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Droit des obligations
Colocataires, attention aux clauses de solidarité !
Outre les problématiques de ménage et de cohabitation, la colocation peut générer des conflits portant sur le paiement des loyers et/ou indemnités d’occupation lorsque l’un des colocataires se maintient illégalement dans les lieux après résiliation du bail. Aussi faut-il, lors de la signature du contrat de location, être particulièrement vigilent aux clauses de solidarité : de telles stipulations peuvent prévoir qu’aucun congé ne peut valablement être donné indépendamment des autres colocataires. Dès lors, le copreneur qui aurait quitté les lieux reste tenu de payer solidairement l’arriéré locatif généré par les autres, et ce jusqu’à la résiliation du bail. Néanmoins, et puisque la solidarité ne se présume pas en matière civile, les juges ne peuvent le condamner au paiement solidaire des indemnités d’occupation consécutives à la résiliation du contrat sans constater qu’il existe une clause en ce sens.
Dans l’arrêt commenté, les propriétaires d’une maison d’habitation poursuivent la résiliation du bail octroyé à deux preneurs. Ils sollicitent en outre le paiement solidaire de l’arriéré locatif et le versement d’indemnités d’occupation.
La cour d’appel accueille ces demandes : elle condamne solidairement les colocataires à s’acquitter de la totalité de la dette locative et à verser une indemnité d’occupation à compter de la résiliation du bail jusqu’à la libération des lieux.
Un pourvoi est alors formé par l’un d’eux. Le moyen se divise en deux branches :
Dans un premier temps, le preneur invoque le congé qu’il a délivré en juin 2009. Ayant quitté les lieux prématurément, il soutient n’être redevable d’aucune somme à compter de son départ.
Toutefois, dans l’arrêt commenté, les juges d’appel, approuvés par la Cour de cassation, relèvent l’existence d’une clause par laquelle les preneurs étaient solidairement et indivisiblement tenus de l’exécution du bail et qu’aucun congé donné par l’un d’eux, indépendamment de son colocataire, ne pouvait être reçu. Dès lors, le copreneur, qui a expressément renoncé à son droit de rompre seul le contrat, ne peut se prévaloir du congé délivré individuellement : celui-ci est irrégulier. Prisonnier du bail, il reste tenu de la totalité des loyers impayés jusqu’à sa résiliation, et ce malgré son départ. La solution peut sembler sévère (les moyens annexes révèlent une dette locative à hauteur de 32 224,56 euros !), mais le contrat étant la loi des parties, il ne pouvait en être autrement (C. civ, art. 1103).
Par ailleurs, et quand bien même le congé serait régulier, l’argumentation du requérant ne pouvait prospérer : s’agissant des contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi ALUR du 24 mars 2014, la jurisprudence considère que la solidarité survit au congé délivré par l’un des copreneurs (Civ. 3e, 8 nov. 1995, n° 93-17.110). Une telle solution s’explique par le fait qu’un tel acte ne met pas fin au contrat de bail (et donc à la dette de loyer) qui se poursuit entre le bailleur et l’autre copreneur : de la sorte, la stipulation de solidarité demeure et affecte ainsi les modalités de l’obligation de versement du loyer. Les effets du congé se retrouveront néanmoins au stade de la contribution à la dette, lorsque le colocataire qui s’est acquitté de l’arriéré locatif se retournera contre le copreneur défaillant (V. D. 2017. 430, note S. Tisseyre).
À noter que la loi ALUR permet un assouplissement de cette solution, en insérant l’article 8-1 dans la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 : « la solidarité d'un des preneurs prend fin à la date d'effet du congé régulièrement délivré et lorsqu'un nouveau colocataire figure au bail. À défaut, elle s'éteint au plus tard à l'expiration d'un délai de six mois après la date d'effet du congé » (Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, art. 8-1, inapplicable aux contrats en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi ALUR : Metz, 7 févr. 2017, n° 14/02873).
Dans un second temps, le preneur reproche aux premiers juges de l’avoir condamné solidairement au paiement des indemnités d’occupation sans constater qu’il existait une clause de solidarité en ce sens. Or, la solidarité ne se présume pas et doit être expressément stipulée.
C’est cette dernière argumentation qui emporte l’adhésion de la Cour de cassation. Les juges du Quai de l’Horloge cassent partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel au visa de l’ancien article 1202 du Code civil : « Attendu que la solidarité ne se présume point ; qu’il faut qu’elle soit expressément stipulée […] Qu’en statuant ainsi, sans constater que le bail prévoyait que la clause de solidarité s’appliquait au paiement de l’indemnité d’occupation consécutive à la résiliation du bail, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
La solution ne saurait surprendre : les effets de la solidarité étant particulièrement conséquents, il est nécessaire que les parties se soient, par le biais d’une stipulation expresse, accordées en ce sens. Par ailleurs, et comme le précise Ph. Le Tourneau, « il est logique que la solidarité ne se présume pas puisqu'il s'agit d'une exception par rapport au principe [des dettes conjointes], et que l'interprétation des conventions se fait en faveur du débiteur si le contrat est de gré à gré, et contre celui qui l'a proposé s'il s'agit d'un contrat d'adhésion » (Rép. civ. Dalloz, V. Solidarité).
Ainsi, doivent être censurés les juges du fond qui astreignent solidairement les deux colocataires au paiement d’indemnités d’occupation sans fonder cette condamnation sur l’existence d’une clause de solidarité (pour d’autres exemples : Civ. 3e, 13 juin 2001, n° 99-18.38. Civ. 3e, 5 mai 2004, n° 03-10.201).
Civ. 3e, 14 juin 2018, n° 17-14.365
Références
■ Civ. 3e, 8 nov. 1995, n° 93-17.110 P: D. 1996. 368, obs. CRDP Nancy II ; RDI 1996. 285, obs. F. Collart-Dutilleul et J. Derruppé.
■ Metz, 7 févr. 2017, n° 14/02873 : Rev. loyers 2017. 127, obs. S. B.
■ Civ. 3e, 13 juin 2001, n° 99-18.382 : AJDI 2001. 875, obs. P. Briand.
■ Civ. 3e, 5 mai 2004, n° 03-10.201 : D. 2004. 1502 ; ibid. 2005. 749, obs. N. Damas ; AJDI 2004. 449, obs. Y. Rouquet ; ibid. 803, obs. Y. Rouquet ; RTD civ. 2004. 510, obs. J. Mestre et B. Fages.
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