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[ 6 juin 2025 ] Imprimer

Droit des régimes matrimoniaux

Communauté légale : limite au droit des créanciers d’obtenir le règlement du passif

Lorsqu’une dette est entrée en communauté du chef d’un seul des époux communs en biens, son conjoint ne peut être condamné personnellement au paiement de la dette. 

Civ. 1re, 21 mai 2025, n° 23-21.684

Un couple se marie sans contrat préalable. Ultérieurement, l’époux commet des fautes dans l’exercice de ses activités professionnelles d’administrateur judiciaire. Une procédure de liquidation judiciaire est ouverte à son encontre par jugement du 14 mars 2019, et sa radiation du Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires prononcée le 10 avril suivant. La Caisse de garantie des administrateurs et mandataires judiciaires (ci-après la Caisse de garantie) déclare les créances nées de ses fautes délictuelles au passif de la procédure collective. En outre, elle assigne l’ancien administrateur, ainsi que son épouse commune en biens, devant le tribunal de grande instance de Paris, aux fins de voir dire que les époux sont tenus in solidum de lui rembourser les sommes qu’elle a dû régler et d’obtenir la condamnation personnelle de l’épouse au paiement de la dette. Le tribunal déclare notamment la Caisse de garantie recevable en son action à l’égard de l’épouse en ce qu’elle tend à la condamner au paiement d’une somme d’argent présentée comme une dette de la communauté. En cause d’appel, les juges parisiens infirment ce jugement au motif que l’épouse n’étant pas débitrice des sommes dues à la Caisse de garantie, elle ne peut être condamnée à titre personnel du seul fait qu’elle est commune en biens avec son époux, seule sa part dans la communauté pouvant être affectée au règlement de cette dette commune. Ils ajoutent que condamner l’épouse à titre personnel, comme le demande la Caisse de garantie, aurait pour conséquence de permettre, par l'exécution de la décision de justice, la saisie de ses biens personnels et de ses revenus. Le pourvoi en cassation formé par la Caisse de garantie postule que l’époux commun en biens du débiteur peut être condamné au paiement de la dette née pendant la communauté du chef d’un seul époux, en application de l’article 1413 du Code civil, l’article 1418 ayant simplement pour effet d’exclure du gage des créanciers ses biens propres. Se trouve ainsi soumise à la Cour de cassation la question de savoir si le créancier d’un époux commun en biens peut obtenir une condamnation en paiement à l’encontre de l’épouse, en application de l’article 1413 du Code civil, qui fonde le droit de poursuite des créanciers d’un époux sur les biens communs. À cette question, la Cour répond par la négative. Elle rappelle qu’en vertu de l’article 1413 du Code civil, afférent à la communauté légale, le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier, et sauf récompense due à la communauté s'il y a lieu. Ces dispositions, relatives à l'assiette du droit de poursuite des créanciers pendant le mariage, pour toute dette entrée en communauté du chef d'un seul des époux, ne sauraient, en l'absence d'engagement personnel de son conjoint, justifier la condamnation de ce dernier au paiement de la dette. Après avoir constaté que la créance détenue par la Caisse de garantie, née au cours de la communauté, correspondait à une dette personnelle de l’époux en ce qu’elle résultait de fautes délictuelles de celui-ci, la cour d'appel en a justement déduit que le règlement pouvait en être poursuivi sur les biens communs mais que l’épouse n'étant pas débitrice de ces sommes, elle ne pouvait être condamnée à titre personnel en paiement.

La communauté existant entre deux époux mariés sous le régime légal n’étant pas dotée de la personnalité juridique, l’article 1413 du Code civil prévoit que nonobstant le fait qu’un seul des époux soit débiteur de la dette née pendant la communauté, son paiement peut toujours être poursuivi sur les biens communs, sous réserve de la fraude. Ainsi, une dette personnelle contractée par l’un des époux pendant le mariage peut être poursuivie sur les biens communs, dès lors que le fait générateur de la dette est intervenu durant la communauté. C’est ce dernier critère, lié à la date du fait générateur de la dette, qui importe seul - le montant de la dette, la circonstance qu’elle ait ou non été constituée dans l’intérêt commun, sa nature ou son origine étant à ce stade sans incidence - qu’il s’agisse, par exemple, de désintéresser les créanciers de l’époux lorsque son activité fait l’objet d’une procédure collective (Com. 10 juill. 2014, n° 14-10.109, n° 14-10.100) ou que l’époux seul se trouve, ainsi qu’en l’espèce, à l’origine d’un délit civil (Civ. 2e, 8 déc. 2022, n° 20-14.302)

