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[ 16 novembre 2018 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Condamnation pénale de l’employeur : sa faute civile est inexcusable.

L’autorité de la chose jugée au pénal s’imposant au juge civil, l’employeur définitivement condamné par le juge répressif doit être considéré par la juridiction sociale comme ayant commis une faute inexcusable.

Lorsqu’un accident du travail justifie la condamnation pénale de l’employeur, le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s’applique à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Tel est le rappel de cette règle jurisprudentielle constante auquel procède la décision rapportée.

En l’espèce, la veuve et les enfants d’un salarié victime d’un accident mortel du travail avaient sollicité, auprès d’une juridiction de sécurité sociale, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur du défunt. La cour d’appel accueillit leur demande, en raison du manquement commis par l’employeur à son obligation de sécurité de résultat, le manquement à cette obligation ayant le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale qui prévoit que la faute doit être ainsi caractérisée lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour l’en protéger. Après qu’un pourvoi contre cette décision ait été formé par l’employeur contre cette décision, la Cour de cassation confirme la décision des juges du fond, jugeant que la chose définitivement jugée au pénal s'imposant au juge civil, l'employeur définitivement condamné pour un homicide involontaire commis, dans le cadre du travail, sur la personne de son salarié et dont la faute inexcusable est recherchée, doit être considéré comme ayant eu conscience du danger auquel celui-ci était exposé et n'avoir pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; or la cour d’appel ayant constaté que, par jugement définitif du 1er juillet 2005, un tribunal correctionnel avait déclaré l'employeur coupable d'un homicide involontaire commis, dans le cadre du travail, sur la personne du défunt, c’est par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à celui critiqué par le moyen, que sa décision se trouve légalement justifiée. 

Il résulte en effet d’une jurisprudence constante (Soc. 12 oct. 1988, n° 86-18.758 ; Civ. 2e, 25 avr. 2013, n° 12-12.963 ; Civ. 2e, 7 mai 2015, n° 13-25.984) que l’existence d’une condamnation pénale pour non-respect des règles relatives à la sécurité implique nécessairement que l’employeur a eu conscience du danger auquel il exposait son salarié sans prendre les mesures nécessaires pour l’en protéger, et ainsi commis, au sens de la législation sociale, une faute inexcusable. 

L’autorité de la chose jugée au pénal conduit ainsi à induire mécaniquement la faute inexcusable de l’employeur de sa condamnation par les juridictions répressives, généralement pour des infractions d’homicide ou de blessures involontaires. Se trouve donc de fait instaurée, dans cette hypothèse, une présomption de faute inexcusable, alors qu’en principe, il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur d’en rapporter la preuve. Mais la condamnation pénale, à la condition d’être définitive, exclut par son autorité la nécessité de caractériser la conscience du danger. Celle-ci se déduit automatiquement de la reconnaissance, par le juge répressif, d’une faute pénale, même non intentionnelle, l’absence d’intention de causer le dommage n’excluant pas la conscience du risque de le générer. Ainsi dans un arrêt rendu en 2013 la Cour de cassation affirmait-elle en ces termes l’articulation des deux fautes : « Qu'en statuant ainsi, alors que M. Y., en sa qualité de chef d'entreprise, avait été condamné pénalement pour avoir causé, en ne respectant pas les règles de sécurité relatives aux travaux en hauteur, des blessures à l'intéressé, ce dont il résultait qu'il devait avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés » (Civ. 2e, 25 avr. 2013, préc.). Et de manière plus sommaire mais tout aussi claire, il y a déjà trente ans : « les responsables de la société X et Z... avaient été condamnépénalement pour avoir omis de faire vérifier la grue par une entreprise habilitée, ce qui impliquait un risque dont l'employeur ne pouvait pas ne pas avoir conscience » (Soc. 12 oct. 1988, préc.).

Cependant, le principe de distinction de la faute pénale et de la faute inexcusable demeure, malgré les incidences de l’une sur la caractérisation de l’autre. En effet, depuis qu’une loi du 10 juillet 2000, relative à la définition des délits non intentionnels, a mis un terme à l’assimilation des fautes civile et pénale en prévoyant que la déclaration par le juge répressif de l'absence de faute non intentionnelle, ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d'imprudence, de négligence ou une faute inexcusable (C. proc. pén., art. 4-1), la Cour de cassation juge que la faute inexcusable de l’employeur peut être retenue même en l’absence de condamnation pénale (Civ. 1re, 30 janv. 2001, n° 98-14.368 ; Civ. 2e, 15 mars 2012, n° 10-15.503 ; Soc. 30 janv. 2003, n° 01-13.692). Ainsi est-il devenu également constant en jurisprudence d’affirmer que « la déclaration par le juge répressif de l'absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à la reconnaissance d'une faute inexcusable en application de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale. Il suffit que la faute de l'employeur soit en lien de causalité avec le dommage pour que la responsabilité de ce dernier soit engagée alors même que d'autres fautes auraient concouru à la réalisation du dommage. (Civ. 2e, 16 févr. 2012, n° 11-12.143).

La faute pénale non intentionnelle, au sens des dispositions de l’article 121-3 du Code pénal, étant dissociée de la faute inexcusable au sens des dispositions de l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, il appartient dès lors à la juridiction de la sécurité sociale de rechercher si les éléments du dossier permettent de retenir la faute inexcusable de l’employeur, laquelle s’apprécie de façon distincte des éléments constitutifs de l’infraction d’homicide involontaire (Civ. 2e, 15 mars 2012, préc.). 

Civ. 2e, 11 oct. 2018, n° 17-18.712

Références

■ Fiche d’orientation Dalloz: Faute inexcusable de l’employeur 

■ Soc. 12 oct. 1988, n° 86-18.758 P

■ Civ. 2e, 25 avr. 2013, n° 12-12.963

■ Civ. 2e, 7 mai 2015, n° 13-25.984

■ Civ. 1re, 30 janv. 2001, n° 98-14.368 P : D. 2002. 1320, et les obs., obs. P. Delebecque ; ibid. 2001. 2232, obs. P. Jourdain ; RSC 2001. 613, obs. A. Giudicelli ; RTD civ. 2001. 376, obs. P. Jourdain

■ Civ. 2e, 15 mars 2012, n° 10-15.503 P : D. 2012. 1316, note N. Rias

■ Soc. 30 janv. 2003, n° 01-13.692

 

■ Civ. 2e, 16 févr. 2012, n° 11-12.143 P : D. 2012. 616

 

 

Auteur :Merryl Hervieu


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