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Droit des obligations
Compensation judiciaire : rôle de la connexité des dettes
Les juges du fond qui relèvent que les conditions de la compensation légale entre deux dettes ne sont pas satisfaites sont libres, dès lors qu’aucun lien de connexité n’est établi, de refuser la compensation demandée.
Civ. 2e, 8 oct. 2020, n° 19-17.575
Un cotisant avait saisi une juridiction de sécurité sociale d’une opposition à la contrainte délivrée, le 18 avril 2016, par l’union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (l’URSSAF) pour obtenir le paiement d’une somme de 890,50 euros, due au titre des cotisations du deuxième trimestre 2015 et d’une régularisation pour l’année 2015.
Il faisait grief au jugement d’avoir validé cette contrainte et de l’avoir débouté de sa demande de compensation de sa dette réclamée par l’URSAFF avec une créance dont il se prévalait, correspondant à un excédent de cotisations que l’organisme ne lui aurait pas encore remboursé.
En ce sens, il soutenait:
- d’une part, que lorsque deux dettes sont connexes, le juge ne peut écarter la demande de compensation au motif que l’une d’entre elles ne réunit pas les conditions de liquidité et d’exigibilité et qu’il est au contraire tenu de constater le principe de cette compensation à concurrence du montant de cette créance, à fixer postérieurement ; partant, en rejetant sa demande aux motifs que rien n’indiquait que l’excédent allégué constituait une créance liquide et exigible et qu’il en résultait que la compensation n’avait pas pu s’opérer de plein droit, une compensation judiciaire ne pouvait davantage être ordonnée, le demandeur ne rapportant pas la preuve de la créance qu’il indiquait détenir à l’égard de la caisse, le tribunal n’aurait pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1289 à 1291 anciens du Code civil;
- d’autre part, le demandeur au pourvoi dénonçait la violation par le même tribunal des dispositions précitées dans la mesure où tout en ayant constaté à la fois que le demandeur était redevable de cotisations au titre de son « compte employeur » à l’égard de l’URSSAF et que son compte « profession indépendante » présentait bien un excédent dont le remboursement n’avait pas encore été effectué, la juridiction n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles en sa qualité de cotisant unique à l’un et l’autre comptes, il pouvait valablement opposer la compensation.
La Cour de cassation rejette son pourvoi.
Rappelant qu’il résulte des articles 1289, 1290 et 1291 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige, que « sauf connexité entre les dettes, la compensation suppose que les créances réciproques soient certaines, fongibles, liquides et exigibles », elle juge que le tribunal, ayant d’une part relevé que les cotisations réclamées par l’URSSAF concernaient des cotisations au titre de son « compte employeur au régime général » alors que l’excèdent que cet organisme devait effectivement lui rembourser l’était au titre d’un compte distinct relatif à « la profession indépendante » du cotisant et, d’autre part, constaté que le trop versé de cotisations invoqué au soutien de la demande de compensation n’était pas déterminé dans son montant et que rien n’indiquait qu’il constituait une créance liquide et exigible, le tribunal, qui a également fait ressortir qu’il n’existait pas de lien de connexité entre les dettes dont la compensation était demandée, a décidé à bon droit que faute de créances liquides et exigibles réciproques, il n’y avait pas lieu à compensation entre elles.
La compensation est envisagée, aux articles 1347 s. du Code civil, comme un mode d’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes, lorsque celles-ci se trouvent débitrices l’une envers l’autre. S’opère alors entre elles, à certaines conditions, une compensation qui éteint les deux dettes jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives.
Par exemple, si A doit 1000 euros à B, quand B doit à A 1500 euros, une compensation de ces dettes réciproques se produit pour libérer A et rendre B débiteur d’une dette réduite à 500 euros. Cette technique est d’un intérêt pratique considérable, d’autant plus qu’elle s’opère dans la plupart des cas de plein droit, par le seul effet de la loi, sans qu’un accord des parties ou du juge soit nécessaire : outre la simplification des modalités de paiement que ce mécanisme réalise en permettant d’éviter un double transfert de fonds, elle offre au créancier la garantie d’un recouvrement certain et immédiat de sa créance, qui le soustrait à la concurrence avec les autres créanciers de son débiteur.
