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[ 18 septembre 2025 ] Imprimer

Droit du travail - relations collectives

Comprendre la grève : entre protection et encadrement

Après le mouvement « Bloquons tout » du 10 septembre, les syndicats appellent à une grève nationale le 18. La rentrée 2025 est placée sous le signe de la contestation sociale et diverses libertés publiques permettent d’exprimer son mécontentement : liberté de communication de ses opinions (Art 11 DDHC), liberté de réunion (Art 11 de la Convention. EDH), liberté de manifestation (Cons. Constit., 4 avr. 2019, n° 2019-780 DC) et bien entendu droit de grève (al 7 préambule de la constitution de 1946) ! Toutefois tous les moyens de luttes ne sont pas juridiquement protégés. Cette journée de mobilisation nationale est ainsi l’occasion de rappeler comment le droit du travail protège mais également encadre la grève.

Titulaire :

Le préambule de 1946 n’explicite pas les personnes titulaires du droit de grève. Il s’agit d’un privilège des salariés, du secteur privé et du secteur public. En revanche les étudiants, les commerçants, les professions libérales, ne peuvent invoquer le droit de grève pour ne pas exécuter leurs obligations. Pour autant, sans utiliser le mot « grève », le législateur reconnaît à certains travailleurs la capacité de cesser leur activité sans risque de représailles (ex : travailleurs des plateformes et L. 7342-5 c. trav.).

Qualification juridique :

Le législateur n’ayant pas défini la grève, la Cour de cassation en a identifié les éléments constitutifs. (Soc. 5 nov. 1992, n° 90-41.899 ; Soc. 30 mars 2015, n° 14-11.077) :

■ un arrêt total du travail. Une seule modalité d’action est ainsi autorisée : la cessation complète du travail. Le ralentissement des cadences, l’exercice partiel de ses obligations, le sabotage n’est pas l’exercice du droit de grève. En revanche le mouvement peut durer quelques minutes ou plusieurs jours, il n’y a pas de durée minimum ou maximum à la grève.

■ plusieurs salariés qui se sont concertés. La grève est nécessairement collective (ce qui ne veut pas dire majoritaire). La Cour régulatrice n’admet que trois exceptions : un salarié est le seul de l’entreprise à se joindre à un mot d’ordre national, il est l’unique salarié de l’entreprise ou enfin, s’il travaille dans une entreprise gérant un service public, il est le seul à répondre favorablement à un préavis de grève.

■ des revendications à caractère professionnel. Là encore aucune définition précise mais les revendications doivent être liées à l’emploi, les conditions de travail, les garanties sociales. Il est toutefois souvent possible de tisser un lien entre des protestations dites « politiques » et l’emploi. Ainsi, à l’occasion de la grève du 18 septembre, plusieurs organisations syndicales ont identifié des revendications professionnelles en réaction à des annonces politiques comme la suppression de deux jours fériés, des coupes dans les services publics, la réforme de l’assurance chômage, le gel des prestations sociales…

■ la connaissance des revendications par l’employeur au plus tard au début du mouvement. Il n’y a ni formalisme, ni délais à respecter et les travailleurs n’ont pas à attendre un rejet préalable de leurs revendications. Ainsi, excepté dans les services publics, un préavis n’est pas nécessaire et chaque salarié n’a pas individuellement à préciser à l’avance qu’il souhaite se joindre au mouvement (sauf lorsqu’une loi le prévoit. Ex : L. 1114-4 c. transports).

Rôle des syndicats :

Le droit de grève est un droit individuel des salariés qu’ils exercent collectivement et non un droit collectif des syndicats en vue d’appuyer une négociation comme en Allemagne. Il en résulte qu’un appel à la grève des organisations syndicales n’est en principe pas nécessaire. Mais en pratique, les syndicats organisent, accompagnent le mouvement. Ainsi l’intersyndicale du 18 septembre réunit plusieurs organisations afin de mobiliser le plus grand nombre de travailleurs autour de revendications identifiées. Toutefois, la grève doit également être conciliée avec l’intérêt général, en particulier la préservation de l’ordre public et la continuité du service public. (Cons. Constit., 25 juill. 1979, n° 79-105 DC). Aussi, dans les entreprises en charge d’un service public, seul un syndicat représentatif est habilité à déposer un préavis de grève qui doit être remis à la direction 5 jours francs avant le début du mouvement. Des réquisitions de personnels par le préfet voire la direction elle-même sont également parfois possibles. Le législateur a par ailleurs fixé des règles spéciales dans certains secteurs comme les transports aériens ou terrestres de passagers.

Protection des grévistes :

Pour être protégé, les salariés doivent exercer leur droit de grève. Ainsi, un mouvement qui ne remplit pas les critères juridiques de la grève n’en est pas une et les salariés qui y participent ne sont pas protégés. La protection est forte : le salarié gréviste ne peut pas être licencié, l’immunité s’appliquant non seulement à son absence mais plus généralement à tout fait commis au cours de la grève à laquelle il participe (L. 2511-1 c. trav.). Il ne peut subir aucune mesure discriminatoire et toute mesure de représailles est nulle (L.1132-2). L’employeur recouvre son pouvoir disciplinaire dans une seule situation : la faute lourde. L’employeur doit alors démontrer que le salarié a agi dans « l’intention de nuire » (Soc. 8 févr. 2012, n° 10-14.083). Cette référence est délicate car l’action collective est nécessairement délibérée. La faute lourde est généralement déduite d’une participation personnelle du salarié à des actes correspondant à des infractions pénales comme des séquestrations (Soc. 2 juill. 2014, n° 13-12.562), des destructions de bien, des entraves à la liberté du travail accompagnées de violence (Soc. 5 juill. 1995, 93-46.108 ; Soc. 26 mai 2004, 02-40.395). Mais toute infraction pénale ne caractérise pas nécessairement une faute lourde (pour un ex de diffamation : Soc. 8 déc. 2009, n° 08-42.531). Enfin, la désorganisation de l’entreprise (qui n’est pas la même chose que la désorganisation de la production) permet de révéler un abus du droit de grève pouvant, éventuellement, justifier une sanction. Mais une telle désorganisation est rarement admise (Soc.14 janv. 1987, n° 84-40.945). Les salariés sont donc protégés. Toutefois, ils ne sont pas rémunérés et ne bénéficient plus de la législation sur les accidents du travail pendant la période de suspension du contrat.

Références :

■ Ch. Radé, Droit des conflits collectifs du travail, LexisNexis 2023

■ Supiot, Revisiter les droits d’action collective, Dr. Soc. 2001, p. 687

 Cons. Constit., 4 avr. 2019, n° 2019-780 DC : AJDA 2019. 782 ; D. 2020. 1324, obs. E. Debaets et N. Jacquinot

 Soc. 5 nov. 1992, n° 90-41.899 

 Soc. 30 mars 2015, n° 14-11.077 : D. 2015. 1493 ; ibid. 2340, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2016. 108, obs. Y. Ferkane

 Cons. Constit., 25 juill. 1979, n° 79-105 DC 

 Soc. 8 févr. 2012, n° 10-14.083 : D. 2012. 2622, obs. P. Lokiec et J. Porta

 Soc. 2 juill. 2014, n° 13-12.562 : D. 2014. 1503

 Soc. 5 juill. 1995, n° 93-46.108 

 Soc. 26 mai 2004, n° 02-40.395 

 Soc. 8 déc. 2009, n° 08-42.531 

 Soc.14 janv. 1987, n° 84-40.945

 

Auteur :Merryl Hervieu


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