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Droit des obligations
Compensation et communauté universelle : une mauvaise alliance…
Mots-clefs : Civil, Obligations, Compensation, Famille, Régime matrimonial, Communauté universelle
La compensation, qui ne s’opère que lorsque deux personnes se trouvent débitrices l’une envers l’autre, ne peut être mise en œuvre lorsqu’un des époux, marié sous le régime de la communauté universelle, est débiteur envers un tiers à l’égard duquel son conjoint est créancier.
Un médecin marié sous le régime de la communauté universelle avait été, à la suite d’une décision de ses deux autres associés, évincé de la société civile professionnelle dont il était également associé. Ce retrait ayant été déclaré abusif en première instance, les deux associés qui en avaient pris l’initiative avaient été condamnés à verser à l’associé évincé une somme correspondant à la valeur de ses parts sociales et à 80 % de sa rémunération entre le jour de la notification du retrait forcé et celui où le rachat de ses parts aurait dû intervenir. Les héritiers de l’un des deux associés condamnés, décédé entre-temps, s’étaient fondés, à l’effet d’obtenir la liquidation de la créance, sur le régime matrimonial de communauté universelle adopté par l’associé évincé pour voir ordonner la compensation entre les sommes dues à cet associé et celles dues par son épouse au profit des deux associés en exécution d’un jugement définitif d’un tribunal correctionnel condamnant cette dernière au versement de certaines sommes.
La cour d’appel rejeta leur demande de compensation au motif que le patrimoine d’un époux, même marié sous le régime de la communauté universelle, ne peut être affecté par la condamnation de son épouse qu’au stade de la contribution à la dette, et non de l’obligation, sans quoi les appelants bénéficieraient de deux titres de paiement pour la même créance contre deux personnes différentes.
Les héritiers formèrent alors un pourvoi en cassation, reprochant à la cour d’avoir violé les articles 1289 et 1526 du Code civil. Selon eux, les créances d’un époux marié sous le régime de la communauté universelle à l’encontre d’un tiers peuvent s’éteindre par le jeu d’une compensation avec les dettes dont l’autre époux est débiteur à l’égard du même tiers, d’autant plus que la communauté universelle supporte définitivement toutes les dettes des époux, tant au plan de l’obligation que de celui de la contribution à la dette.
Pour rejeter le pourvoi, la Cour rappelle les termes de l'article 1289 du Code civil, selon lesquels la compensation ne s'opère que lorsque « deux personnes se trouvent débitrices l'une envers l'autre ». Cette condition liée à la réciprocité des obligations et à la détermination des qualités de créancier et débiteur est fondamentale en ce qu’elle délimite le champ de la compensation, cantonnement rendu nécessaire du fait que la compensation se présente comme un mode de règlement particulier des créances. Il est donc de l'essence de la compensation de ne pouvoir s’opérer qu'entre obligations réciproques, en sorte que le créancier de l'une doit être en même temps débiteur personnel de l'autre et réciproquement (Civ., 14 mars 1860. Civ. 1re, 25 févr. 1997, n° 94-20.674 : l’indemnité d'occupation due par une femme occupant un immeuble propre du mari ne peut s’éteindre par compensation avec l’indemnité due par le mari occupant un immeuble commun car la compensation suppose l’existence d'obligations dans lesquelles les parties figurent en la même qualité. Civ. 1re, 2 mai 2001, n° 98-22.637: exclusion du mécanisme de la compensation entre les dettes nées d’une succession et une créance personnelle de l’héritier bénéficiaire).
Ce mécanisme compensatoire, a priori simple, pose néanmoins la question de l’influence éventuelle du régime matrimonial sur sa mise en œuvre.
En l’espèce, la Cour de cassation maintient sa position, en dépit du régime de communauté universelle adopté par les époux, en distinguant le rapport de contribution ou d'obligation à la dette. Ainsi, bien que les héritiers de l’associé prédécédé eussent un titre de condamnation contre le conjoint de l’époux créancier, qui était seul obligé au paiement, la délivrance d’un titre de paiement contre son conjoint devait être exclue, et ce même si le patrimoine de l’époux créancier était susceptible, compte tenu de leur régime matrimonial, d’être affecté par cette condamnation.
Et la Cour d’en déduire qu’aucune compensation de cette créance de dommages-intérêts avec celle résultant de la demande de condamnation en paiement de la valeur des parts sociales de l’époux évincé ne pouvait être prononcée. La solution exclut donc, dans le cas d’un régime de communauté universelle, la compensation entre une dette personnelle d’un époux envers un tiers et la créance dont est titulaire son conjoint contre le même tiers. Relevant d’une interprétation stricte de l’article 1289 du Code civil et procédant d’un examen rigoureux des qualités de créancier et de débiteur d’obligations réciproques, cette solution, refusant fermement d’admettre le mécanisme de la compensation entre une dette personnelle d’un époux envers un tiers et la créance dont est titulaire son conjoint contre le même tiers, devrait alors trouver à s’appliquer à tous les cas où une dette contractée par un époux engage également son conjoint (solidarité pour les dettes ménagères par exemple) qui détient une créance envers le même tiers.
Civ. 1re, 25 nov.2015, n° 14-14.003
Références
■ Code civil
■ Civ., 14 mars 1860, DP 1860, 1, p. 171.
■ Civ. 1re, 25 févr. 1997, n° 94-20.674.
■ Civ. 1re, 2 mai 2001, n° 98-22.637, Bull. civ. I, n° 116 ; D. 2001. 1672 ; AJ fam. 2001. 64, et les obs. ; RTD civ. 2002. 131, obs. J. Patarin.
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