Actualité > À la une
À la une
Droit européen et de l'Union européenne
Condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation du droit au respect des biens
Mots-clefs : Droit de propriété, Droit de construire, Règles d’urbanisme, Contrat, Respect des engagements contractuels, Cour européenne des droits de l’homme, Protocole n° 1 (art. 1er), Droit de propriété, Protection de la propriété, Respect des biens, Violation
L’État français n’a pas respecté le droit de construire prévu par ses engagements contractuels a déclaré la Cour dans une décision du 18 novembre 2010.
À la fin des années 1960, les héritiers de M. Fournier, qui avaient acquis l’île de Porquerolles en 1912, décidèrent de vendre une partie de leurs terrains. Deux contrats de vente furent alors signés avec l’État en 1971. Ne pouvant rivaliser avec les propositions financières de potentiels acquéreurs privés, l’État proposa de garantir la valeur de la part de la propriété non vendue en figeant et garantissant les droits de construire. Les contrats conclus en mai 1971 prévoyaient ce droit de construire, droit circonscrit à certains édifices limitativement et expressément énumérés dans les actes et sans limitation de durée. Sept ans après la vente, un projet de plan d’occupation des sols (POS) proposait de préserver l’île contre les constructions nouvelles. Ce POS fut rendu public fin novembre 1984 et moins d’un an après, l’île fut classée en zone inconstructible en raison de sa valeur environnementale. Les permis de construire furent refusés aux propriétaires. Ces derniers formèrent alors devant les juridictions administratives, des demandes en annulation des refus de permis de construire et, devant le juge judiciaire, des demandes de résolution de la vente et de dommages-intérêts.
Après épuisement des voies de recours internes, les propriétaires requérants saisirent la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant le non-respect de l’article 1er du protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme et demandèrent à la Cour que soient respectés par l’État les engagements contractuels leur garantissant l’exercice effectif de leur droit de construire sur les terrains qu’ils avaient conservés — ce droit ayant été pour eux un élément déterminant dans la négociation de la vente des terrains.
Après avoir rappelé que la notion de « biens » prévue par la première partie de l’article 1er du Protocole n° 1 ne se limite pas aux « biens actuels » mais peut également recouvrir des valeurs patrimoniales, même des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une espérance légitime et raisonnable d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété (CEDH 29 nov. 1991, Pine Valley Developments Ltd et a. c. Irlande, § 51, série A n° 222 et CEDH 24 juin 2003, Stretch c. R.U., n° 44277/98 § 35), la Cour recherche si, en l’espèce, les requérants pouvaient prétendre être titulaires de « biens » et en particulier du « droit de construire ». L’un des éléments déterminants de la négociation entre l’État et les requérants résidait dans la garantie de conserver notamment le droit de construire certains édifices sur leurs terrains.
La Cour conclut alors, à l’unanimité, que les requérants étaient titulaires de droits de construire aux termes des actes de vente et qu’ils avaient une espérance légitime de pouvoir exercer ces droits dans les conditions contractuelles. Dès lors, ils sont titulaires d’un bien au sens de l’article 1er du Protocole n° 1. La Cour constate, en l’espèce, l’existence de la violation de cette disposition. Par ailleurs, la Cour considèrent que les requérants ont subi une ingérence dans leur droit de propriété, les autorités françaises les ayant empêchés de jouir de leur droit de construire. Elle condamne donc l’État à indemniser les requérants pour un montant total de 1 500 013 euros. En effet, la Cour estime que l’État français aurait dû proposer aux requérants une compensation matérielle ou financière en réparation des préjudices subis en raison du non-respect des dispositions prévues aux actes de vente. Le comportement de la France, en l’espèce, a privé les requérants de la possibilité de jouir effectivement de leurs droits et d’obtenir, à défaut, ou la remise en cause des actes de vente, ou une indemnisation pour le préjudice subi.
CEDH 18 nov. 2010, Cts Richet et Le Bert c/ France, req. n° 18990/07 et 23905/07
Références
« 1° Lato sensu, objet possible des désirs ou besoins individuels des personnes, pouvant être satisfaits.
2° Au sens juridique, le terme recouvre, d’une part, toute chose, caractérisée par sa rareté, dont l’utilité justifie l’appropriation (qu’elle soit corporelle ou incorporelle), d’autre part, tout droit subjectif (réel ou personnel). »
« Selon la théorie classique, droit réel principal conférant à son titulaire, le propriétaire, toutes les prérogatives sur le bien, objet de son droit ; traditionnellement on distingue trois prérogatives : l’usus, l’abusus, et le fructus. Le droit de propriété constitue lui-même un bien.
Pour certains auteurs toutefois, il désigne non un bien, mais la relation d’exclusivité qui existe entre chaque bien et la personne à laquelle il appartient. »
« Documents de planification stratégique de l’espace communal, établis à l’échelle d’une ou plusieurs communes, qui déterminent l’affectation des sols par zones (constructibles, non constructibles), les voies de circulation à conserver ou à créer, les paysages et l’environnement à préserver, les règles concernant les constructions autorisées et notamment la densité de construction admise (coefficients d’occupation des sols [COS]).
Ils succèdent aux anciens plans d’occupation des sols, dont l’objet était essentiellement limité à la définition de celle-ci. Ils doivent être compatibles avec les autres documents de planification de l’espace, notamment avec le schéma de cohérence territoriale dans l’aire duquel ils s’inscrivent. Les permis de construire délivrés doivent en respecter les dispositions. »
« Autorisation préalable à la généralité des constructions et travaux connexes, qui a pour but de vérifier que l’édifice respectera les règles d’urbanisme et de construction en vigueur. »
Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Article 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme– Protection de la propriété
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
■ CEDH 29 nov. 1991, Pine Valley Developments Ltd et a. c. Irlande, § 51, série A n° 222.
■ CEDH 24 juin 2003, Stretch c. R.U., n° 44277/98 § 35.
Autres À la une
-
Droit des biens
[ 22 novembre 2024 ]
Acte de notoriété acquisitive : office du juge quant à l’appréciation de la preuve de l’usucapion
-
Droit des obligations
[ 21 novembre 2024 ]
Appréciation de la date de connaissance d’un vice caché dans une chaîne de contrats
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 20 novembre 2024 ]
Chuuuuuut ! Droit de se taire pour les fonctionnaires poursuivis disciplinairement
-
Droit de la responsabilité civile
[ 19 novembre 2024 ]
Recours en contribution à la dette : recherche d’une faute de conduite de l’élève conducteur
-
Droit de la responsabilité civile
[ 18 novembre 2024 ]
L’autonomie du préjudice extrapatrimonial exceptionnel d’un proche d’une victime handicapée
- >> Toutes les actualités À la une