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[ 8 décembre 2020 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Commercialisation du cannabidiol (CBD) : un rappel à la loi pour la France

La France n’a pas la possibilité d’interdire la commercialisation du cannabidiol (CBD) légalement produit dans un autre État membre de l’Union européenne quand il est extrait de la plante de cannabis sativa dans sa totalité et non de ses seules fibres et graines sauf si elle justifie l’interdiction par un objectif de protection de la santé publique mais cette justification ne peut pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour que cet objectif soit atteint.

CJUE 19 novembre 2020, B. S. et C. A. c/ Ministère public et Conseil national de l’ordre des pharmaciens, C-663/18

La Cour de justice applique pleinement le principe de reconnaissance mutuelle dans le cadre de la libre circulation des marchandises à l’huile de cannabidiol (CBD), qui n’a pas la qualité de stupéfiant. Les juges de l’Union recadrent également la France quant aux conditions relatives à la justification d’une entrave pour santé publique. L’évaluation du risque en matière de santé publique ne peut se fonder sur des considérations purement hypothétiques. Cette position exige que le moyen fondé sur le principe de précaution repose sur l’identification réelle de conséquences potentiellement négatives, à partir de données scientifiques internationales fiables.

La vente de produits stupéfiants et la libre circulation des marchandises sont un débat récurrent, notamment au regard des règles de tolérances applicables aux Pays-Bas. Toutefois, il ne fait aucun doute que les produits stupéfiants n’entrent pas le champ de la libre circulation des marchandises, ces produits étant jugés contraires à l’ordre public européen (CJUE 16 déc. 2010, Josemans, C-137/09), sauf s’il s’agit d’une utilisation à des fins médicales et scientifiques. La Cour rappelle cette exclusion dans l’arrêt commenté (point 59 notamment). La France s’est appuyée sur cette approche pour interdire la commercialisation de l’huile de cannabidiol, issue du chanvre, en provenance de République tchèque. Cette interdiction a conduit à des sanctions pénales à l’égard de deux entrepreneurs qu’ils contestent sur le fondement du droit de l’Union. 

Toutefois, la prohibition n’est envisageable que si le produit est qualifié de stupéfiant, ce que la Cour de justice ne retient pas en raison de la très faible présence du tétrahydrocannabinol (THC), la substance nocive du cannabis. Pour arriver à cette conclusion, la Cour s’appuie sur la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 20 décembre 1988 et sur la décision-cadre 2004/757 de l’Union

Dès lors, la Cour de justice applique le principe de la reconnaissance mutuelle, issu de l’arrêt Cassis de Dijon (CJCE 20 févr. 1979, Rewe-Zentral AG, n° 120/78), qui implique que tout bien légalement produit ou commercialisé dans un État membre doit l’être dans tout autre État membre, sauf si ce dernier peut démontrer qu’il protège un objectif d’intérêt général de manière proportionnée. En imposant une interdiction générale, la France institue une entrave, une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives (MEERQ), au sens de l’article 34 TFUE, qu’elle cherche à justifier pour des raisons de santé publique.

La Cour de justice se montre alors extrêmement stricte entendant garantir la libre circulation des marchandises, y compris face à des biens dont la qualification ne fait pas consensus. Si la France peut tout à fait se retrancher derrière la protection de la santé publique, visée à l’article 36 TFUE, elle ne peut le faire qu’en apportant les preuves de la nocivité du produit. Même en s’abritant derrière le principe de précaution, l’État français doit identifier les conséquences potentiellement négatives pour la santé par rapport à l’utilisation proposée et doit présenter une évaluation compréhensible du risque pour la santé en se fondant sur des données scientifiques fiables et récentes de la recherche internationale. En l’absence de telles données, il est nécessaire de démontrer que la probabilité d’un dommage réel persiste. 

En revanche, la France ne peut s’en tenir à des considérations purement hypothétiques. Si c’est le cas, la mesure apparaît disproportionnée et incompatible avec le marché intérieur. En outre, la Cour de justice a un doute sur la cohérence de la protection de la santé publique. En effet, la France autorise la commercialisation du CBD de synthèse qui a les mêmes propriétés que le CBD extrait de la plante. Or, une justification est compatible avec le droit de l’Union uniquement si elle permet de sauvegarder, ici la santé publique, en toute circonstance par rapport à la même substanceL’État ne peut avoir deux régimes juridiques contradictoires si le produit, sous ces deux formes, a les mêmes propriétés.

Ainsi, si la France est toujours susceptible de pouvoir interdire la vente de CBD, il lui reviendra d’apporter la preuve du risque ou tout au moins de la probabilité d’un dommage réel si la commercialisation se faisait. L’entrave ne pourra être fondée que sur des critères objectifs et non-discriminatoires. Cette démonstration ne parait pas de prime abord évidente.

Références

■ CJUE 16 déc. 2010, Josemans, C-137/09 RTD eur. 2011. 597, note A. Defossez ; AJDA 2011. 264, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donna

■ CJCE 20 févr. 1979, Rewe-Zentral AG, n° 120/78

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Art. 34. « Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres. »

Art. 36. « Les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d'importation, d'exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres. »

 

Auteur :Vincent Bouhier


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