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[ 20 avril 2018 ] Imprimer

Droit commercial et des affaires

Compensation : rappel des conditions

La compensation n’ayant lieu qu’entre deux dettes également liquides et exigibles, elle ne peut s’opérer judiciairement lorsque l’une d’entre elles est en cours de fixation lors d’une instance distincte.

Une société civile immobilière, qui donnait à bail plusieurs locaux à une société commerciale, avait délivré à celle-ci un congé, refusant de lui renouveler son contrat, et lui avait proposé une indemnité d’éviction. La locataire déclina cette proposition conventionnelle, préférant, d'une part, attendre qu’un juge fixât le montant de cette indemnité et, d'autre part, exercer, pendant ce temps, son droit au maintien dans les lieux. Plusieurs mois plus tard, la bailleresse lui avait délivré un commandement de payer un arriéré d’indemnité d’occupation. La locataire ayant formé opposition à ce commandement, la bailleresse l’avait assignée en déchéance de son droit au maintien dans les lieux, perte de son droit au paiement d’une indemnité d’éviction et fixation du montant de l’indemnité d’occupation. La cour d’appel rejeta sa demande et ordonna la compensation entre l’indemnité d’occupation et l’indemnité d’éviction. La Cour de cassation casse cette décision au visa de l’article 1291, alinéa 1er du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, au motif que la créance d’indemnité d’éviction, qui était en cours de fixation lors d’une instance distincte, n’était ni liquide ni exigible. 

La compensation est un mécanisme de paiement reposant sur l’extinction de deux dettes réciproques. Alors que le texte antérieur à la réforme décrivait ainsi la situation des deux débiteurs – « Lorsque deux personnes se trouvent débitrices l’une envers l’autre, il s’opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes (…) », l’article 1347 du Code civil la définit plus sommairement comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes ». Celle-ci peut être totale, même si elle est plus fréquemment, en pratique, partielle. Par exemple, si X est débiteur d’une somme de 2000 euros à l’égard d’Y, et qu’Y quant à lui débiteur à l’égard d’X d’une somme de 4000 euros, par le jeu de la compensation, Y ne devra plus que 2000 euros à X ; étant entendu que si les deux sommes étaient exactement du même montant, la compensation, dans notre exemple partielle, aurait été totale. 

Pour être effective, la compensation doit cependant satisfaire plusieurs conditions. Ainsi ne peut-elle avoir lieu qu’entre deux obligations fongibles, c’est-à-dire celles qui ont également pour objet une somme d’argent ou bien une quantité de choses de même genre ; elle ne peut aussi produire effet qu’à la condition rappelée dans la décision rapportée que les obligations dont la compensation est ou bien légalement ou conventionnellement prévue, ou bien judiciairement ordonnée, soient certaines, liquides et exigibles. 

La liquidité de la créance suppose que celle-ci soit exactement déterminée à la fois dans son existence et dans son montant, son exigibilité renvoyant quant à elle à la possibilité, pour le créancier, d’en obtenir l’exécution immédiate, excluant ainsi la compensation entre des dettes affectées d’un terme ou d’une condition. 

C’est en raison de cette double exigence que les créances litigieuses sont insusceptibles de compensation (Com. 18 janv. 1977, n° 74-15.130). Par exemple, la dette de pénalité contractuelle due par un sous-traitant du fait de la résiliation du contrat ne satisfait pas les conditions nécessaires du jeu de la compensation au jour de l’ouverture du redressement judiciaire de ce sous-traitant, dès lors qu’elle est subordonnée à la déclaration de responsabilité de celui-ci dans la rupture (Com. 21 janv. 1992, n° 90-13.548; V. aussi, dans le même sens, Com. 24 mars 2015, n° 13-23.791). 

La réciprocité des obligations requise pour que la compensation puisse opérer justifie également l’indifférence au fait que l’obligation d’un des débiteurs soit, quant à elle, certaine, liquide et exigible (Com. 15 juill. 1975, n° 74-11.346). Ainsi, en l’espèce, bien que l’obligation de la société locataire ait rempli ces conditions, celle de la bailleresse, quoique certaine dans son existence, n’était pas encore liquide ni exigible, puisqu’elle dépendait du sort d’une instance pendante devant une autre formation de jugement. 

Toutes les dettes ne peuvent donc recevoir compensation, celle-ci étant soumise, quelle que soit sa source (légale, conventionnelle, ou judiciaire), à certaines conditions expressément prévues par la loi et avec laquelle les hauts magistrats n’entendent pas prendre de liberté. 

Civ. 3e, 22 mars 2018, n° 17-13.634

Références

■ Fiche d’orientation Dalloz : Compensation 

■ Com. 18 janv. 1977, n° 74-15.130 P.

■ Com. 21 janv. 1992, n° 90-13.548 P.

■ Com. 24 mars 2015, n° 13-23.791 P : D. 2015. 801.

■ Com. 15 juill. 1975, n° 74-11.346 P.

 

Auteur :M. H.

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