Si par extension du droit de gage général des créanciers, ces dispositions leur permettent de prendre des sûretés ou de faire procéder à des mesures d’exécution sur les biens communs au titre d’une dette née du chef d’un seul époux (v. pour une inscription d’hypothèque, Civ. 3e, 13 juill. 2016, n° 15-16.751 ; Civ. 2e, 8 déc. 2022, n° 20-14.302), elles ne signifient en aucune façon que le conjoint de l’époux débiteur serait lui-même débiteur de la dette et à ce titre, susceptible d’être personnellement condamné à son paiement. Si tel était le cas (comme en matière de solidarité notamment, v. Civ. 1re, 14 nov. 2012, n° 11-24.341), l’article 1413 du Code civil serait inutile, dès lors que l’ensemble du patrimoine propre et commun des deux époux serait en tout état de cause engagé. Lorsqu’il prévoit l’exception tirée de la fraude, l’article 1413 du Code civil mentionne d’ailleurs la fraude de « l’époux débiteur », ce qui signifie, en creux, que l’époux aux dépens duquel se commet la fraude ne revêt pas la qualité de débiteur. C’est pourquoi si l’épouse pouvait en l’espèce être partie à la saisie du bien immobilier commun (C. proc. civ. ex., art. L. 311-7), elle ne pouvait en revanche être rendue débitrice de la dette. Comme la première chambre civile a eu récemment l’occasion de le rappeler, l’article 1413 du Code civil offre aux créanciers la faculté de disposer d’une possibilité de poursuite supplémentaire à celle, qui leur est toujours ouverte, de poursuivre l’exécution de leur créance sur les biens propres de l’intéressé, mais non celle d’engager la responsabilité de l’époux pour obtenir sa condamnation personnelle au paiement de la dette (v. Civ. 1re, 31 janv. 2024, n° 23-18.056 QPC : « Si (l’article 1413) expose le conjoint de l'époux débiteur à supporter, à hauteur de ses droits dans la communauté, la charge des dettes souscrites par son conjoint, il n'en résulte pas pour autant l'engagement de sa responsabilité »). Au cas présent, le créancier du mari avait donc la possibilité d’obtenir le règlement de sa créance sur l’ensemble des biens communs mais non pas celle d’obtenir la condamnation personnelle de l’épouse, seule sa part dans la communauté pouvant être affectée au règlement de la dette commune.

Ainsi, en régime communautaire, l’obligation de paiement à laquelle se trouve astreinte la communauté à raison des dettes des époux, même personnelles, n’est pas une obligation de contribution à la dette. La question de l’obligation à la dette (aussi appelée passif provisoire), qui vise à déterminer les masses de biens devant répondre de la dette à l’égard des créanciers – ie l’assiette de leur gage – doit être distinguée de celle de la contribution à la dette (aussi appelée passif définitif), dont la finalité est de répartir à titre définitif les dettes entre les masses de biens, c’est-à-dire de déterminer la masse qui doit supporter la dette au final. Or dans la communauté légale, le droit de poursuite des créanciers est décorrélé de la charge définitive de la dette entre les époux. Pour désintéresser les créanciers, l’article 1413 du Code civil permet d’intégrer toute dette contractée par l’un des époux dans le passif provisoire de la communauté, mais il ne signifie pas qu’il faille l’inclure dans le passif définitif de celle-ci. Les règles relatives à l’obligation à la dette se justifient par la garantie de paiement au bénéfice du créancier : elles consistent à lui reconnaître une créance exécutoire sur les biens communs, mais elles n’impliquent pas de la faire définitivement supporter par la communauté. 

À noter en revanche qu’après la dissolution de la communauté, l’article 1483 du Code civil permet au créancier d’une dette née du chef d’un époux mais entrée en communauté pendant la durée du régime de poursuivre en paiement directement le conjoint de leur débiteur pour la moitié de la somme (Civ. 1re 22 mars 2017, n° 16- 13.365 ; Civ. 1re, 1er mars 1988, n° 86-13.337, Bull. 1988, I, n° 53).

Références :

■ Com. 10 juill. 2014, n° 14-10.109, n° 14-10.100

■ Civ. 2e, 8 déc. 2022, n° 20-14.302 : D. 2022. 2298 ; ibid. 2023. 2060, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJDI 2023. 289, obs. F. Cohet ; AJ fam. 2023. 123, obs. N. Levillain ; RTD civ. 2023. 430, obs. I. Dauriac

■ Civ. 3e, 13 juill. 2016, n° 15-16.751 

■ Civ. 1re, 14 nov. 2012, n° 11-24.341 : D. 2013. 1706, obs. P. Crocq

■ Civ. 1re, 31 janv. 2024, n° 23-18.056 QPC : D. 2024. 214 ; ibid. 628, note P. Bouathong ; AJDI 2024. 315

■ Civ. 1re 22 mars 2017, n° 16- 13.365 D. 2017. 868 ; ibid. 2119, obs. V. Brémond ; AJ fam. 2017. 364, obs. M. Saulier ; RTD civ. 2018. 196, obs. B. Vareille

■ Civ. 1re, 1er mars 1988, n° 86-13.337 

 

Auteur :Merryl Hervieu


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