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Propriété littéraire et artistique
Composition musicale destinée à réaliser une œuvre audiovisuelle : la faveur faite au producteur
Mots-clefs : Propriété intellectuelle, Droits voisins, Artiste-interprète, Producteur, Œuvre audiovisuelle, Contrat, Effets, Interprétation, Exploitation, Autorisation (non), Assemblée plénière
Le contrat conclu pour la réalisation d'une œuvre audiovisuelle souscrit par chacun des interprètes d'une composition musicale destinée à composer la bande sonore d’un film dispense son producteur d’obtenir leur autorisation pour exploiter leur interprétation sous une forme nouvelle.
Le régime applicable au droit de l'artiste-interprète, voisins de celui du droit d’auteur dans le domaine audiovisuel a posé de vraies difficultés à la Cour de cassation, au point de rendre nécessaire la réunion de l’ensemble de ses chambres en formation plénière pour les résoudre. Par la décision rapportée, l’Assemblée plénière apporte enfin une réponse à une question depuis longtemps controversée : faut-il appliquer à l'artiste-interprète qui a réalisé l'interprétation d'une œuvre musicale destinée à sonoriser une œuvre audiovisuelle l’article L.212-3 du Code de la propriété intellectuelle ou alors celui qui le suit, l’article 212-4 ? Pour le formuler autrement, et sous l’angle des intérêts défendus, faut-il favoriser ceux de l’artiste-interprète ou ceux de son producteur ? En effet, ces deux textes, pourtant voisins, portent en eux-mêmes cette divergence d’intérêts : selon le premier, « sont soumises à autorisation écrite de l’artiste interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et pour l’image (…) ». L’application de ce texte, exclue par le présent arrêt, protège de toute évidence les intérêts de l’artiste-interprète en raison du critère de dissociabilité qu’il érige entre le son et l’image, imposant ainsi au producteur d'obtenir l’autorisation de l’artiste pour exploiter par l’image l'œuvre que ce dernier aura interprétée par le son. Et dans le cas où l’artiste s’y opposerait, c’est l'œuvre audiovisuelle toute entière qui ne pourrait plus être exploitée.
Le second texte favorise au contraire les intérêts du producteur, libéré de l’obligation d’obtenir, dans la même configuration, l’autorisation de l’artiste-interprète. En effet, cet article dispose que « la signature du contrat conclu entre un artiste-interprète et un producteur pour la réalisation d'une œuvre audiovisuelle vaut autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public la prestation de l'artiste-interprète ». Cet article institue une présomption de cession au profit du producteur. Si l'on applique cette disposition à l'artiste dont l’interprétation musicale est destinée à constituer la bande son d’une œuvre audiovisuelle, cela signifie que, lors de l'enregistrement, la signature par l’interprète de la seule feuille de présence présume la cession des droits d'exploitation de l'artiste-interprète au producteur, ainsi libéré de l’obligation d'obtenir une autorisation supplémentaire.
L’Assemblée plénière vient de décider que c’était le second de ces textes qui trouvait à s’appliquer.
Alors qu’une société spécialement chargée de percevoir et de distribuer les droits des artistes- interprètes avait sollicité, sur le fondement de l’article L.212-3 du Code de propriété intellectuelle, la réparation du préjudice de chacun des artistes-interprètes ainsi que le préjudice collectif subi par la profession du fait de la commercialisation par l’INA, sous la forme vidéo, d’une pièce de théâtre classique diffusée par l’ancienne ORTF, sans avoir obtenu l’autorisation des artistes-interprètes de la partie musicale de ce programme, la Haute cour juge, conformément à l’arrêt d’appel attaqué et rendu sur renvoi après cassation (Civ.1re, 29 mai 2013, n°12-16.583), qu’en application de l’article 212-4 du Code de propriété intellectuelle, la feuille de présence qui avait été signée par les artistes-interprètes laissait présumer leur accord pour que leur interprétation musicale soit ultérieurement et autrement exploitée pour réaliser la bande sonore d’un film, autrement dit, exploitée à l’effet de réaliser une œuvre audiovisuelle. Ainsi l’Assemblée plénière abandonne-t-elle la position, inverse, que la première chambre civile avait antérieurement adoptée (Civ.1, 29 mai 2013, préc.), en approuvant la cour d’appel d’en avoir déduit que cette feuille de présence constituait un contrat conclu entre le producteur et les artistes-interprètes entrant dans les prévisions de l’article 212-4 du Code de propriété intellectuelle, de sorte que l’INA n’avait pas à solliciter une nouvelle autorisation pour l’exploitation de cette œuvre sous une forme nouvelle.
Il est toutefois à noter que comme le précise le texte qui fonde cette solution, « ce contrat fixe une rémunération distincte pour chaque mode d'exploitation de l'œuvre », ce qui signifie que le choix de son application ne lèse pas entièrement les droits de l'artiste-interprète en préservant ses intérêts pécuniaires, le contrat devant prévoir à la fois une rémunération du travail d’interprétation de l’artiste et une autre pour sa participation à la production d’une œuvre audiovisuelle. Il ressort plus largement de la solution rendue que le droit voisin de l'artiste-interprète, s’il n’entrave pas l'exploitation de l'œuvre audiovisuelle, ne porte pas davantage atteinte au droit d'auteur, conformément à l’article L.211-1 du Code de propriété intellectuelle. Sur ce point, la solution mérite d’être approuvée car en application de l’article L.212-3 qui était en l’espèce demandée, l’artiste-interprète aurait été le seul détenteur, indépendamment des autres artistes participant à la réalisation de l'œuvre audiovisuelle, à pouvoir autoriser ou interdire l'exploitation de celle-ci. Ce faisant, l'exercice d'un droit voisin viendrait empêcher l'exploitation du droit d'auteur qui lui est pourtant supérieur, selon l’article L.211-1 précité.
Cependant, il eut aussi été possible de faire valoir que, même en droit d'auteur, le compositeur de la musique de l'œuvre audiovisuelle échappe à la présomption de cession qui s'applique aux autres coauteurs de l'œuvre, comme le précise l’article L.132-24 du Code de propriété intellectuelle. Les auteurs de la composition musicale ainsi que les artistes interprètes de celle-ci auraient alors tous deux pu bénéficier d'un droit exclusif, par opposition à la présomption de cession qui, pour faciliter l'exploitation de l'œuvre audiovisuelle, devrait normalement s'appliquer à tous ses coauteurs et artistes-interprètes. En droit d'auteur, cette solution exorbitante du droit commun s'explique certainement par l'importance de la gestion collective des droits en matière musicale ; mais en ce qui concerne le droit voisin de l'artiste-interprète, la solution n’est pas si évidente, la gestion collective, si elle existe, n'a pas les mêmes caractéristiques qu'en droit d'auteur.
Quoi qu'il en soit, entre ces deux conceptions incontestablement contraires, la Haute cour vient de choisir. En rejetant le pourvoi, elle rejette du même coup la distinction entre le son et l’image ; ce qui est généralement vrai pour l’art cinématographique le devient également en matière juridique : qu’ils apparaissent ou non à l'écran, tous les artistes se voient soumis au même régime de la présomption de cession des droits pour permettre l'exploitation de l'œuvre audiovisuelle par le producteur.
Ass. plén., 16 févr.2016, n°16-14.292
Références
■ Civ.1re, 29 mai 2013, n°12-16.583, D. 2013. 1870, note Guillem Querzola
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