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[ 1 octobre 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Condamnation pour trouble du voisinage : exclusion du droit à la garantie d’éviction

En l’absence d’atteinte au droit réel de propriété, la condamnation du vendeur d'un immeuble à faire cesser un trouble du voisinage n'ouvre pas droit à la garantie d'éviction.

Civ. 3e, 24 juin 2021, n° 20-14.091

Se plaignant de ne pas avoir été informé de la condamnation de leur vendeur, quinze ans avant la date de conclusion du contrat, pour trouble anormal de voisinage en raison de nuisances sonores causées par le marbre posé au sol des pièces principales de l’appartement cédé, un couple d’acquéreurs avait appelé leur cocontractant en garantie d’éviction et des vices cachés pour obtenir l’indemnisation de leur préjudice, au titre des charges non déclarées sur le bien vendu (C. civ., art. 1626).

La cour d’appel rejeta leur demande au motif que la condamnation en justice du vendeur à faire cesser les troubles de voisinage était une condamnation personnelle n’ayant pas modifié la teneur de leur droit réel de propriété sur le bien. Selon les juges du fond, elle ne constituait donc pas une charge sur le bien, dès lors que le trouble allégué dans la jouissance du bien vendu ne résultait pas d’un droit sur le bien invoqué par un tiers. En effet, si le vendeur est tenu de garantir l’acheteur des charges prétendues sur le bien vendu et qu’il n’a pas déclarées lors de la vente (C. civ., art. 1626 et 1638), cette garantie ne trouve à s’appliquer qu’en cas de droit concurrent invoqué par un tiers, que l’acheteur ignorait au moment de la vente et qui n’a pas été déclarée par le vendeur (bail, servitude privée ou publique...), et qui affecte la jouissance du bien acquis. 

A l’appui de leur pourvoi en cassation, le couple d’acquéreurs soutenait en conséquence que leur vendeur avait à tort déclaré, aux termes de l'acte de vente, que le bien ne faisait l'objet d'aucune injonction de travaux et qu’il n'avait fait état d'aucune charge portant sur ledit bien, malgré l’injonction consécutive à sa condamnation pour trouble de voisinage à effectuer des travaux de réparation. Ainsi les demandeurs au pourvoi considéraient-ils que la nécessité de faire des travaux résultant de cette condamnation en justice constituait une charge sur le bien non déclarée lors de la vente, justifiant la mise en œuvre de la garantie du vendeur.

Leur pourvoi est rejeté. Rappelant que la charge non déclarée, au sens de l'article 1626 du Code civil, suppose que l'acquéreur soit troublé dans la jouissance du bien par un tiers prétendant détenir un droit concurrent sur ce bien, la troisième chambre civile de la Cour de cassation juge que la cour d'appel a retenu, à bon droit, que la condamnation du vendeur à faire cesser les troubles de voisinage était une condamnation personnelle sans incidence sur la teneur du droit réel de propriété sur le bien, ce dont elle a exactement déduit qu’une telle condamnation ne constituait pas une charge sur le bien, dès lors que le trouble allégué dans la jouissance de la chose vendue ne résultait pas d'un droit sur le bien invoqué par un tiers.

La garantie que le vendeur doit à l’acquéreur a deux objets : le premier réside dans la possession paisible de la chose vendue ; le second couvre les défauts cachés de cette chose ou les vices rédhibitoires qui l’affectent (C. civ., art. 1625). 

En l’espèce, seule la première déclinaison de cette garantie, contre l’éviction de l’acquéreur, était en jeu : en effet, les inconvénients générés par le revêtement en marbre du sol de l’appartement, à l’origine d’un trouble caractérisé du voisinage, ne constituaient pas pour autant un vice caché rendant le bien impropre à sa destination. D’ailleurs, les juges du fond avaient en ce sens relevé que postérieurement à sa condamnation, le vendeur avait continué à jouir de l’appartement sans réaliser de travaux et en se contentant de recouvrir le sol de tapis qui avaient suffi à mettre fin aux nuisances sonores en cause.

« Quoique lors de la vente il n’ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit de garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente » (C. civ., art. 1626). Outre la garantie des vices cachés, l’acquéreur en appelait également à la garantie des charges qui découle de la garantie d’éviction du fait, non personnel au vendeur, mais d’un tiers se prévalant d’un droit concurrent à celui de l’acheteur qui, susceptible d’être ainsi évincé, est en droit d’appeler son vendeur en garantie, à la condition que la charge prétendue et non déclarée au moment de la vente lui cause effectivement un préjudice (Civ. 3e, 2 févr. 2005, n° 03-15.539). 

En l’espèce, l’acquéreur considérait que la nécessité de faire des travaux sur le bien objet de la vente, consécutive à la condamnation antérieure du vendeur pour trouble de voisinage, entrait dans cette catégorie et devait, dès lors, être considérée comme une charge non déclarée sur le bien vendu. 

En vérité, la condamnation de son vendeur ne pouvait pas être ainsi considérée : ayant contraint le seul vendeur à effectuer des travaux, cette obligation de nature personnelle, en application de l’autorité de la chose jugée, était par principe inopposable aux acquéreurs futurs, en l’absence d’incidence de cette obligation personnelle sur le droit réel de propriété portant sur le bien. Elle ne privait donc pas ses propriétaires actuels de la jouissance de la chose vendue ; elle venait au contraire constater l’atteinte au droit de jouissance de leurs voisins sur leurs propres biens. Au surplus, la perte de valeur de l’appartement alléguée par les acheteurs ne pouvait, en conséquence de l’analyse qui précède, être établie. En l’absence de préjudice subi par les demandeurs et d’atteinte à leur droit de propriété, il ne pouvait donc être caractérisé l’existence d’une charge devant leur être déclarée au sens de l’article 1626 du Code civil.

Référence

■ Civ. 3e, 2 févr. 2005, n° 03-15.539 P : AJDI 2005. 681

 

Auteur :Merryl Hervieu

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