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Droit pénal général
Compétence personnelle passive de la loi pénale : constitutionnalité d’une partie du « verrou procédural »
Saisi par une QPC, le Conseil constitutionnel affirme la constitutionnalité du texte prévoyant un monopole dans les poursuites pour le ministère public dès lors qu’un délit est commis à l’étranger à l’encontre d’une victime de nationalité française.
Cons. const. 18 nov. 2022, n° 2022-1023 QPC
L’article 113-8 du Code pénal dispose que « dans les cas prévus aux articles 113-6 et 113-7, la poursuite des délits ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public. Elle doit être précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d'une dénonciation officielle par l'autorité du pays où le fait a été commis ». Il s’agit d’un « verrou procédural » concernant la mise en œuvre de nos compétences personnalistes dès lors qu’une infraction aura été commise à l’étranger. Plus précisément, les conditions restrictives énoncées visent le délit commis par un Français à l’étranger (C. pén., art. 113-6 : compétence personnelle active), le délit commis par un étranger sur une victime française à l’étranger (C. pén., art. 113-7 : compétence personnelle passive) et in fine le délit commis par un Français sur une victime française à l’étranger (double rattachement actif et passif : C. pén., art. 113-7).
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 15 septembre 2022 par la Cour de cassation (Crim. 13 sept. 2022, n° 22-81.973), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). La question du requérant est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 113-8 du Code pénal, et plus précisément la partie concernant la victime française : « et 113-7 » (compétence personnelle passive). Au soutien de sa demande, le requérant invoquait une méconnaissance du droit au recours juridictionnel effectif découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) de 1789, la victime d’un délit commis à l’étranger étant privée de mettre en mouvement l’action publique, et une atteinte au principe d'égalité des justiciables devant la loi découlant de l'article 6 de la DDHC, la victime d’un délit commis en France et celle d’un crime commis à l’étranger pouvant mettre en mouvement l’action publique.
Sans succès puisque selon les juges de la rue Montpensier, « les mots “et 113-7“ figurant à la première phrase de l'article 113-8 du code pénal, dans sa rédaction résultant de la loi n° 92-683 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions générales du code pénal, sont conformes à la Constitution ».
Sans succès pour plusieurs raisons. D’abord parce que le verrou procédural ne concerne que les délits commis à l’étranger, et donc les infractions de moindre gravité par rapport aux crimes. Ainsi en la matière – délictuelle – la conduite des relations internationales notamment, mais aussi le respect de la souveraineté étrangère (l’infraction est par hypothèse commise à l’étranger) ou encore les difficultés probatoires en relation avec les exigences et difficultés de la coopération internationale (il faut des preuves pour tenir un procès et entrer en voie de condamnation) exigent que le ministère public garde la maîtrise de la procédure et donc de son opportunité en France. La victime française d’un délit commis à l’étranger peut trouver un juge : le juge pénal de l’État du lieu de commission est le juge naturel de l’infraction. Quant à la partie indemnitaire, elle relève du juge civil peu importe alors le lieu de commission de l’infraction.
Soulignons que la problématique a déjà été soulevée par le passé concernant une victime française et le champ d’application de la loi pénale française dans l’espace. Dans un arrêt rendu en 2016 (Crim. 8 nov. 2016, n° 16-84.115), la chambre criminelle a précisé que seule la nationalité française de la victime directe de l’infraction ouvre la possibilité de mettre en œuvre notre compétence personnelle passive pour des faits commis à l’étranger, et peu importe en cela les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme. En l’espèce, la chambre de l’instruction s’était fondée sur les critères reconnus par la Cour européenne des droits de l’homme pour reconnaître à l’épouse française d’une victime directe étrangère la possibilité de mettre en œuvre notre compétence juridictionnelle. Les juges du Quai de l’Horloge avaient alors affirmé à l’époque que « les dispositions de la CEDH ne sauraient s’interpréter comme étant de nature à remettre en cause les règles relatives à la compétence internationale des lois et juridictions pénales françaises », fermant la voie ici encore à une action indemnitaire devant le juge pénal français pour une victime indirecte française.
