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[ 14 novembre 2024 ] Imprimer

Droit des obligations

Compensation légale et cession de créances : application en cas de procédure collective du débiteur

Il résulte de la combinaison des articles 1324 et 1347 du Code civil et des articles L. 622-7 et R. 621-4 du Code de commerce que la compensation légale ne peut s'opérer au profit du cessionnaire du chef d'une créance cédée qu'après la notification de la cession au débiteur, laquelle doit intervenir avant le jugement d'ouverture de la procédure collective de ce dernier, qui prend effet dès le jour de son prononcé.

Com. 23 oct. 2024, n° 23-17.704

Le 29 mai 2019, deux sociétés avaient cédé leur créance indemnitaire à une société associée avec la société débitrice des dommages et intérêts. Le 25 juillet 2019, cette dernière avait été placée en liquidation judiciaire. Quatre jours plus tard, soit le 29 juillet 2019, les cessions de créances lui avaient été notifiées. Le 23 février 2021, le liquidateur de cette société avait assigné la société cessionnaire en paiement du solde de son compte courant d'associé. Celle-ci lui avait alors opposé une exception de compensation du chef des créances cédées le 29 mai 2019. La cour d’appel accueillit l’exception de compensation en raison de l’antériorité de la notification de la cession de créance à la publication du jugement ayant prononcé la liquidation judiciaire de la société débitrice. Elle en avait déduit l’antériorité à l’ouverture de la procédure des conditions d’exigibilité des deux créances, nécessaires à la levée de l’interdiction des paiements à compter de la mise en liquidation. Au visa des articles 1324 et 1347 du code civil, et des articles L. 622-7 et R. 621-4 du code de commerce, la chambre commerciale censure l’arrêt des juges du fond, la postérité de la signification de la cession au jugement d’ouverture ayant empêché la compensation légale des créances litigieuses d’opérer.

Ainsi la Cour vient-elle utilement préciser les conditions d’application de la compensation légale des créances cédées en cas de procédure collective du débiteur. Lui revenait la tâche délicate d’articuler deux mécanismes juridiquement distincts mais en l’espèce imbriqués : la cession des créances et leur compensation légale, dans le cas particulier où le débiteur se trouve soumis, ultérieurement à la cession, à une procédure collective.

Rappelons qu’en principe mais sous certaines conditions, la compensation peut se produire du simple effet de la loi, sans qu’un accord des parties ou du juge ne soit nécessaire. Pour admettre cette compensation de plein droit, les créances doivent présenter cinq caractères cumulatifs (C. civ., art. 1347-1) : réciprocité, certitude, fongibilité, liquidité et exigibilité. Cependant, parallèlement à ces conditions « positives » de la compensation, la loi érige des obstacles à son application, alors même que les conditions légales en seraient réunies, principalement dans un but de protection des tiers. En effet, si le mécanisme de la compensation, par la simplification du paiement qu’il permet, est avantageuse pour les parties, il confère en outre une garantie au créancier, qui obtient ainsi un paiement certain de l’obligation en échappant à sa mise en concurrence avec les autres créanciers. La compensation confère donc au créancier un droit préférentiel au paiement susceptible de porter atteinte aux droits des tiers si l’une des parties à la compensation est insolvable. Ce mécanisme, qui modifie les règles habituelles du paiement, peut alors remettre en cause l’ordre de classement des créanciers, notamment lorsque ces derniers sont titulaires de sûretés. Or aux termes de l’article 1347-7 du Code civil, la compensation ne peut avoir lieu au préjudice des droits acquis par les tiers. Pour éviter une telle situation, le législateur interdit dans certains cas le jeu normal de la compensation. Ainsi en cas de procédure collective du débiteur, qui prive le créancier du droit d’invoquer la compensation de sa créance avec la dette du débiteur et de s’affranchir ainsi du principe d’égalité entre créanciers. Cependant, cette solution de principe ne vaut pas lorsque les conditions de la compensation étaient réunies avant le jugement d’ouverture de la procédure collective (Com. 17 mai 1994, n° 91-20.083). Au cœur de l’arrêt rapporté, cette condition d’antériorité méritait en l’espèce d’être précisée au regard des conditions d’opposabilité de la cession de créance, tenant à sa notification au débiteur cédé (art. 1324 C. civ.), dont dépend l’établissement de la réciprocité des créances nécessaire à leur compensation. Retenant que la cession avait été signifiée avant la publication du jugement, les juges du fond avaient admis la compensation légale des créances exigibles antérieurement au jugement d’ouverture. Or l’exigence d’antériorité des conditions de la compensation à la procédure collective du débiteur n’était pas satisfaite : dès lors que la compensation prétendument opérée provenait du chef de créances cédées, la condition supplémentaire liée à la signification de la cession supposait d’être appréciée selon le même principe d’antériorité à l’ouverture de la procédure. Partant, en l’absence de notification de la cession antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, qui prend effet dès le jour de son prononcé et non à compter de sa publicité, la créance cédée ne pouvait, faute de réciprocité caractérisée à cette date, être compensée de plein droit avec la créance de la débitrice contre le cessionnaire.

Référence :

■ Com. 17 mai 1994, n° 91-20.083 D. 1995. 124, note C. Larroumet ; RTD com. 1996. 531, obs. A. Martin-Serf

 

Auteur :Merryl Hervieu

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