somm. 116 Ph. Delebecque : « constitue une clause pénale la clause d’un contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et d’avance l’indemnité à laquelle donnera lieu l’inexécution de l’obligation contractée » ; dans le même sens, v. Com. 16 juin 2009, n° 07-14.913 ; Civ. 3e, 26 janv. 2011, n° 10-10.376), ce qui n’était pas le cas en l’espèce dès lors que la pénalité prévue s’analysait en un abattement ne pouvant excéder un certain pourcentage : la clause litigieuse posait donc simplement un plafond au montant de l’indemnisation, sans constituer un forfait. À l’instar d’une clause limitative de réparation, en cela distincte de la clause pénale, la clause litigieuse ne prévoyait donc pas le règlement d’une indemnisation forfaitaire anticipée, mais fixait un simple plafonnement indemnitaire. Au contraire d’une clause pénale, dont la somme fixée ne peut par principe être ajustée en fonction de l’étendue réelle du préjudice éprouvé, la clause litigieuse admettait une telle modulation, sous la seule réserve que le montant de la pénalité ne dépasse pas 30% du montant total de l’indemnité prévue. Autrement dit, l’abattement prévu par la clause litigieuse s’apparentait à une variable d’ajustement du calcul de l’indemnité contractuelle : ainsi la cour d’appel a-t-elle à bon droit retenu que la stipulation litigieuse ne constituait pas une clause pénale prévoyant le montant de la sanction indemnitaire en cas d’inexécution de ses obligations par l’agent général, mais servait seulement d’élément de calcul de l’indemnité de fin de mandat, dans les cas prévus. En précisant ainsi la finalité de la clause, la Cour offre l’occasion de rappeler que la clause pénale demeure de la nature des dommages et intérêts (comme en témoigne la place de l’article 1231-5 du code civil, dans la section intitulée « La réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat ») que le pouvoir modérateur du juge laisse inchangée, ne faisant pas perdre à la clause pénale sa fonction d’indemnité contractuelle que condamnait en revanche la clause en l’espèce stipulée, dont l’objet visait non pas à sanctionner par un forfait prédéfini l’inexécution d’une obligation, mais à fournir une variable d’évaluation au calcul de l’indemnité due en cas de faute de son créancier.
Références :
■ Civ. 1re, 10 oct. 1995, n° 93-16.869 : D. 1996. 486, note B. Fillion-Dufouleur ; ibid. 116, obs. P. Delebecque
■ Com. 16 juin 2009, n° 07-14.913
■ Civ. 3e, 26 janv. 2011, n° 10-10.376 : D. 2011. 441 ; ibid. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; RTD civ. 2011. 373, obs. T. Revet
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