Plus récemment, la Cour de cassation (Crim. 12 juin 2018, n° 17-86.640) a refusé de transmettre une QPC concernant notamment l’article 113-7 du Code pénal pour défaut du caractère sérieux, alors que la question interrogeait également la conformité de ce texte au droit à un recours juridictionnel effectif et au principe d'égalité. En effet, pour la chambre criminelle, ne portent pas atteinte aux principes constitutionnels invoqués : « les règles de compétence extraterritoriale de la loi pénale française permettant aux victimes directes, de nationalité française, d'obtenir en France la poursuite des auteurs d'une infraction commise à l'étranger et l'indemnisation du préjudice résultant éventuellement de ladite infraction ».
Pour autant, il convient de noter que si l’article 113-8 a pour objet d’encadrer par des conditions procédurales restrictives les poursuites en France pour des délits commis à l’étranger notamment à l’encontre d’une victime française, le législateur sait prendre la mesure des difficultés et légiférer – pour certains délits dont serait victime un Français – afin de lever certains des obstacles procéduraux et même étendre l’accès au juge à la victime étrangère résidant habituellement sur notre sol. Cette extension a été l’œuvre des deux lois du 4 avril 2006 (L. n° 2006-399 du 4 avr. 2006 création de l’article 222-16-2 du Code pénal) et du 9 juillet 2010 (L. n° 2010-769 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants : création de l’article 222-16-3 du Code pénal). La première vise à réprimer les crimes et les délits de violence, commis à l’étranger, contre une victime mineure étrangère ayant sa résidence habituelle en France, lorsque l’infraction a entraîné le décès, ou une mutilation permanente ou une incapacité de plus de huit jours. La seconde, dont la mesure emblématique consiste à lutter contre les mariages forcés, permet de poursuivre les infractions suivantes accomplies à l’étranger lorsque la victime est étrangère mais réside habituellement en France : acte de torture et de barbarie, violences ayant soit entraîné la mort ou une mutilation, ou une incapacité supérieure à 8 jours ou une incapacité inférieure à 8 jours contre une personne afin de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union ou en raison de son refus de contracter ce mariage ou cette union ou encore le meurtre contre une personne en raison de son refus de contracter un mariage ou de conclure une union. Le législateur manifeste à travers ces différents textes une volonté clairement établie de ne pas laisser place à l’impunité pour des infractions particulièrement graves commises à l’étranger, alors même que les critères attributifs traditionnels de compétence ne sont pas remplis, sachant que ces infractions sont de nature à troubler l’ordre public français. Il s’agit ici de protéger une victime qui ne trouverait pas nécessairement un juge à l’étranger et qui par ailleurs entretient des liens étroits avec notre pays (v. D. Rebut, Droit pénal international, Dalloz, coll. « Précis », 4e éd., 2022, n° 165).
Pour autant, seules les conditions procédurales de la deuxième phrase de l’article 113-8 du Code pénal n’ont pas à être remplies : plainte de la victime ou dénonciation officielle de l’État du lieu de commission de l’infraction. En toutes hypothèses, le ministère public reste le maître d’œuvre de la procédure et exerce son pouvoir d’opportunité. Le Conseil constitutionnel vient aujourd’hui de donner à l’article 113-8 du Code pénal un brevet de constitutionnalité en matière délictuelle lorsque la victime est française. À n’en pas douter, il en va de même lorsque l’auteur est français.
Pour conclure, soulignons que le législateur a par ailleurs multiplié – au cours de la dernière décennie – les dispositions conférant au ministère public un rôle fondamental et central lorsqu’il s’agit des crimes les plus graves commis à l’étranger et relevant de l’exercice de notre compétence universelle : dès 2010 concernant les crimes contre l’humanité, le génocide et les crimes de guerre (C. pr. pén., art. 689-11) et en 2018 s’agissant de la protection des biens culturels en cas de conflit armé (C. pr. pén., art. 689-14). Prime toujours la conduite de nos relations internationales !
Références :
■ Crim. 13 sept. 2022, n° 22-81.973
■ Crim. 8 nov. 2016, n° 16-84.115 P : D. 2016. 2339 ; AJ pénal 2017. 88, obs. D. Brach-Thiel.
■ Crim. 12 juin 2018, n° 17-86.640 P : AJ pénal 2018. 421, obs. C. Lacroix.
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