La contrepartie des avantages offerts par cette technique d’extinction de l’obligation réside dans la pluralité des conditions cumulatives à satisfaire pour qu’elle puisse opérer, et que la Cour de cassation énumère dans cet ordre : « (…) la compensation suppose que les créances réciproques soient certaines, fongibles, liquides et exigibles », étant précisé que l’ordonnance du 10 février 2016 n’a pas modifié substantiellement le régime applicable à la compensation, notamment la règle précédente, mais l’a seulement clarifié en levant l’ambiguïté qui ressortait de certaines dispositions anciennes. Ainsi les cinq caractères précités, désormais énumérés par les articles 1347 et 1347-1 du Code civil, étaient-ils déjà requis par les textes antérieurs à la réforme cités par la Cour pour introduire sa réponse au pourvoi.
Fondamentale, la condition liée à la réciprocité des dettes suppose que la compensation ne puisse s’opérer qu’entre deux personnes qui se trouvent débitrices l’une envers l’autre. Logiquement, elle ne peut être à l’œuvre dans un rapport tripartite ou dans le cas où les parties n’interviennent pas en la même qualité ni au même titre juridique : par exemple, la compensation est exclue entre la créance d’une personne contre une société et la dette de cette personne envers une société d’un même groupe si ces deux sociétés, personnes morales distinctes, constituent dès lors des entités juridiques séparées (v. notam. Civ. 1re, 23 nov. 1999, n° 97-15.523) ; il en va en revanche différemment s’il existe entre les sociétés d’un même groupe une confusion des patrimoines (Com. 9 mai 1995, n° 93-11.724, admettant la compensation).
La certitude des dettes s’impose naturellement. L’extinction d’obligations réciproques que permet la compensation serait dénuée de sens si l’une d’elles est incertaine dans son existence (Civ. 1re, 24 sept. 2014, n° 13-18.197), d’où le refus de compenser, par principe, les créances litigieuses (Com. 24 mars 2015, n° 13-23.791).
La fongibilité des dettes, restée indéfinie jusqu’en 2016, est depuis clarifiée par l’article 1347-1, alinéa 2, visant expressément « les obligations de somme d’argent, même en différentes devises, pourvu qu’elles soient convertibles, ou celles qui ont pour objet une quantité de choses de même genre ». Se voit ainsi confirmée une réalité pratique consistant à réserver le mécanisme de la compensation aux obligations portant sur des choses de même nature, et plus spécialement aux obligations de somme d’argent.
Les caractères de liquidité et d’exigibilité des dettes sont traditionnellement associés en raison de la nécessité, propre au paiement d’une dette, que celle-ci soit à la fois liquide et exigible. Le double paiement opéré par la technique de la compensation rendait a fortiori inévitable cette double condition de liquidité et d’exigibilité qui recouvrent, malgré leur association, deux sens distincts. Alors que la liquidité de la dette requiert, conformément à l’exigence de sa certitude, la détermination exacte et chiffrée de son montant, la seconde suppose, conformément à l’effet extinctif instantané produit par la compensation, que le créancier soit en droit d’en réclamer l’exécution immédiate, sans être tenu de respecter un terme, ni d’attendre l’accomplissement d’une condition.
« Sauf connexité entre les dettes », réserve la Cour avant d’exposer les conditions précitées, confirmant ainsi la spécificité de cette dernière condition, parfois qualifiée de condition « joker » de la compensation (S. Porchy-Simon, Les obligations, Dalloz 2020, n° 1303). Elle permet en effet d’opérer la compensation des dettes même lorsque l’ensemble des conditions légales, en principe cumulatives, ne sont pas réunies. À l’origine issue du droit des procédures collectives, cette notion a été érigée par la jurisprudence en condition de principe, de portée générale et de valeur supérieure puisque « lorsque deux dettes sont connexes, le juge ne peut écarter la demande en compensation au motif que l’une d’entre elles ne réunit pas les conditions de liquidité et d’exigibilité » (Civ. 1re, 18 janv. 1967). Cette solution est désormais entérinée à l’article 1348-1 du Code civil. (v. aussi art. L. 622-7 C.com.). Comme le soutenait à juste titre l’auteur du pourvoi, la connexité des dettes permet d’écarter les conditions de liquidité et d’exigibilité des dettes requises par la loi, a fortiori dans l’hypothèse de l’espèce d’une compensation judiciaire (C. civ., art. 1348). Or si le courrier de l’URSAFF versé aux débats attestait de l’existence certaine de la créance du cotisant, dont la fongibilité n’était pas davantage discutée, le montant de cette créance n’était pas établi et rien n’indiquait, compte tenu de la date de ce courrier et de la teneur de ses termes (« votre compte présente un excédent qui vous sera remboursé dans les meilleurs délais »), que l’excédent allégué constituait une créance liquide et exigible. Si pour ces seuls motifs, le juge saisi d’une demande de compensation ne peut l’écarter et doit, au contraire, prononcer leur compensation, c’est à la condition, au demeurant essentielle, d’un lien de connexité entre les dettes dont la compensation est demandée.
