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Compensation des dettes : l’abus dans l’exécution du contrat n’est pas un obstacle
Mots-clefs : Régime général des obligations, Extinction des obligations, Compensation, Dettes connexes, Conditions positives, Conditions négatives
La dette de prix d'une partie et la dette indemnitaire de l'autre partie au titre d'un abus dans la fixation du prix dérivent toutes deux du contrat et sont donc compensables pour connexité, l’abus dans l’exécution du contrat n’excluant pas, par principe, la connexité des dettes.
Pour exploiter des liaisons avec la Corse, une société aérienne s’était installée sur un aérodrome géré par la chambre de commerce et d'industrie (CCI) du département du Var. Ayant estimé excessif le coût des prestations d'assistance en escale fournies par la CCI, la société avait demandé à celle-ci l'autorisation d’y procéder par elle-même (« auto-assistance »). Cette autorisation ne lui ayant été accordée, après plusieurs refus, que le 24 janvier 1995, le plan de continuation de la société, mise en redressement judiciaire le 29 mai 1995, avait été résolu et sa mise en liquidation judiciaire, prononcée par jugement du 11 octobre 1999. Le liquidateur avait par la suite assigné la CCI en indemnisation pour abus dans la fixation du prix des prestations antérieurement fournies, ce à quoi la CCI lui avait opposé la compensation de cette dette indemnitaire avec la dette de prix de la société aérienne, dont elle se prétendait créancière.
La cour d’appel rejeta la demande de compensation de la CCI au motif qu'aucune compensation n’est possible, par principe, lorsque la créance du débiteur trouve sa cause dans l'exécution abusive du contrat par son créancier, ce qui était le cas en l'espèce, la faute ayant engagé la responsabilité de la CCI résultant de facturations de redevances à un taux excessif et sans aucune adéquation à la nature et à l'importance des services fournis.
Rendu sur renvoi après cassation (Com. 6 déc. 2011), cet arrêt est, au visa notamment des articles 1134 et 1147 du Code civil, cassé par la chambre commerciale de la Cour de cassation au motif que la créance résultant d'une surfacturation et procédant de l’exécution défectueuse du contrat était connexe avec la créance indemnitaire née du même contrat.
L’article 1289 du Code civil dispose que « (l)orsque deux personnes se trouvent débitrices l’une envers l’autre, il s’opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes ». La compensation constitue un mode d'extinction simultanée d'obligations liant des personnes réciproquement créancière et débitrice l'une de l'autre. Mécanisme de faveur au profit de celui qui s’en prévaut, la compensation suppose en principe la réunion de quatre conditions :
– la réciprocité des créances (C. civ., art. 1289 et 1290) ;
– leur fongibilité ;
– leur liquidité ;
– et leur exigibilité (C. civ., art. 1291).
Sous la réserve, non négligeable au demeurant, de la satisfaction de ces conditions, la compensation se présente comme une technique d’un grand intérêt pratique : procédé simplifié d’exécution en ce qu’elle rend inutile le recours à des paiements en sens contraire, la compensation constitue en même temps une garantie de paiement, précieuse en cas d’insolvabilité d’un des débiteurs. Au lieu de payer intégralement sa dette, puis de réclamer sa propre créance en supportant le concours des autres créanciers, le créancier-débiteur d’un insolvable se paie sur sa propre dette par préférence à tous les autres créanciers. Et l’intérêt du mécanisme prend encore davantage d’ampleur en cas de connexité des créances (v. GAJC, n° 251).
En effet, la jurisprudence fait depuis longtemps disparaître les conditions de liquidité et d'exigibilité lorsque les dettes réciproques sont connexes, soit qu’elles sont issues d'un même contrat (Com. 4 juill. 1973), soit qu’elles trouvent leur source dans des contrats distincts mais économiquement liés (Civ. 3e, 8 juill. 1971 ; Com. 18 févr. 1986). Or la connexité permet de lever les obstacles tenant à l’existence d’une procédure collective.
En principe, la compensation ne peut s’opérer si les conditions en sont réunies après le jugement d’ouverture car, équivalant à un paiement privilégié au profit du créancier qui est en même temps débiteur du « failli », la compensation heurterait le principe de l’égalité des créanciers. Néanmoins, en cas de connexité des dettes (V. GAJC, op. cit.) : comme en témoigne la décision rapportée, la compensation est admise malgré le jugement déclaratif (v. Req. 7 févr. 1928).
En outre, le juge est lié par la connexité des créances : « lorsque deux créances sont connexes, le juge (…) est tenu de constater cette compensation, qui constitue pour les parties une garantie » (Civ. 1re, 18 janv. 1967), là où celle-ci serait normalement facultative.
En l’espèce, la connexité des dettes s’imposait : dérivant du même contrat, la dette de prix, issue du contrat lui-même, et la dette indemnitaire résultant de sa mauvaise exécution (fixation abusive du prix) étaient nécessairement connexes, d’autant que la compensation, distincte de l'exception d'inexécution en ce que la première, contrairement à la seconde, n’implique pas, pour sa mise en œuvre, que le défaut d'exécution de l'un justifie le refus d'exécution de l'autre (Com. 22 juin 1973).
Contrairement à ce qu’avait jugé la cour d’appel, la circonstance de l’abus n'empêchait pas les dettes d'être connexes. Seule celle liée à la nature délictuelle de l’une des créances aurait pu, en l’espèce, avoir un tel effet (Com. 14 mai 1996) ; cela étant, il allait de soi que la dette indemnitaire de la CCI au titre de sa responsabilité pour abus dans la fixation du prix était de nature contractuelle, comme le souligne le visa.
Com. 27 janv. 2015, n°13-18.656
Références
■ Code civil
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi. »
« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
« Lorsque deux personnes se trouvent débitrices l'une envers l'autre, il s'opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes, de la manière et dans les cas ci-après exprimés. »
« La compensation s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs ; les deux dettes s'éteignent réciproquement, à l'instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives. »
« La compensation n'a lieu qu'entre deux dettes qui ont également pour objet une somme d'argent, ou une certaine quantité de choses fongibles de la même espèce et qui sont également liquides et exigibles.
Les prestations en grains ou denrées, non contestées, et dont le prix est réglé par les mercuriales, peuvent se compenser avec des sommes liquides et exigibles. »
■ F. Terré et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile T2, 12e éd., 2008, n°251.
■ Com. 6 déc. 2011, n° 10-26.609.
■ Com. 4 juill. 1973, n°71-10.790 et 72-10.241, DS 1974, 425, note Ghestin.
■ Civ. 3e, 8 juill. 1971, n°69-14.628, Bull. civ. III, n°446.
■ Com. 18 févr. 1986, n°84-17.061, Bull. civ. IV, n°21.
■ Req .7 févr. 1928, D. 1928. 1. 72.
■ Civ. 1re, 18 janv. 1967, D. 1967. Jur. 358, note J. Mazeaud.
■ Com. 22 juin 1983, n°81-16.005, DS 1984. 425, note Ghestin.
■ Com. 14 mai 1996, n°94-15.919, Bull. civ. IV, n°133, D. 1996. 502, rapp. H. Le Dauphin.
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