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[ 16 novembre 2010 ] Imprimer

Procédure et contentieux administratifs

Condition de légalité d’un arrêté préfectoral portant réquisition de personnels grévistes

Mots-clefs : Arrêté préfectoral, Droit de grève, Liberté fondamentale, Réquisition, Salariés grévistes, Référé administratif, Référé-liberté

Ne constitue pas une illégalité manifeste, l’arrêté préfectoral portant réquisition de salariés grévistes d’un établissement pétrolier, a décidé le juge des référés du Conseil d’État, dans une ordonnance du 27 octobre 2010.

Le blocage de l’établissement pétrolier de Gargenville, lors de la grève du mois d’octobre 2010, a conduit le préfet des Yvelines à prendre un arrêté portant réquisition de personnels de cet établissement sur le fondement du 4° de l’article L. 2215-1 du CGCT, pour une durée de six jours. La Fédération nationale des industries chimiques-CGT et plusieurs salariés ont alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Versailles afin qu’il suspende l’exécution de l’arrêté litigieux dans le cadre de la procédure de « référé-liberté ». Mais celui-ci a rejeté leur demande par une ordonnance du 23 octobre 2010. Le juge a en effet estimé que la mesure de réquisition, si elle constitue une limitation à l’exercice du droit de grève, reconnue comme une liberté fondamentale, n’est pas entachée d’illégalité manifeste. Les requérants ont alors saisi, en appel, le juge des référés du Conseil d’État qui a rejeté leur demande et confirmé le refus de suspendre la mesure de réquisition contestée dans une ordonnance du 27 octobre 2010.

La réquisition de salariés grévistes : une limitation au droit de grève

Même si le droit de grève présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du CJA (« référé-liberté »), le Conseil d’État a admis la possibilité de restreindre ce droit (CE, Ass., 7 juill. 1950, Dehaene). Le préfet peut légalement requérir du personnel gréviste d’un établissement, même privé, dans le but d’assurer, par exemple, le maintien d’un effectif suffisant pour garantir la sécurité des patients et la continuité des soins (CE 9 déc. 2003, Mme Aguillon et a.). L’arrêté de réquisition du préfet doit être nécessairement proportionné avec l’objectif poursuivi : le maintien de l’ordre public, de la salubrité, de la tranquillité et de la sécurité publiques. C’est pourquoi lors du contrôle de la légalité de l’acte, le juge administratif doit mettre en équilibre l’atteinte qui est portée au droit de grève et le rétablissement de l’ordre.

Ainsi, en l’espèce, les stocks de carburant de l’aéroport de Roissy devaient-ils être complétés afin d’éviter le blocage de nombreux passagers et la menace de la sécurité aérienne en cas d’erreur de calcul des réserves d’un avion. De plus, la pénurie de carburant menaçait le ravitaillement des véhicules de services publics et de services de première nécessité créant des risques pour la sécurité routière et l’ordre public. C’est pourquoi, le Conseil d’État estime que la décision du préfet des Yvelines de réquisitionner l’établissement de dépôt pétrolier de Gargenville était une solution nécessaire en raison de ses stocks disponibles et de sa situation géographique. Par ailleurs, le personnel réquisitionné pour une durée de six jours ne représente qu’une fraction de l’effectif total de l’établissement même si ces salariés requis sont pour l’essentiel des salariés grévistes. Enfin, l’acte pris par le préfet indique conformément à l’article L. 2215-1-4° du CGCT, les motifs de la réquisition, sa durée, les prestations requises, les effectifs requis et leur répartition, et laisse à l’exploitant de l’établissement la gestion de l’activité demandée.

Ainsi, une entreprise privée, dont l’activité présente une importance particulière pour le maintien de l’activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics peut elle voir ses salariés grévistes réquisitionnés quand les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l’ordre public. Les mesures de réquisition doivent être imposées par l’urgence et proportionnées aux nécessités de l’ordre public.

CE, ord., 27 oct. 2010, M. Stéphane L. et autres, req. n° 343966

 

Références

Référé-liberté

« Procédure permettant au juge des référés administratifs, en cas d’urgence, d’ordonner les mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une collectivité publique (ou un organisme chargé d’une mission de service public) aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale dans l’exercice d’un de ses pouvoirs. Cette atteinte peut être représentée aussi bien par un simple comportement que par une décision juridique. »

Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010.

CE, Ass., 7 juill. 1950, Dehaene, req. n° 01645 ; Lebon 426 ; GAJA 17e éd., n° 63.

CE 9 déc. 2003, Mme Aguillon et a., req. n° 262186 ; Lebon 497 ; AJDA 2004. 1138, note Le BotRFDA 2004. 311, concl. Stahl, note Cassia.

■ Art. L. 2215-1- 4° du Code général des collectivités territoriales

« 4° En cas d'urgence, lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d'entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l'usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées.

L'arrêté motivé fixe la nature des prestations requises, la durée de la mesure de réquisition ainsi que les modalités de son application.

Le préfet peut faire exécuter d'office les mesures prescrites par l'arrêté qu'il a édicté.

La rétribution par l'État de la personne requise ne peut se cumuler avec une rétribution par une autre personne physique ou morale.

La rétribution doit uniquement compenser les frais matériels, directs et certains résultant de l'application de l'arrêté de réquisition.

Dans le cas d'une réquisition adressée à une entreprise, lorsque la prestation requise est de même nature que celles habituellement fournies à la clientèle, le montant de la rétribution est calculé d'après le prix commercial normal et licite de la prestation.

Dans les conditions prévues par le code de justice administrative, le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il délègue peut, dans les quarante-huit heures de la publication ou de la notification de l'arrêté, à la demande de la personne requise, accorder une provision représentant tout ou partie de l'indemnité précitée, lorsque l'existence et la réalité de cette indemnité ne sont pas sérieusement contestables.

En cas d'inexécution volontaire par la personne requise des obligations qui lui incombent en application de l'arrêté édicté par le préfet, le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il délègue peut, sur demande de l'autorité requérante, prononcer une astreinte dans les conditions prévues aux articles L. 911-6 à L. 911-8 du code de justice administrative.

Le refus d'exécuter les mesures prescrites par l'autorité requérante constitue un délit qui est puni de six mois d'emprisonnement et de 10 000 € d'amende. »

 

Auteur :C. G.


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