Actualité > À la une
À la une
Libertés fondamentales - droits de l'homme
Condamnation de la France pour encerclement de manifestants par les forces de l’ordre
L’usage de l’encerclement dans le cadre de manifestations, sans base légale prévoyant expressément ou encadrant cette mesure, constitue une violation des libertés de circulation (art. 2 du prot. n° 4 à la Conv. EDH), de réunion pacifique (Conv. EDH, art. 11), et d’expression (Conv. EDH, art. 10).
CEDH 8 févr. 2024, Auray et autres c/ France, n° 1162/22
L’affaire s’inscrit dans un contexte des manifestations contre un projet de réforme des retraites en 2010. Les autorités décident pour isoler des « fauteurs de troubles potentiellement violents, afin de prévenir un risque pour la sécurité des personnes (…) » d’encercler une place. Des centaines de personnes sont confinées pour une durée de trois heures à cinq heures trente, sans possibilité de se désaltérer, ni de quitter les lieux sans autorisation. Les forces de l’ordre usent à plusieurs reprises de grenades lacrymogènes et de canons à eau. Une centaine d’individus identifiés « comme n’étant pas des casseurs » sont autorisés à partir avant la fin de l’encerclement.
Les requérants déposent une plainte avec constitution de partie civile, faisant grief aux forces de l’ordre, dépositaires de l’autorité publique, d’avoir porté une atteinte arbitraire à la liberté individuelle (C. pén., art. 432-4 et 432-5), et entravé la liberté d’expression et de manifestation (C pén., art. 431-1). La Cour de cassation rejette le pourvoi, considérant que « la mesure (…) était nécessaire et non disproportionnée » (pt. 31 ; v. Crim. 22 juin 2021, n° 20-83.302, pt. 13).
Notons qu’une question prioritaire de constitutionnalité est également soulevée. Celle-ci porte sur l’article 1er de la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995 (n° 95-73). Au jour des faits, aucun autre texte en droit français ne mentionne expressément ni n’encadre le recours à l’encerclement (pt. 91). Selon les requérants, cet article ne prévoyait pas de garanties suffisantes pour protéger les libertés publiques lors de l’usage de l’encerclement par les forces de l’ordre. Ces dispositions législatives, désormais abrogées, avaient selon le Conseil constitutionnel, pour « seul but » de reconnaître à l’État la mission générale de maintien de l’ordre public. Considérant qu’« il ne peut (…) être reproché [à l’article] d’encadrer insuffisamment le recours (…) à (…) la technique dite de « l’encerclement ». », celle-ci est déclarée conforme à la Constitution (pt. 29 ; v. Cons. const. 12 mars 2021, n° 2020-889 QPC).
À la suite de l’épuisement des voies de recours internes, les requérants saisissent la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Ils allèguent une violation du droit à la liberté et à la sûreté (Conv. EDH, art. 5), à la liberté de circulation (art. 2 du prot. n° 4 à la Conv. EDH), d’expression (Conv. EDH, art. 10) et de réunion pacifique (Conv. EDH, art. 11).
■ Privation de liberté (art. 5 § 1). La Conv. EDH dispose que toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Les privations de liberté sont interdites, sauf dans les cas limitatifs cités au même article. Notons que certaines restrictions ne sont pas considérées comme des privations de liberté si elles répondent à trois critères cumulatifs.
Si une restriction est le résultat inévitable de circonstances échappant au contrôle des autorités (1), est nécessaire à la prévention d’un risque réel d’atteintes graves aux personnes ou aux biens (2), et limitée au minimum requis (3), elle ne saurait être considérée comme une privation de liberté. La Cour considère qu'étant donné le contexte de violences urbaines échappant au contrôle des autorités, et l'existence de risques réels en résultant, la restriction était nécessaire et limitée au minimum requis (pt. 73). Les trois conditions susmentionnées sont réunies. La restriction ne constitue donc pas privation de liberté au sens de l’article 5 § 1 de la Convention (pt. 73).
■ Libertés de circulation, de réunion pacifique et d’expression. La Cour poursuit par une analyse axée sur les libertés de circulation (art. 2 du prot. n° 4 à la Conv. EDH), de réunion pacifique (Conv. EDH, art. 11) et d’expression (Conv. EDH, art. 10). Elle considère que la liberté d’expression constitue une lex generalis par rapport à la liberté de réunion pacifique (pt. 97). Le grief est donc examiné sur le terrain de l’article 11 lu à la lumière de l’article 10. L’existence d’une ingérence ne constitue pas systématiquement violation : celle-ci peut être justifiée si elle est prévue par la loi (1), nécessaire et proportionnée (2), à la poursuite d’un but légitime (3).
L’exigence de la légalité soulève d’office une difficulté. La CEDH rappelle que « les mots « prévue par la loi » (…) imposent que la mesure incriminée ait une base légale en droit interne, mais visent aussi la qualité de la loi en cause ( …) » (pt. 85). Or, rappelons qu’à la date des faits, aucun texte à part l’article 1er de la loi du 21 janvier 1995 ne prévoyait ni n’encadrait le recours à l’encerclement. Pour une mesure susceptible d’affecter les droits et libertés fondamentaux de manifestants pacifiques, « il est essentiel que soit défini un cadre d’emploi déterminant de manière précise les circonstances et les conditions de sa mise en œuvre, les modalités de son déroulement et les limites dans le temps de son utilisation. » (pt. 92).
La Cour relève que le Défenseur des droits a recommandé en 2015 la création d’un cadre encadrant strictement le recours à l’encerclement (pt. 93) (v. ici). Le Conseil d’État a également annulé pour excès de pouvoir, du fait de l’absence de conditions suffisamment précises, le point relatif à l’encerclement dans le schéma national du maintien de l’ordre (v. CE 10 juin 2021, n° 444849).
Eu égard des éléments suscités, la Cour conclut que le recours à l’encerclement n’était pas, au jour des faits, prévue par la loi (pts. 94, 109). La violation des articles 2 du protocole n° 4 à la Conv. EDH (liberté de circulation), et 11 (liberté de réunion pacifique) lu à la lumière de l’article 10 (liberté d’expression) de la Conv. EDH, est jugée à l’unanimité.
Références :
■ Crim. 22 juin 2021, n° 20-83.302
■ Cons. const. 12 mars 2021, n° 2020-889 QPC : AJDA 2021. 1156, note X. Bioy ; D. 2021. 528 ; ibid. 2022. 1228, obs. E. Debaets et N. Jacquinot.
■ CE 10 juin 2021, n° 444849 : AJDA 2021. 1239 ; ibid. 1791 ; ibid. 1803 ; ibid. 1791, chron. C. Malverti et C. Beaufils, note X. Bioy ; D. 2021. 1190, et les obs. ; Légipresse 2021. 323 et les obs. ; ibid. 552, chron. E. Derieux et F. Gras.
Autres À la une
-
[ 20 décembre 2024 ]
À l’année prochaine !
-
Droit du travail - relations collectives
[ 20 décembre 2024 ]
Salariés des TPE : à vous de voter !
-
Droit du travail - relations individuelles
[ 19 décembre 2024 ]
Point sur la protection de la maternité
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 18 décembre 2024 ]
PMA post-mortem : compatibilité de l’interdiction avec le droit européen
-
Droit de la famille
[ 17 décembre 2024 ]
GPA : l’absence de lien biologique entre l’enfant et son parent d’intention ne s’oppose pas à la reconnaissance en France du lien de filiation établi à l'étranger
- >> Toutes les actualités À la une