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Droit pénal européen et international
Condamnation pour crimes de guerre commis conforme au principe de légalité
Mots-clefs : Crimes de guerre (définition, poursuites), Droit international humanitaire, Application de la loi pénale dans le temps, Principe de légalité criminelle, Prescription, Responsabilité pénale individuelle
Par un arrêt du 17 mai 2010, la grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme juge que la condamnation pour crimes de guerre commis pendant la deuxième guerre mondiale, prononcée en 2004 contre un ressortissant letton, n'a pas violé l'article 7 de la Convention européenne et le principe de légalité criminelle.
C'est par une analyse détaillée du droit international humanitaire que la grande chambre se prononce sur la conformité au principe de légalité d'une condamnation pour crimes de guerre commis en 1944, prononcée en 2004 par des juridictions lettones. Le requérant, ressortissant letton, fut mobilisé comme soldat dans l'armée soviétique en 1942 et devint membre d'un commando composé de partisans rouges. Le 27 mai 1944, il dirigea une expédition dans un village biélorusse, dont certains habitants étaient soupçonnés d'avoir dénoncé des partisans aux Allemands. L'opération, menée sous couvert de l'uniforme allemand, fit neuf morts, six hommes et trois femmes, qui n'étaient pas armés et n'avaient opposé aucune résistance.
Une enquête fut ouverte, en juillet 1998, en Lettonie. Le requérant fut condamné, en 2004, pour crimes de guerre, infraction réprimée par l'article 68-3 du Code pénal de 1961. La cour suprême fonda la condamnation sur la quatrième Convention de Genève de 1949 (protection des personnes civiles en temps de guerre), ainsi que sur les articles 25 (prohibition des attaques de localités non défendues) et 23, b, du Règlement de La Haye de 1907 (possibilité de condamnation distincte pour infliction de blessures par trahison). Une peine d'un an et huit mois d'emprisonnement ferme fut prononcée.
Devant la Cour de Strasbourg, le requérant allégua, sur le fondement de l'article 7, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (principe de légalité criminelle), que les actes litigieux ne constituaient pas une infraction au regard du droit interne ou international au moment de leur commission ; il soutint, par ailleurs, l'inapplicabilité de l'article 7, § 2 (qui prévoit que l'article 7 « ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées »). Par un arrêt du 24 juillet 2008, la Cour reconnut, par quatre voix contre trois, la violation de l'article 7, § 1. L'affaire fut renvoyée devant la grande chambre à la demande du gouvernement letton.
Considérant l'affaire d'abord sous l'angle de l'article 7, § 1, la grande chambre recherche :
1/ s'il existait une base légale suffisamment claire, compte tenu de l'état du droit au 27 mai 1944, pour condamner le requérant pour crimes de guerre ;
2/ si cette incrimination était définie en droit avec suffisamment d'accessibilité et de prévisibilité pour que l'intéressé pût savoir, le 27 mai 1944, quels actes ou omissions étaient de nature à engager sa responsabilité pénale (v. déjà, CEDH, gde ch., 22 mars 2001, Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne ; 19 sept. 2008, Korbely c. Hongrie).
Elle se pose ensuite trois questions principales : existait-il en 1944 une base juridique suffisamment claire pour les crimes pour lesquels le requérant a été condamné ? Les accusations de crimes de guerre étaient-elles prescrites ? Le requérant pouvait-il prévoir que les actes en cause s'analyseraient en des crimes de guerre et qu'il serait poursuivi ?
Pour répondre à la première, la Cour relève que la condamnation du requérant était fondée sur le droit international et non sur le droit national, l'article 68-3 du code pénal renvoyant aux « conventions juridiques pertinentes ». Relevant que l'infliction de mauvais traitements et de la mort aux villageois était, eu égard à l'article 23, c, du Règlement de La Haye de 1907, contraire à une règle fondamentale des lois et coutumes de la guerre, elle conclut qu'« à supposer même que l'on puisse considérer que les villageois décédés étaient des "civils ayant participé aux hostilités" ou des "combattants", la condamnation et la sanction infligées au requérant pour des crimes de guerre commis en sa qualité de commandant de l'unité responsable de l'attaque menée le 27 mai 1944 reposaient sur une base légale suffisamment claire eu égard à l'état du droit international en 1944 » (§ 227).
Sur la prescription, la Cour estime qu'aucune des dispositions du droit interne n'était applicable et que les accusations portées contre le requérant n'ont jamais été prescrites en vertu du droit international. Sur l'accessibilité et la prévisibilité de la loi, enfin, elle relève que les lois et coutumes de la guerre étaient, en soi, suffisantes en 1944 pour fonder la responsabilité pénale individuelle (§ 238).
Jugeant que les poursuites et la condamnation du requérant par les juridictions lettones, fondées sur le droit international en vigueur à l'époque, n'étaient pas imprévisibles, elle conclut, par treize voix contre trois, à l'absence de violation de l'article 7 (§ 244).
CEDH, gde ch., 17 mai 2010, Kononov c. Lettonie, n° 36376/04
Références
« Principe, contenu dans l’adage latin “Nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege”, selon lequel les crimes et les délits doivent être légalement définis avec clarté et précision, ainsi que les peines qui leur sont applicables. Pour ce qui est des contraventions, soumises aux mêmes exigences, leur définition relève, depuis la Constitution de 1958, du domaine réglementaire. »
Source : Lexique des termes juridiques 2010, 18e éd., Dalloz, 2010.
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 7 — Pas de peine sans loi
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
■ CEDH, gde ch., 22 mars 2001, Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne, nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98, Rec. CEDH 2001-II.
■ CEDH, gde ch., 19 sept. 2008, Korbely c. Hongrie, n° 9174/02.
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