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[ 6 septembre 2011 ] Imprimer

Droit pénal général

Compétence juridictionnelle : examen d’office et dessaisissement

Mots-clefs : Délit, Crime, Requalification, Incompétence, Examen d’office, Dessaisissement, Cour d’appel, Cour d’assises, Faux (Document administratif, Écritures publiques), Officier d’état civil, Acte de mariage, Mariage fictif

En matière répressive, la compétence des juridictions est d’ordre public ; les juges du second degré, saisis de la cause entière par l’appel du ministère public, doivent examiner, même d’office, leur incompétence et se déclarer incompétents si les faits poursuivis sont du ressort de la juridiction criminelle.

Mme D… fut citée directement devant le tribunal correctionnel, à la requête du procureur de la République, du chef de faux dans un document administratif (en l’espèce, un acte de mariage) par une personne chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice de ses fonctions, infraction prévue et réprimée par l’article 441-2 du Code pénal. Pour la déclarer coupable, les juges du second degré énoncèrent que la prévenue, en sa qualité d’officier de l’état civil, avait signé un acte constatant un mariage fictif.

La chambre criminelle accueille favorablement le pourvoi formé par la défense qui invoquait une erreur dans la qualification et, par voie de conséquence, l’incompétence de la cour d’appel de Paris. Au visa des articles 469, 512 et 519 du Code de procédure pénale, la Haute cour rappelle qu’« en matière répressive, la compétence des juridictions est d’ordre public ; que les juges du second degré, saisis de la cause entière par l’appel du ministère public, doivent examiner, même d’office, leur incompétence et de se déclarer incompétents si les faits poursuivis sont du ressort de la juridiction criminelle ». Elle retient ainsi que « les faits décrits, à les supposer établis, constituent le crime de faux commis dans une écriture publique, par un officier de l’état civil, prévu et réprimé par l’article 441-4, alinéa 3, du Code pénal et qu’ainsi la juridiction correctionnelle était incompétente pour en connaître ». La cour d’appel ayant méconnu les textes visés et le principe rappelé, la chambre criminelle casse et annule l’arrêt d’appel et renvoie la cause et les parties devant une autre chambre de l’instruction pour qu’il soit à nouveau jugé conformément à la loi.

L’article 441-2 du Code pénal incrimine le faux dans un document délivré par une administration publique aux fins de constater un droit, une identité ou une qualité ou d’accorder une autorisation, qu’il punit d’une peine correctionnelle de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Cette peine est aggravée et passe à 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque le faux est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans le cadre de ses fonctions (art. 441-2, 1° C. pén.). L’article 441-4 du Code pénal incrimine plus spécifiquement le faux commis dans une écriture publique ou authentique ou dans un enregistrement ordonné par l’autorité publique. Les peines encourues sont de 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende, mais la même cause d’aggravation relative à la qualité de l’auteur du faux s’applique (personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission) et fait passer la peine d’une nature correctionnelle à criminelle, ces faits étant assortis d’une peine maximale de 15 ans de réclusion criminelle et de 225 000 euros d’amende.

Les règles de compétence sont déterminées par le législateur en fonction de l’intérêt public, et elles revêtent un caractère d’ordre public. Elles s’imposent aux parties et aux juges. Les premières ne peuvent en principe y déroger ; il leur est possible de soulever l’exception d’incompétence à tout moment du procès pénal. Les seconds doivent vérifier leur compétence, même si aucune des parties n’a soulevé d’exception (art. 469, C. pr. pén. ; sur le devoir des juges de redonner aux faits leur qualification exacte, v. Crim. 29 oct. 1996). La chambre criminelle examine d’office la compétence de la juridiction qui a rendu la décision attaquée dans le pourvoi.

La compétence matérielle (ou d’attribution) est déterminée par la nature de l’infraction et par sa qualification légale. Ainsi, les contraventions relèvent du tribunal de police ou du juge de proximité, les délits du tribunal correctionnel, et les crimes de la cour d’assises. Aucun juge n’étant tenu par la qualification d’un juge précédent, les changements de qualification sont possibles. Deux hypothèses se présentent : soit le juge disqualifie les faits en leur attribuant une qualification moindre et il peut statuer ; soit il leur donne une qualification plus grave et doit, en ce cas, se déclarer incompétent et renvoyer l’affaire. En application de ces principes, la cour d’appel devait donc se dessaisir d’office au profit des juridictions criminelles.

