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Droit du travail - relations collectives
Comité d’établissement et comité central d’entreprise : la Cour de cassation maintient le cumul des expertises-comptables
Quand bien même le comité central d’entreprise aurait déjà sollicité une expertise-comptable dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise, le comité d’établissement peut se faire assister de son propre expert.
« L’évolution de la jurisprudence est inéluctable ». Telle était la conclusion de nombreux auteurs qui affirmaient que la loi Rebsamen de 2015 devait nécessairement conduire la Cour de cassation à revoir son approche du droit à l’expertise comptable dans les entreprises à structure complexe. L’arrêt du 16 janvier 2019 en prend pourtant le contrepied : la Cour de cassation maintient fermement sa solution.
La question juridique est assez simple : lorsqu’une entreprise est dotée d’un comité central d’entreprise et de comités d’établissement, quelles sont les entités qui doivent être consultées et par conséquent, peuvent exiger d’être assistées par un expert-comptable rémunéré par l’employeur ?
La réponse de la Cour de cassation est claire : tous les comités concernés. Pour comprendre la solution et identifier sa portée, il est nécessaire de revenir sur son histoire.
Historique : Dès 1992, la Cour de cassation a admis que le droit du comité central d’entreprise d'être assisté pour l'examen annuel des comptes de l'entreprise ne prive pas le comité d'établissement du droit d'être assisté par un expert-comptable (Soc. 11 mars 1992, n° 89-20. 670 ; Soc. 8 oct. 2014, n° 13-16.845). La solution est vivement critiquée par certains auteurs car elle conduit à multiplier le nombre d’expertises sur des données comptables similaires. Ainsi, pour une entreprise dotée d’une cinquantaine d’établissements distincts, le coût total de l’expertise peut s’avérer extrêmement important. Or, la loi Rebsamen du 17 août 2015 a souhaité rationnaliser les consultations récurrentes et ponctuelles des comités d’entreprise et limiter le coût de l’expertise. Désormais, il existe trois consultations récurrentes : la première sur les orientations stratégiques de l’entreprise, la seconde sur sa situation économique et financière, la troisième sur sa politique sociale et les conditions de travail (C. trav., art. L. 2312-17). Pour ces trois consultations, le comité peut se faire assister d’un expert-comptable, financé intégralement ou partiellement par l’employeur (C. trav., art. L. 2315-80). Par ailleurs, la loi de 2015 a précisé la clé de répartition des compétences entre le comité central et les comités d’établissement en accordant une compétence exclusive au comité central lorsque le projet est décidé au niveau de l’entreprise et ne comporte pas de mesures d’adaptation spécifiques pour les établissements (C. trav., anciens art. L. 2327-2 et L. 2327-15). L’esprit du texte comme sa lettre sont dès lors invoqués par les auteurs pour justifier une évolution de la jurisprudence et n’autoriser la consultation et partant l’expertise qu’au niveau du comité central d’entreprise tant qu’aucune mesure n’affecte spécialement un établissement.
Solution : En l’espèce, plusieurs comités d’établissements de la FNAC ont sollicité chacun leur propre expert-comptable pour analyser les comptes de l’établissement dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière. La société Relais FNAC a alors saisi le TGI d’une demande d’annulation de ces délibérations. Déboutée par les juges du fond, la FNAC forme un pourvoi en cassation arguant notamment de l’évolution des textes issue de la loi Rebsamen. La Cour de cassation rejette le pourvoi en développant un raisonnement en deux temps.
En premier lieu, elle affirme que « le comité d’établissement a les mêmes attributions que le comité d’entreprise dans la limite des pouvoirs confiés au chef d’établissement. Or la mise en place d’un comité d’établissement suppose que ce dernier dispose d’une autonomie suffisante en matière de gestion du personnel et de l’activité économique de l’établissement ». Cet argument est exactement le même que celui adopté pour fonder la jurisprudence antérieure (Soc. 8 oct. 2014, préc.). La Cour de cassation tisse un lien abstrait entre le découpage en établissement distinct et le cadre des consultations récurrentes du comité. Il n’est pas nécessaire, comme le soutenait le demandeur au pourvoi, de vérifier in concreto les pouvoirs du chef d’établissement. Peu importe dès lors que ce dernier ne fasse qu’exécuter la politique économique, budgétaire et financière décidée au niveau central. L’existence de l’établissement distinct fait en quelque sorte présumer la compétence du chef d’établissement dans le domaine économique (en ce sens, G. Auzero, Bull. Joly Société 2014, n° 12, p. 692). Partant, la consultation et le droit à l’expertise qui y est associé peut nécessairement se faire à ce niveau. La clé de répartition des compétences adoptée par la loi Rebsamen n’y change rien.
