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Condamnation de la France pour un refus injustifié de changement de nom
Mots-clefs : Changement de nom, Intérêt légitime, Droit au respect de la vie privée et familiale
Le défaut de preuve de l'intérêt légitime ne suffit pas à justifier un refus de changement de nom.
Si le principe de l’immutabilité du nom d’une personne devrait interdire la modification de ce nom tel qu’il est inscrit sur son acte de naissance, la loi n°93-22 du 8 janvier 1993, qui a introduit dans le Code civil les articles 60 et suivants, autorise néanmoins le changement de nom en cas d’intérêt légitime.
En effet, la double nature du nom de famille – institution de police civile et droit subjectif – reflète sa double fonction – sociale et privée.
Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme avait-elle pu affirmer, dans un arrêt Mustafa c/France en date du 17 juin 2003, qu’« en tant que moyen d’identification personnelle et de rattachement à une famille, le nom d’une personne concerne la vie privée et familiale de celle-ci. Que l’État et la société aient intérêt à en réglementer l’usage n’y met pas obstacle, car ces aspects de droit public se concilient avec la vie privée conçue comme englobant, dans une certaine mesure, le droit pour l’individu de nouer et développer des relations avec ses semblables, y compris dans le domaine professionnel et commercial ». Le droit de changer de nom se trouve en conséquence protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui fonde, dans l’ordre externe, le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale.
C’est ce que par l’arrêt rapporté, la CEDH vient de rappeler en condamnant la France pour avoir refusé, en violation de l’article 8 de la Convention, de faire droit à une demande de changement de nom au seul motif que le requérant n'apportait pas la preuve de son intérêt légitime.
En l'espèce, le requérant, de nationalité franco-algérienne, avait été enregistré à l'état civil français sous le nom de sa mère. Après qu’elle l’eut abandonné, le requérant fut recueilli en Algérie par son père, qui le reconnut à l'état civil algérien sous son propre nom, Kismoun. C’est donc ainsi qu’il fut appelé dès l’enfance, par sa famille comme par ses amis. À l'occasion de démarches entreprises pour retrouver sa mère, le requérant apprit que son nom, à l'état civil français, restait celui enregistré à l’époque par cette dernière, Christian Henry. Il demanda alors à substituer au nom enregistré en France celui enregistré en Algérie. Après une première tentative infructueuse auprès du garde des Sceaux, il réitéra sa demande en soutenant, principalement, le désintérêt de sa mère à son égard.
Faute d'avoir pu en apporter la preuve, il fut débouté en appel en 2008 au motif que le désintérêt invoqué, à le supposer établi, ne suffisait pas à lui conférer un intérêt légitime pour changer de nom. Enfin, son pourvoi devant le Conseil d'État fut déclaré non admis en 2009. Devant la CEDH, le requérant dénonça la permanence du refus qui lui fut opposé, selon lui constitutive d’une véritable « ingérence » portant une atteinte substantielle à son droit garanti par l’article 8 de la Convention.
En ce sens, la Cour observe que si un tel refus était fondé sur le défaut de preuve du désintérêt de la mère du requérant, aucun examen ne fut toutefois porté sur la motivation spécifique du requérant. En effet, il lui avait été seulement opposé que l’usage du nom « Kismoun », qu’il revendiquait comme celui de ses origines, ne suffisait pas à caractériser l’intérêt légitime requis par le droit français pour changer de nom. Mais selon la Cour, les juridictions nationales n’ont pas su justifier en quoi la demande du requérant, dont les motivations internes auraient dû être prises en compte pour apprécier son bien-fondé, se heurtait à un impératif d’ordre public.
Pour les juges européens, la justification avancée, tenant à la conformité du nom de « Henry » à l’identification du requérant selon le droit français, ne constitue pas une réponse suffisante à la demande du requérant, dès lors qu’elle n’accorde aucun poids au but qu’il poursuivait, celui de porter un nom unique, conforme à son identité telle qu’elle fut construite en Algérie, le nom « Kismoun » étant l’un des éléments majeurs de cette identité.
La Cour rappelle à cet égard que le nom, en tant qu’élément d’individualisation principal d’une personne au sein de la société, relève à ce titre de son droit au respect de sa vie privée et familiale. Elle souligne également l’intérêt primordial de la personne à être reconnue sous un nom unique et non sous deux identités différentes. Or, la Cour déduit de la motivation des différentes décisions prises par les autorités nationales que celles-ci n’ont pas tenu compte de l’aspect identitaire de la demande du requérant et qu’elles ont ainsi omis de mettre en balance, avec l’intérêt public en jeu, son intérêt primordial à obtenir le changement de son nom. Dans ces conditions, la Cour estime que « le processus décisionnel de la demande de changement de nom n’a pas accordé aux intérêts du requérant la protection voulue par l’article 8 de la Convention ». Statuant en équité, la Cour lui accorde 4 000 euros au titre du préjudice moral subi.
CEDH 5 déc. 2013, Henry Kismoun c/France, n°32265/10
Références
■ CEDH 17 juin 2003, Mustafa c/France, n°63056/00.
■ Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
« Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales à la requête de l'intéressé ou, s'il s'agit d'un mineur ou d'un majeur en tutelle, à la requête de son représentant légal. L'adjonction , la suppression ou la modification de l'ordre des prénoms peut pareillement être décidée.
Si l'enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis. »
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