Crim. 20 juill. 2011, no 10-83.763, F-P+B

Références

Crim. 29 oct. 1996, Bull. crim. no 378, Dr. pénal 1997. 18, obs. Véron.

■ T. Garé et C. Ginestet, Droit pénal, Procédure pénale, 6e éd., Dalloz, 2010, coll. « Hypercours », nos 381 s.

Compétence 

« Pour une autorité publique ou une juridiction, aptitude légale à accomplir un acte ou à instruire et juger un procès. Compétence à connaître d’un litige : ratione meriae (les infractions en fonction de leur nature), ratione personae (en fonction de la personne), ratione loci (en fonction d’une circonstance de lieu). (…) »

Compétence d’attribution ou ratione materiae

« Compétence d’une juridiction en fonction de la nature des affaires, parfois aussi de leur importance pécuniaire.

Les règles de compétence d’attribution répartissent les litiges entre les divers ordres, degrés et nature de juridiction. »

Compétence matérielle ou ratione materiae

« Aptitude d’une juridiction pénale à connaître des infractions en fonction de leur nature (ex. : contraventions, délits, crimes). »

Crime

« Infraction de droit commun ou infraction politique, sanctionnée, pour les personnes physiques, de la réclusion ou de la détention à perpétuité ou à temps, voire d’une peine d’amende et de peines complémentaires, et, pour les personnes morales, de l’amende et, dans les cas prévus par la loi, de peines privatives ou restrictives de droits.

Délit

« Au sens large, le délit est synonyme d’infraction.

Au sens strict, le délit est une infraction dont l’auteur est puni de peines correctionnelles.

Les peines correctionnelles encourues par les personnes physiques sont l’emprisonnement (10 ans au plus), l’amende (supérieure ou égale à 3 750), le jour-amende, le stage de citoyenneté, le travail d’intérêt général, des peines privatives ou restrictives de droits, des peines complémentaires, et la sanction-réparation. Pour les personnes morales, les peines applicables sont l’amende, dont le taux maximum est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques, certaines peines privatives ou restrictives de droits dans les cas prévus par la loi, et la sanction-réparation. »

Dessaisissement

« Effet attaché à un acte juridictionnel, en vertu duquel le juge perd le pouvoir de statuer sur une affaire, une fois le jugement rendu. Il conserve cependant le pouvoir d’interpréter sa décision, de réparer une erreur ou une omission matérielle.

En procédure civile, le Code permet aussi au juge de compléter son jugement en cas d’omission de statuer (infra petita), de le rectifier s’il a statué sur des choses non demandées (ultra petita, extra petita).

Le juge ne pourrait connaître à nouveau de l’affaire que si elle faisait l’objet d’une voie de recours de rétraction (opposition, tierce opposition, recours en révision, par ex.) ou si le jugement rendu est avant-dire droit (en cas de circonstances nouvelles). »

Faux

[Droit pénal]

« Crime ou délit réalisé par toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit (public, authentique, privé) ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques.

Le faux est “ matériel ” lorsqu’il affecte le contenant représenté par l’écrit ou le support, et “ intellectuel ” lorsqu’il porte sur son contenu. »

Ministère public

« Ensemble des magistrats de carrière qui sont chargés, devant certaines juridictions, de requérir l’application de la loi et de veiller aux intérêts généraux de la société.

Indépendants des juges du siège, les magistrats du parquet sont hiérarchisés et ne bénéficient pas de l’inamovibilité.

En matière civile, le ministère public peut être partie principale ou partie jointe. En matière pénale, il est toujours partie principale. »

Officier d’état civil

« Officier public chargé dans chaque commune de la tenue et de la conservation des actes de l’état civil.

C’est le maire qui est, en principe, officier de l’état civil; il est placé à ce titre sous le contrôle de l’autorité judiciaire.

À l’étranger, les fonctions d’officier de l’état civil sont exercées par les chefs de mission diplomatique pourvus d’une circonscription consulaire et les chefs de poste consulaire. »

Ordre public

[Droit général]

Vaste conception d’ensemble de la vie en commun sur le plan politique et juridique. Son contenu varie évidemment du tout au tout selon les régimes. À l’ordre public s’opposent, d’un point de vue dialectique, les libertés individuelles dites publiques ou fondamentales et spécialement la liberté de se déplacer, l’inviolabilité du domicile, la liberté de pensée, la liberté d’exprimer sa pensée. L’un des points les plus délicats est celui de l’affrontement de l’ordre public et de la morale.

