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Droit des personnes
Comment prouver sa naissance ?
Les juges du fond apprécient souverainement la valeur probante des titres ou témoignages produits pour suppléer à un acte de l’état civil inexistant ou perdu.
Un homme prétendant être né au Bénin, à une date où ce territoire était encore français, fait valoir que son acte de naissance ne se trouve ni dans les registres de l’état civil des Français nés hors de France ni dans ceux du Bénin. Il sollicite alors d’un juge français, comme l’y autorise l’article 46 du Code civil, un jugement supplétif d’acte de naissance.
Faisant grief à l'arrêt de rejeter sa demande, le demandeur reproche aux juges du fond d’avoir statué par voie de simple affirmation sans procéder à l'analyse, même sommaire, des éléments de preuve produits au soutien de sa prétention; en effet, selon le requérant, en se bornant à relever que l'inscription sur les listes électorales du 6e arrondissement de Paris et la délivrance d'une carte d'électeur ne seraient pas de nature à établir son identité, tout comme ne permettraient pas davantage d'établir la réalité de son identité l'extrait du registre du commerce et des sociétés selon lequel l'intéressé aurait créé une société sous cette identité, les relevés de la Caisse nationale d'assurance vieillesse et un avis d'imposition sur ses revenus 2015, la cour d'appel, en statuant ainsi, aurait violé l'article 455 du Code de procédure civile.
Le rejet de son pourvoi est fondé sur l’article 46 du Code civil relatif à l’état civil et selon lequel « lorsqu'il n'aura pas existé de registres, ou qu'ils seront perdus, la preuve en sera reçue tant par titres que par témoins ; que, dans ces cas, les mariages, naissances et décès pourront être prouvés tant par les registres et papiers émanés des pères et mères décédés, que par témoins ». Or l'arrêt ayant relevé que les actes de naissance des enfants du requérant comportent des mentions différentes s'agissant du père déclaré, que l'inscription sur les listes électorales de Paris et la délivrance d'une carte d'électeur ne sont pas de nature à établir son identité mais seulement une possession d'état de Français, sous réserve qu'il s'agisse bien de la même personne, que l'extrait du registre du commerce et des sociétés selon lequel l'intéressé aurait créé une société sous cette identité, les relevés de la Caisse nationale d'assurance vieillesse et l'avis d'impôt sur les revenus ne permettent pas d'établir la réalité de l'identité dont il se réclame et enfin, que l'absence de documents militaires français ne prouve pas la disparition du dossier le concernant mais seulement qu'il n'a jamais été appelé sous les drapeaux ou exempté comme il le prétend ; que de ces énonciations et constatations, la cour d'appel, qui a analysé les éléments de preuve soumis à son examen, a souverainement déduit que le demandeur au pourvoi ne rapportait pas la preuve de sa date de naissance et de son identité exacte, de sorte qu'il ne remplissait pas les conditions pour obtenir un jugement supplétif d'acte de naissance.
Certaines personnes se trouvent privées d’actes de l’état civil, soit que ces derniers n’ont jamais été établis, soit qu’ils ont été perdus, soit que les registres de l’état civil ont été détruits, notamment dans des circonstances de guerre.
La loi leur offre la possibilité de remédier à cette carence. L’article 46 du Code civil les autorise en effet à rapporter la preuve de l’absence ou de la perte de l’acte d’état civil afin d’en obtenir la reconstitution par le juge. Extensive, la jurisprudence a de surcroît admis que la preuve, tant par titres que par témoins, du contenu des actes d’état civil pouvait également être rapportée en cas d’impossibilité matérielle pour l’intéressé de produire ces actes (Civ. 1re, 12 juill. 1960; V. déjà Req. 14 nov. 1922). Aussi bien la jurisprudence a-t-elle élargi le champ de cet article à des actes inexistants ou perdus autres que ceux légalement limités aux actes de mariages, de naissances et de décès (V. Civ. 19 juin 1939), et admis que la preuve de l’absence de registres ou de leur destruction peut être rapportée par présomptions.
L’étendue des modes de preuve admissibles soutient la nécessité de convaincre le juge de la légitimité de procéder à la reconstitution, autrement dit de le convaincre de la réalité de l’inexistence, de la perte ou de la destruction de l’acte. Cette décision illustre le pouvoir souverain d’appréciation depuis longtemps reconnu aux juges du fond pour apprécier la valeur probante des éléments produits pour suppléer à un acte prétendument inexistant ou perdu (Req. 18 nov. 1901 ; Req. 2 nov. 1938) Comme le révèle leur motivation, particulièrement étayée, l’examen minutieux auquel les juges du fond ont procédé dans cette affaire pour apprécier la pertinence des divers titres fournis se comprend au regard des effets attachés à la délivrance d’un jugement supplétif de naissance, qui établit de façon certaine la date de celle-ci et la filiation du demandeur.
Civ. 1re, 15 mai 2019, n° 18-18.111
Références
■ Civ. 1re, 12 juill. 1960: Bull. civ. I, n° 386
■ Req. 14 nov. 1922: DP 1924.1.79
■ Civ. 19 juin 1939 : DP 1939.1.87, note R. Savatier
■ Req. 18 nov. 1901 : DP 1902.1.259
■ Req. 2 nov. 1938 : DP 1939.1.89, note R. Savatier
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