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[ 17 mai 2023 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Condamnation de la France pour traitement inhumain d’une mère et de son nourrisson demandeurs d’asile

Le fait de placer un nourrisson et sa mère en rétention administrative, pendant neuf jours dans des conditions défavorables, constitue une violation de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants (Conv. EDH, art. 3). Une telle détention doit constituer une mesure de dernier ressort, dont la légalité doit être appréciée par le juge (art. 5 §1 et §4).

CEDH 4 mai 2023, A.C. et M.C. c/ France, req. n° 4289/21

Les requérants sont une mère et son enfant, nourrisson de sept mois et demi, arrivés en France en qualité de demandeurs d’asile. Les autorités françaises, estimant que l’Etat responsable de leur demande d’asile est l’Espagne, placent ceux-ci en rétention administrative en vue d’un transfert en application du règlement Dublin III (Règlement UE n° 604/2013). La rétention, initialement prévue pour 48 heures, est prolongée à 28 jours (pt. 7). Les juridictions internes confirment la prolongation. La Cour européenne des droits de l’homme, saisie d’une demande de mesure provisoire met fin à la privation de liberté au 9e jour (pt. 16).

■ Mesures provisoires - Au titre de l’article 39 du règlement de la CEDH, la Cour peut indiquer aux Etats membres d’adopter des mesures provisoires destinées à protéger l’intérêt des parties et le bon déroulement de la procédure. Notons que « la Cour n’en indique, en principe, que dans des cas véritablement exceptionnels […] », s’il existe un risque réel de dommages graves et irréversibles aux droits protégés par la Convention (v. CEDH 19 avril 2018, A.S. c/ France, n° 46240/15, opinion en partie concordante et en partie dissidente du juge O’Leary, pt. 15). Ces mesures sont adoptées avant le jugement.

Par le présent arrêt, la Cour examine la requête au fond. Sont alléguées des atteintes aux articles 3 et 5 de la Convention. L’article 3 interdit la torture, les peines et traitements inhumains, alors que l’article 5 prévoit un droit à la liberté et à la sûreté.

■ Interdiction des traitements inhumains - Les requérants font valoir qu’ils ont fait l’objet d’un traitement inhumain, du fait des conditions de rétention méconnaissant les besoins du requérant mineur. La Cour apprécie l’existence d’une violation de l’article 3, concernant le placement en rétention de mineurs accompagnés selon trois critères : « l’âge des enfants mineurs, le caractère adapté ou non des locaux au regard de leurs besoins […] et la durée de leur rétention » (pt. 37). Le critère de l’âge fait l’objet d’une considération particulière. En effet, la Cour rappelle être, dans une affaire contre la France présentant des similarités avec un arrêt précédent où « elle est parvenue à un constant de violation de l’article 3 s’agissant de nourrissons » (pt. 39) (v. CEDH 22 juillet 2021, M.D. et A.D. c/ France, n° 57035/18, pt. 70).

En l’espèce, l’enfant est un nourrisson (ibid.), l’environnement de détention est défavorable et de nature à entraîner « des conséquences néfastes sur un enfant de bas âge » (pt. 41). Étant donné la durée de la détention dans cet environnement, la Cour estime que le seuil de gravité constituant une violation de l’article 3 est franchi à l’égard du requérant mineur. Quant à sa mère, la CEDH qualifie la violation de l’article 3 « eu égard aux liens inséparables qui unissent une mère et son bébé […] ainsi qu’aux émotions qu’ils partagent » (pts. 43 et 44).

■ Droit à la liberté et à la sûreté - La Cour procède à un examen fondé sur l’article 5 §1 et 5 §4 de la Convention. L’article 5 §1 prévoit un droit à la liberté et à la sûreté : une personne ne peut être privée de sa liberté que selon les voies légales. En vertu de l’article 5 §4, toute personne privée de sa liberté dispose d’un droit d’introduire un recours devant un tribunal. Le tribunal doit statuer à bref délai sur la détention ; si celle-ci est illégale, la libération doit être ordonnée.

Il incombe aux autorités nationales, au titre de l’article 5 §1 de vérifier si une mesure moins restrictive aux libertés des requérants aurait pu être substituée à la rétention administrative, celle-ci devant constituer une mesure de dernier ressort (pts. 54, 55). La CEDH estime que les autorités internes n’ont pas « suffisamment vérifié » si une mesure moins restrictive que la prolongation de la privation de liberté à une durée de 28 jours aurait pu être adoptée (ibid.).

Les juridictions internes doivent également contrôler la légalité de la rétention administrative de manière effective, en considérant non seulement le droit interne mais également les droits prévus par la Convention (pt. 66 ; Art. 5 §4). Or, la Cour estime que le requérant mineur « n’a pas bénéficié d’un contrôle portant sur l’ensemble des conditions auxquelles est subordonnée la régularité de la rétention » (ibid.), et en particulier sur la possibilité d’une atteinte aux droits prévus par la Convention européenne des droits de l’homme.

La cinquième chambre de la Cour européenne des droits de l’homme constate, à l’unanimité, la violation des articles 3, 5 §1 et 5 §4 de la Convention.

Références :

■ CEDH 19 avr. 2018, A.S. c/ France, req. n° 46240/15 : AJDA 2018. 878.

■ CEDH 22 juillet 2021, M.D. et A.D. c/ France, req. n° 57035/18 AJDA 2021. 1592 ; AJ fam. 2021. 567, obs. M. Saulier ; AJ pénal 2021. 476, obs. M. Lacaze.

 

Auteur :Egehan Nalbant

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