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[ 28 juin 2010 ] Imprimer

Droit pénal spécial

Clôture du procès de Jérôme Kerviel : retour sur l’infraction d’abus de confiance

Mots-clefs : Abus de confiance, Marchés financiers, Détournement, Remise, Préjudice, Trader, Contrat de travail, Mauvaise foi, Droit pénal des affaires

Retour sur les éléments constitutifs de l’abus de confiance, à la lumière des débats qui se sont déroulés durant trois semaines devant le tribunal correctionnel de Paris.

Le procès du trader de la Société générale sest terminé vendredi devant le tribunal correctionnel de Paris. Les débats ont été l’occasion d’entendre les différents acteurs de cette affaire hors-norme (portant sur 50 milliards d’euros), qui ont parfois laissé l’impression de noyer les juges sous les détails techniques. Rappelons que M. Kerviel est accusé d’avoir commis trois délits différents : abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système automatisé, faux et usage de faux.

Nous revenons plus particulièrement sur l’infraction d’abus de biens sociaux, qui est prévue à l’article 314-1 du Code pénal, et punie de trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amendes.

-          La chose détournée

Aux termes de l’article 314-1 du Code pénal, l’abus de confiance peut porter sur « des fonds, des valeurs ou un bien quelconque ». En l’espèce, M. Kerviel était trader pour le compte de la Société générale. Il convient de préciser qu’il ne lui est pas reproché d’avoir détourné les actifs financiers sur lesquels il spéculait. En revanche, dans le cadre de son métier de trader, M. Kerviel a utilisé les moyens informatiques et la possibilité de passer des ordres sur les marchés financiers au nom de la Société générale. En effet, les biens non corporels peuvent faire l’objet d’un abus de confiance en droit français. Ainsi, la dématérialisation de l’abus de confiance a été acceptée par la Cour de cassation dans l’hypothèse du détournement d’un numéro de carte de crédit (Crim. 14 nov. 2000).

-          La remise

La remise est la seconde condition préalable à l’infraction d’abus de confiance. Dans le cadre de l’article 408 de l’ancien Code pénal, la remise était nécessairement réalisée dans le cadre d’un des six contrats prévus par la loi (louage, dépôt, mandat, nantissement, prêt à usage, travail salarié ou non salarié). L’article 314-1 du Code pénal n’a pas conservé ce carcan contractuel, ce qui a élargi le domaine d’incrimination de l’abus de confiance (v. M. Delmas Marty, « Nouveau code pénal, avant-propos »). En l’espèce, la Société générale employait M. Kerviel au sein du désormais fameux desk Delta one, chargé de réaliser des opérations financières sur le marché des options et contrats à terme. Dans le cadre de son travail, il s’était donc vu confier le titre de trader et les moyens informatiques nécessaires à la passation des ordres sur les marchés, à charge pour lui d’en faire un usage conforme à la volonté de la banque.

-          Détournement

Selon une jurisprudence bien établie, le détournement consiste à ne pas faire de la chose remise un « usage convenu par les parties » (Crim. 14 nov. 2000). Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation a pu décider que le fait pour un employé d’utiliser la connexion Internet ainsi que le matériel informatique mis à sa disposition par l’entreprise pour visiter des sites pornographiques constituait un détournement « de l'usage pour lequel ils avaient été mis à sa disposition » (Crim. 19 mai 2004). Habituellement, le détournement est constitué lorsque « le propriétaire de la chose confiée ne peut plus exercer ses droits sur elle » (Crim. 12 juin 1978).

En l’espèce, le trader est accusé d’avoir dépassé les limites que lui avait fixé la banque dans le cadre de sa mission. La Société générale prétend que chaque trader pouvait engager jusqu’à 125 millions d’euros par jour sur les marchés. Le tribunal correctionnel de Paris a cherché à savoir si cette limite existait réellement, et si Jérôme Kerviel l’avait délibérément dépassé. Selon M. Kerviel, ses supérieurs hiérarchiques étaient au courant du montant anormal de ses positions, ce qui priverait ses actes du caractère abusif nécessaire au détournement.

-          Le préjudice

La jurisprudence reconnaît que le préjudice en matière d’abus de confiance peut être moral ou financier (v. Crim 6 avr. 1882). En l’espèce, la Société générale prétend avoir subi les deux types de dommage. En effet, suite à la découverte des placements financiers hasardeux du trader, la banque a dû « déboucler » ses positions, c'est-à-dire vendre au mieux les titres sur lesquels s’était engagé M. Kerviel. Un rapport de la Mission Green, mise en place par la Société générale elle-même, fait état d’une perte de 4,9 milliards d’euros. Au niveau moral, la perte est difficile à chiffrer, mais la réputation de la Société générale, qui, comme pour toute banque, repose sur la confiance des déposants, a été sérieusement "atteinte".

-          L’intention frauduleuse

Les juges ont dû rechercher dans les agissements de Jérôme Kerviel « l’intention frauduleuse » (Crim. 4 avr. 1924). Selon Wilfried Jeandidier, le coupable doit avoir eu la « connaissance de la prévisibilité du résultat dommageable de son comportement ». Or, M. Kerviel a admis avoir contourné les systèmes de contrôle, en envoyant de faux courriels visant à justifier le montant anormal de ses ordres (ce qui lui vaut par ailleurs d’avoir été mis en examen pour faux et usage de faux).

 

Références

■ Abus de confiance

Fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs, ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.

■ Faux

« Crime ou délit réalisé par toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit (public, authentique, privé) ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques.

Le faux est « matériel » lorsqu’il affecte le contenant représenté par l’écrit ou le support, et « intellectuel » lorsqu’il porte sur son contenu. »

Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.

■ Article 314-1 du Code pénal

« L'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé.

L'abus de confiance est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende. »

■ W. JeandidierDroit pénal des affaires, 6e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2005, p. 13 s.

■ M. Delmas Marty, « Nouveau code pénal, avant-propos », RSC 1993. P. 433.

■ Crim 14 nov. 2000, Bull. crim. 2000 n° 338.

■ Crim. 12 juin 1978, Bull. crim. n° 188.

■ Crim. 19 mai 2004Bull. crim. 2004 n° 126 ; D. 2004. p. 2748, obs. B. de Lamy.

■ Crim. 6 avr. 1882 ; Bull. crim. n° 82.

■ Mission GreenRapport de synthèse de l’inspection générale, Société générale, 20 mai 2008.

 

Auteur :B. H.

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