En second lieu, la Cour de cassation répond à la critique doctrinale, reprise dans le pourvoi, faisant valoir que le cumul des expertises ne présente aucune utilité puisqu’elles portent sur des données comptables similaires. L’apport de l’arrêt est ici certain. La Cour de cassation précise que l’objet de l’expertise n’est pas strictement le même que celui diligenté par le comité central. Il s’agit pour l’établissement de connaitre sa situation « dans l'ensemble de l'entreprise et par rapport aux autres établissements avec lesquels il doit pouvoir se comparer ». Cette précision aura sans doute de l’importance au moment d’identifier le cahier des charges - donc la rémunération - de l’expert-comptable. (C. trav., art. L. 2315-81-1).
Portée : La solution de la Cour de cassation, rendue sous l’empire de la loi Rebsamen, demeure-elle applicable avec la mise en place du comité social et économique ?
Certains auteurs affirmeront de nouveau que l’évolution de la jurisprudence est inéluctable. En effet, la rédaction des textes portant sur la clé de répartition des compétences a été affinée. L’article L. 2316-1 du Code du travail indique que le comité central est « seul consulté sur les projets et consultations récurrentes décidées au niveau de l’entreprise » et l’article L. 2316-20 du même code précise que le comité d’établissement est consulté « sur les mesures d’adaptation des décisions arrêtées au niveau de l’entreprise ». Concernant plus spécialement l’expertise, le législateur a pris le soin de préciser que le comité d’établissement ne peut y faire appel que s’il est compétent (C. trav., art. L. 2316-21). Surtout, lorsqu’il s’agit de projets importants concernant l’entreprise en matière économique et financière, la désignation de l’expert est effectuée par le comité central (C. trav., art. L. 2316-3). Toutefois, la précision apportée par l’arrêt du 16 janvier 2019 sur l’objet de l’expertise au niveau de l’établissement pourrait bien balayer de nouveau les arguments textuels. L’analyse des données comptables doit permettre au comité d’établissement d’identifier sa place dans l’ensemble de l’entreprise et comparer sa situation aux autres. Tant que la Cour de cassation retiendra que l’existence d’un comité d’établissement implique nécessairement la compétence du chef d’établissement en matière de conduite de l’activité économique, la consultation sur la situation économique et financière à ce niveau semble justifiée. C’est donc sur le terrain de la notion d’établissement distinct que pourrait glisser le contentieux. Si jusqu’en 2015, c’est le Conseil d’État, qui était compétent pour statuer sur les recours diligentés contre la décision du Direccte, c’est désormais la Cour de cassation qui est en charge de ce contrôle (C. trav., art. L. 2313-5). Or elle a rendu récemment une décision précisant que caractérise « un établissement distinct l’établissement qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service » (Soc. 19 déc. 2018, n° 18-23.655). A un mois d’intervalle, la Cour de cassation ne retient pas exactement la même définition de l’établissement distinct. Nulle trace, dans l’arrêt du 19 décembre, d’une référence à « l’autonomie en matière de conduite de l’activité économique », qui, dans l’arrêt du 16 janvier, explique largement le droit à l’expertise. Une précision de la Cour régulatrice sur la notion d’établissement distinct s’impose !
Soc. 16 janvier 2019, n° 17-26.660; n° 17-26.924, n° 17-26.925
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Comité d'entreprise (Organisation, fonctionnement)
■ Soc. 11 mars 1992, n° 89-20. 670 P : Dr. soc. 1993. 286, note M. Cohen
■ Soc. 8 oct. 2014, n° 13-16.845
■ Soc. 19 déc. 2018, n° 18-23.655 P: D. 2019. 19
■ « Articulation CCE/ comités établissement: une nouvelle donne », SSL 2016, n° 1747
■ « Les consultations annuelles et l’expertise : un droit pour les comités d’établissement ? », SSL 2017, n° 1777, note B. Allix et J. Grangé
■ « Consultations périodiques et expertises dans les entreprises à établissements multiples », Bulletin du travail, 2017, n° 293, p. 79, note C. Frouin et V. Roche
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