(…)

[Procédure (principes généraux)]

Lorsqu’une règle de procédure est d’ordre public, sa violation peut être invoquée par les 2 plaideurs, être relevée d’office par le ministère public et par le tribunal saisi.

Un moyen d’ordre public peut être présenté pour la première fois devant la Cour de cassation ou le Conseil d’État, dans certains cas et sous certaines conditions. Par exemple, devant la Cour de cassation, l’incompétence d’attribution, même si la règle violée est d’ordre public, ne peut être relevée d’office que si l’affaire dépend d’une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française. »

Requalification

[Procédure pénale]

« Les juridictions, tant d’instruction que de jugement, étant saisies in rem, c’est-à-dire d’un fait, la requalification, sauf exception textuelle (presse par ex.), est donc pour le juge à la fois un droit et un devoir. Cependant ce pouvoir trouve ses limites dans la protection des droits de la défense qui implique, selon la Cour européenne des droits de l’Homme, que l’accusé connaisse en détail l’accusation portée contre lui. Il en résulte que 2 restrictions sont apportées au principe de la liberté de requalification. En premier lieu, si le juge est conduit à s’emparer de faits distincts, elle exige l’acceptation expresse du prévenu. En second lieu, si, sans intégrer un fait nouveau, elle ajoute néanmoins à la prévention une circonstance qui n’était pas mentionnée initialement, il faut que le prévenu ait été mis en demeure de s’expliquer. »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

■ Code de procédure pénale

Article 469

« Si le fait déféré au tribunal correctionnel sous la qualification de délit est de nature à entraîner une peine criminelle, le tribunal renvoie le ministère public à se pourvoir ainsi qu'il avisera.

Il peut, le ministère public entendu, décerner, par la même décision, mandat de dépôt ou d'arrêt contre le prévenu.

Les dispositions des deux alinéas précédents sont également applicables si le tribunal correctionnel, dans sa composition prévue par le troisième alinéa de l'article 398, estime, au résultat des débats, que le fait qui lui était déféré sous la qualification de l'un des délits visés à l'article 398-1 est de nature à entraîner une peine prévue pour un délit non visé par cet article.

Lorsqu'il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d'instruction ou la chambre de l'instruction, le tribunal correctionnel ne peut pas faire application, d'office ou à la demande des parties, des dispositions du premier alinéa, si la victime était constituée partie civile et était assistée d'un avocat lorsque ce renvoi a été ordonné. Toutefois, le tribunal correctionnel saisi de poursuites exercées pour un délit non intentionnel conserve la possibilité de renvoyer le ministère public à se pourvoir s'il résulte des débats que les faits sont de nature à entraîner une peine criminelle parce qu'ils ont été commis de façon intentionnelle. »

Article 512

« Les règles édictées pour le tribunal correctionnel sont applicables devant la cour d'appel sous réserve des dispositions suivantes. »

Article 519

« Si le jugement est annulé parce que la cour estime que le fait est de nature à entraîner une peine criminelle, la cour d'appel se déclare incompétente. Elle renvoie le ministère public à se pourvoir ainsi qu'il avisera.

Elle peut, le ministère public entendu, décerner par la même décision, mandat de dépôt ou d'arrêt contre le prévenu. »

■ Code pénal

Article 441-2

« Le faux commis dans un document délivré par une administration publique aux fins de constater un droit, une identité ou une qualité ou d'accorder une autorisation est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende.

L'usage du faux mentionné à l'alinéa précédent est puni des mêmes peines.

Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100000 euros d'amende lorsque le faux ou l'usage de faux est commis :

1° Soit par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public agissant dans l'exercice de ses fonctions ;

2° Soit de manière habituelle ;

3° Soit dans le dessein de faciliter la commission d'un crime ou de procurer l'impunité à son auteur. »

Article 441-4

« Le faux commis dans une écriture publique ou authentique ou dans un enregistrement ordonné par l'autorité publique est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150000 euros d'amende.

L'usage du faux mentionné à l'alinéa qui précède est puni des mêmes peines.

Les peines sont portées à quinze ans de réclusion criminelle et à 225000 euros d'amende lorsque le faux ou l'usage de faux est commis par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public agissant dans l'exercice de ses fonctions ou de sa mission. »

 

Auteur :S. L.


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