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[ 14 décembre 2015 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Comment protéger la santé mentale des salariés exposés aux risques d'attentats terroristes ?

Mots-clefs : Santé mentale, Attentats, Salarié, Air France, Licenciement, Visite médicale

Après les épouvantables attentats perpétrés sur le sol français le 13 novembre dernier, les entreprises vont être confrontées à des interrogations essentielles sur la manière de prendre en charge la santé mentale de leurs salariés.

La question ne se pose pas seulement aux entreprises directement victimes du terrorisme, mais à celles qui emploient des salariés dans des fonctions les exposant à des risques de terrorisme : vigiles, agents de sécurité, salariés travaillant dans des lieux touristiques notoires, etc… Ces angoisses génèrent des risques psychologiques graves. Les entreprises, tenues de prendre les « mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » au titre de l'article L. 4121-1 du Code du travail ne peuvent ignorer les obligations qui pèsent sur elles en la matière. De façon concrète, quelles obligations peut-on à ce titre mettre à leur charge, et où s'arrêtent les obligations de l'employeur ? Il appartient évidemment aux entreprises et à leurs représentants du personnel de le déterminer. 

Un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 25 novembre 2015 montre toute la complexité des choix à opérer en la matière. Un chef de cabine de la compagnie Air France était arrivé en escale à New York le 10 septembre 2001, où il assiste de sa chambre d'hôtel à Manhattan à l'attentat contre le World Trade center. Il revient par un vol peu de temps après avec le reste de l'équipage, en apparente bonne condition, signalant le cas d'une hôtesse en détresse psychologique aux personnels soignants venus les accueillir à l'aéroport, puis rentrant chez lui sans demander l'aide des psychologues. Bien que les visites médicales passées chaque année permettent de le déclarer apte, différents signes peuvent ensuite montrer une fragilisation psychique : un épisode dépressif traversé en 2002, un échec à des tests professionnels pour une promotion, et finalement une crise de panique avant de monter dans un avion en 2006 et l'impossibilité de remettre les pieds dans un avion enfin. Il est déclaré inapte à toute fonction de naviguant. Il est finalement licencié en 2011 pour refus de venir se présenter à une visite médicale. 

Contestant son licenciement, le salarié réclame en outre des dommages et intérêts pour le manquement à l'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur l'entreprise au titre de la prise en charge de la santé mentale des travailleurs. Les juges du fond l'avaient débouté de sa demande, estimant les mesures prises par l'employeur suffisantes (accueil au retour de l'aéroport, organisation d'un suivi psychiatrique pour les personnes intéressées, avis d'aptitude à la suite de visites médicales). La Cour de cassation rejette le pourvoi du salarié. 

Le raisonnement suivi pourrait paraître de bon sens : on ne peut dénier que l'entreprise ait pris des mesures à la suite de ces événements, par la mise en place d'un suivi psychologique et une évaluation de l'aptitude individuelle de chaque salarié. La liberté reconnue aux salariés exclut de leur imposer un suivi. 

Pour autant, on ne peut que s'interroger sur la teneur du message délivré. Sans se limiter à rejeter le pourvoi, elle formule un attendu de principe, ce qui est plutôt rare dans des arrêts de rejet. L'employeur qui « justifie avoir pris toutes les mesures de sécurité prévues par les articles L. 4121-1 et 4121-2 du Code du travail  « ne méconnaît pas l'obligation légale de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés ». En d'autres termes, il suffirait à l'employeur d'avoir mis en œuvre des mesures préventives afin de s'affranchir de toute responsabilité au titre du manquement à l'obligation de sécurité de résultat. Cette formule peut être vue comme une atténuation de sa jurisprudence antérieure, qui considérait que l'absence de faute de l'entreprise ne pouvait être un moyen d'exonération suffisant. L'employeur pourrait désormais s'exonérer en justifiant du respect des règles de prévention, ce qui devrait lui imposer de montrer qu'il a pris les mesures appropriées au regard des risques encourus. L'avait-il vraiment fait en l'espèce ? Il avait mis en œuvre des mesures d'aide psychologique, mais était-ce une mesure suffisante ? La Cour de cassation renvoie ici les juges du fond pour apprécier souverainement cette question. 

Il ne paraît cependant guère opportun de donner aujourd'hui un signe d'affaiblissement des obligations liées à la prévention. On ne peut que constater le coût considérable pour la collectivité d'un traitement insuffisant de ces traumatismes psychiques, comme le montre le cas de ce salarié désormais incapable de travailler faute d'avoir été pris en charge de façon satisfaisante à la suite d'un fort traumatisme. Le moment serait bienvenu, compte tenu de la perception dans l'opinion publique de l'importance de la prise en charge psychologique des victimes d'attentats, d'attirer fermement l'attention des entreprises et des médecins du travail sur l'importance de leur rôle sur ce terrain, quitte à dégager également des moyens financiers afin d'aider à une meilleure prévention de ces risques. 

Soc. 25 nov. 2015, n° 14-24.444

Références

■ Code du travail

Article L. 4121-1

Article L. 4121-2

 

Auteur :F. G.


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