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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Condamnation de la France pour violation de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme suite à un suicide en prison
Mots-clefs : Droit à la vie, Suicide, CEDH, condamnation, France, Détenu, Obligations étatique
Un arrêt du 4 février 2016 de la Cour européenne des droits de l’homme condamne la France pour ne pas avoir pris les mesures nécessaires afin de parer au risque de suicide d’un détenu dont les autorités avaient connaissance.
Dans cette affaire, le requérant engage la responsabilité de l’administration suite au suicide de son fils M., douze jours après son placement en détention. Le juge d’instruction avait signalé dans la notice individuelle la fragilité du détenu au chef d’établissement pénitentiaire. Le détenu a été placé à son arrivée le 25 novembre 2008 au sein du quartier « arrivants » ; puis le 5 décembre 2008, en cellule collective avec deux autres détenus. Le lendemain, en l’absence de ses codétenus, M. se pendit avec un drap aux barreaux de la fenêtre de la cellule.
Le père du détenu a alors demandé au Garde des Sceaux la réparation des préjudices matériel et moral occasionnés par le décès de son fils. Devant son refus, il a saisi la juridiction administrative. Le tribunal administratif de Bordeaux rejeta sa requête. La cour administrative d’appel confirma le jugement en estimant qu’aucune recommandation particulière n’avait été adressée à l’administration pénitentiaire par le service médico-psychologique régional (« SMPR »), ce dernier n’étant pas sous l’autorité de l’administration pénitentiaire. Le père du défunt forma un pourvoi devant le Conseil d’État, pourvoi non admis par les magistrats du Palais Royal. Il demanda alors à la CEDH de statuer sur cette affaire en invoquant notamment l’article 2 de la Conv. EDH sur le droit à la vie.
Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle d’une part, que l’État se doit de s’abstenir de provoquer volontairement la mort, et d’autre part, qu’il est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction (V. CEDH 9 juin 1998, LCB c/ Royaume Uni, n° 23413/94, § 36). L’État a l’obligation positive de prendre toutes les mesures nécessaires afin de protéger l’individu contre autrui ou contre lui-même (V. CEDH 16 nov. 2000, Tanrıbilir c. Turquie, n° 21422/93, § 70). Cette obligation positive est interprétée par la Cour afin de ne pas imposer un « lourd fardeau » aux États. A l’instar du suicide en prison, cette obligation positive ne pèse que lorsqu’il existe un risque réel et immédiat. Autrement dit, la responsabilité des autorités n’est retenue dans le seul cas où ils ont connaissance du risque et qu’ils n’ont pas pris les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’eux afin d’y parer (V. CEDH 16 oct. 2008, Renolde c/ France, n° 5608/05, § 85; CEDH 8 oct. 2015, Sellal c/ France, n° 32432/13, § 47).
En l’espèce, le risque réel et immédiat était établi à divers égards : le juge d’instruction avait signalé la fragilité du détenu, les autorités pénitentiaires avaient connaissance des antécédents suicidaires de M., ainsi que de diverses difficultés témoignant sa fragilité dont un signalement avait été fait au SMPR. S’agissant des mesures prises par les autorités, étaient-elles suffisantes ? Il appert que les autorités ont signalé le risque au SMPR, que durant sa détention en cellule collective une mesure de surveillance spéciale a été prise, se traduisant en une « ronde » toutes les heures. Au vu de ces éléments, les magistrats de Strasbourg jugent que les mesures prises par l’État ne suffisent pas à conclure que l’État a respecté son obligation positive de protéger la vie du détenu, qu’il y a donc violation de l’article 2 de la Conv. EDH. De surcroît, la Cour constate qu’a minima M. aurait dû bénéficier d’un contrôle médical constituant la mesure de protection minimale, et que le Gouvernement n’établit pas la preuve que ce contrôle a été effectué. In fine, le fait que le service médical, notamment le SMPR, ne soit pas sous l’autorité de l’administration pénitentiaire, ne décharge en rien l’administration de son obligation. En conséquence, la France est en tout état de cause responsable du dysfonctionnement dans la collaboration des personnels de surveillance et médicaux (V. CEDH 19 fév. 2015 Helhal c. France, n° 10401/12, § 58).
CEDH 4 févr. 2016, ISENC c/ France, n° 58828/13
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 2
« Droit à la vie 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire : a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ; b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ; c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »
■ CEDH 9 juin 1998, LCB c/ Royaume Uni, n° 23413/94, Recueil des arrêts et décisions 1998‑III, RTD civ. 1999. 498, obs. J.-P. Marguénaud.
■ CEDH 16 nov. 2000, Tanrıbilir c/ Turquie, n° 21422/93
■ CEDH 16 oct. 2008, Renolde c/ France, n° 5608/05, AJDA 2008. 1983 ; D. 2008. 2723, obs. M. Léna ; ibid. 2009. 123, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; ibid. 1376, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2009. 41, obs. J.-P. Céré ; RDSS 2009. 363, obs. P. Hennion-Jacquet ; RSC 2009. 173, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 431, chron. P. Poncela.
■ CEDH 8 oct. 2015, Sellal c/ France, n° 32432/13.
■ CEDH 19 fév. 2015, Helhal c/ France, n° 10401/12, D. 2015. 434, C. de presse ; ibid. 569, obs. M. Léna ; ibid. 1122, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; AJ pénal 2015. 219, obs. J.-P. Céré.
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