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Droit des obligations
Clauses abusives : le contractant professionnel peut en être protégé
Mots-clefs : Clauses abusives, Personnes visées, Personnes morales (oui), Critères d’appréciation, Incompétence, Lien indirect avec l’activité professionnelle
Une société civile immobilière, promoteur immobilier, étant un professionnel de l’immobilier mais non un professionnel de la construction, doit être considérée comme un non-professionnel vis-à-vis de son cocontractant en application de l’article L. 132-1 du Code de la consommation et la clause limitative de responsabilité, abusive, doit en conséquence être annulée.
Une société civile immobilière (SCI) avait conclu avec une autre société un contrat de construction ayant pour objet la réalisation d’un ensemble de villas avec piscines. Une troisième société avait parallèlement été chargée par la SCI d'une mission de contrôle technique portant sur la solidité des ouvrages et des éléments d'équipement. Face au constat de plusieurs désordres sur cinq piscines, la SCI avait assigné en indemnisation la société de contrôle technique, dénonçant l’abus de la clause limitative de responsabilité stipulée dans son contrat. La cour d’appel fit droit à sa demande, annulant la clause litigieuse. La société condamnée forma alors un pourvoi en cassation pour soutenir que la SCI ayant conclu un contrat en rapport direct avec son activité professionnelle et pour les besoins de celle-ci, elle a contracté en qualité de professionnel et qu’à ce titre, elle ne peut bénéficier de la protection légale contre les clauses abusives. Elle soutenait également que la clause n’était pas abusive dès lors qu'elle ne conduisait pas à réduire l'indemnisation à un montant dérisoire au regard des obligations corrélatives de son cocontractant. La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif, d’une part, qu’ « ayant relevé que la SCI, était un promoteur immobilier mais pas un professionnel de la construction, la cour d’appel a pu retenir que celle-ci devait être considérée comme un non-professionnel vis-à-vis du contrôleur technique en application de l’article L. 132-1 du code de la consommation », d’autre part, que les juges du fond ont retenu à bon droit que la clause litigieuse s’analysant comme « une clause de plafonnement d’indemnisation (…) contredisant la portée de l’obligation essentielle souscrite par le contrôleur technique en lui permettant de limiter les conséquences de sa responsabilité contractuelle quelles que soit les incidences de ses fautes, constituait une clause abusive, qui devait être déclarée nulle et de nul effet ».
En matière de clauses abusives, la législation s'applique aux « consommateurs ou non-professionnels ». L'emploi de la conjonction de coordination « ou » avait suscité des interrogations sur le point de savoir s'il s'agissait de notions similaires ou distinctes. Ces doutes furent levés en 2005 par la Cour de cassation (Civ. 1re, 15 mars 2005, n° 02-13.285. V. égal. Civ. 1re, 4 juin 2014, 13-13.779) : le non-professionnel est une personne distincte du consommateur. Se trouve en conséquence protégé par la législation sur les clauses abusives, d’une part, le professionnel personne physique contractant pour ses besoins professionnels mais dans un domaine ne relevant pas de sa compétence et d’autre part, les personnes morales, ce que la Cour avait déjà clairement déduit de l’arrêt du 22 novembre 2001 de la CJUE (Sté Cape c/ Sté Ideal service MN RE, n° C-541/99 et C-542/99), affirmant que si « la notion de consommateur, telle que définie à l'article 2, sous b), de la directive n° 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu'elle vise exclusivement des personnes physiques, la notion distincte de non-professionnel, utilisée par le législateur français, n'exclut pas les personnes morales de la protection contre les clauses abusives » (Civ. 1re, 15 mars 2005, préc. V. déjà Civ. 1re, 28 avr. 1987, n° 85-13.674), sauf à constater l’existence d’un lien direct entre le contrat et son activité professionnelle.
En l’espèce, la Cour rappelle que les personnes morales sont protégées par l’article L. 132-1 du Code de la consommation. Elle adopte cependant une conception assez souple du lien indirect en retenant que la SCI, quoique professionnel de l’immobilier, ne l’est pas de la construction. Elle fait enfin une nouvelle application de la jurisprudence Chronopost (Com. 22 oct. 1996, n° 93-18.632) en annulant la clause limitative de responsabilité en ce qu’elle contredit, en raison de l’absence de restriction des éléments fixés pour limiter l’engagement de sa responsabilité, l’engagement essentiel souscrit par le débiteur. En effet, la clause vise tous les manquements contractuels et tous les préjudices sans distinction aucune, en sorte que l’obligation essentielle de la société de contrôle technique se trouve vidée de toute sa substance. La sanction de cette stipulation était naturellement encourue. En revanche, celle ici choisie par les juges surprend, ces derniers appliquant une sanction relevant du droit commun contractuel - la nullité – au lieu de celle propre au droit de la consommation qui semblait donc en l’espèce s’imposer, le réputé non-écrit. Soulignons enfin que la protection des professionnels contre l’abus est également prévue par l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce et par le nouvel article 1171 du Code civil issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
Civ. 3e, 4 févr. 2016, n° 14-29.347
Références
■ Civ. 1re, 15 mars 2005, n° 02-13.285 P, D. 2005. 1948, note A. Boujeka ; ibid. 887, obs. C. Rondey ; ibid. 2836, obs. S. Amrani Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2005. 393, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2005. 401, obs. D. Legeais ; ibid. 2006. 182, obs. B. Bouloc ; Rev. UE 2015. 434, étude P. Bourdon ; ibid. 473, étude B. Vincendeau.
■ Civ. 1re, 4 juin 2014, n° 13-13.779 P, D. 2014. 1268 ; ibid. 2015. 588, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2015. 44, obs. D. Tomasin ; RTD com. 2014. 677, obs. B. Bouloc
■ CJUE 22 nov. 2001, Sté Cape c/ Sté Ideal service MN RE, n° C-541/99 et C-542/99, D. 2002. 90, obs. C. Rondey ; ibid. 2929, obs. J.-P. Pizzio ; RTD civ. 2002. 291, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 397, obs. J. Raynard ; RTD com. 2002. 404, obs. M. Luby ; Rev. UE 2015. 434, étude P. Bourdon.
■ Civ. 1re, 28 avr. 1987, n° 85-13.674 P, D. 1988, 1, note Ph. Delebecque ; Rev. UE 2015. 473, étude B. Vincendeau.
■ Com. 22 oct. 1996, n° 93-18.632 P, D. 1997. 121, note A. Sériaux ; ibid. 145, chron. C. Larroumet ; ibid. 175, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 1997. 418, obs. J. Mestre ; ibid. 1998. 213, obs. N. Molfessis ; RTD com. 1997. 319, obs. B. Bouloc.
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