À défaut d’un tel lien, le juge reste libre de la prononcer (Civ. 1re, 25 oct. 1978, n° 77-12.294). Concept fonctionnel librement utilisé par les juges en l’absence de définition légale, il ressort toutefois de la jurisprudence que la connexité renvoie à l’unité du rapport d’obligation d’où les dettes trouvent leur source. La connexité des obligations résultant de l’exécution du même contrat (jp constante ; v. par ex. pour un bail, créance de loyers et dette de travaux de réparations, Com. 18 janv. 2005, n° 02-12.324), de même que celle des dettes issues d’un ensemble contractuel unique (v. notam. Com. 9 mai 1995, n° 93-11.724), est par exemple acquise. C’est en référence à cette idée d’unité que le demandeur au pourvoi arguait de sa qualité de « cotisant unique » à l’un et l’autre des comptes, pourtant distincts. C’est au contraire en raison de la séparation de ces deux comptes, révélatrice de leur différence d’affectation, que les juges, après avoir constaté que les conditions légales de liquidité et d’exigibilité des dettes n’étaient pas remplies, ont refusé de procéder à leur compensation : il était en effet relevé que celles-ci figuraient sur deux comptes distincts, que les cotisations afférentes à ces deux comptes, relevant de régimes différents, étaient restées volontairement séparées, comme en témoignait la différence d’immatriculation de leur titulaire, expressément relevée par la Cour, faisant ainsi ressortir le défaut de connexité entre ces dettes déjà non compensables au regard des conditions légales (comp. Soc. 3 mars 1994, n° 91-11.104 : absence de lien de connexité entre les dettes existant entre un employeur et une caisse de sécurité sociale, l’une des dettes concernant des cotisations sur salaires et l’autre, des honoraires d’avocat).
Il est enfin à noter que ce critère tiré de l’unité de la source de naissance des créances fait l’objet, dans la jurisprudence récente, d’une appréciation assez stricte, notamment depuis que celle-ci requiert que les dettes, quoique nées d’un même rapport d’obligation, soient de même nature (v. notam. Com. 18 déc. 2012, n° 11-17.872, excluant la compensation entre deux dettes, délictuelle et contractuelle, pourtant nées d’un même rapport synallagmatique ; adde, Com. 20 mai 1997, n° 95-15.298 : ne sont pas connexes en raison de leur nature distincte la créance d’un associé découlant du solde créditeur de son compte d’associé et sa dette envers la société résultant de la fraction non libérée du capital social).
Références
■ Civ. 1re, 23 nov. 1999, n° 97-15.523 P: D. 2000. 34
■ Civ. 1re, 24 sept. 2014, n° 13-18.197 P: D. 2014. 1938 ; AJ fam. 2014. 633, obs. S. Thouret ; RTD civ. 2015. 447, obs. M. Grimaldi
■ Com. 24 mars 2015, n° 13-23.791 P: D. 2015. 801
■ Civ. 1re, 18 janv. 1967: GAJC, vol., n° 253
■ Civ. 1re, 25 oct. 1978, n° 77-12.294 P
■ Com. 18 janv. 2005, n° 02-12.324 P: D. 2005. 782, obs. A. Lienhard, note P. M. Le Corre ; ibid. 2078, obs. P. Crocq ; RTD com. 2005. 413, obs. A. Martin-Serf
■ Com. 9 mai 1995, n° 93-11.724 P: D. 1996. 322, note G. Loiseau ; RTD civ. 1996. 163, obs. J. Mestre ; RTD com. 1996. 66, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 342, obs. A. Martin-Serf
■ Soc. 3 mars 1994, n° 91-11.104 P
■ Com. 18 déc. 2012, n° 11-17.872 P: D. 2013. 78
■ Com. 20 mai 1997, n° 95-15.298 P: RTD com. 1997. 682, obs. A. Martin-Serf
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