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[ 2 mars 2015 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Conditions de détention d’un prisonnier lourdement handicapé

Mots-clefs : Handicap, Conditions de détentions, Suspension médicale des peines (non), Traitements inhumains et dégradants, Convention européenne des droits de l’homme

Si le maintien en détention d’une personne gravement handicapée n’est pas en soi contraire à l’article 3 Conv. EDH, l’absence ou l’insuffisance de soins et la nécessité de se faire aider par un codétenu sont constitutifs d’un traitement dégradant au sens de cet article.

Depuis la loi du 18 janvier 1994 (L. n°94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale), tous les établissements pénitentiaires français disposent d’unités de consultations qui sont des unités hospitalières déportées dotées de moyens logistiques et techniques identiques à tout service hospitalier. Ancré dans la loi, le droit à la permanence des soins permet aux détenus d’y accéder à tout moment et revient à proclamer la prééminence du droit de la santé (v. J.-P. Céré, C. E. A. Japiassù). Malgré tout, la France fait figure de mauvais élève et a déjà été condamnée par la Cour européenne à plusieurs reprises pour violation de l’article 3 (CEDH 14 nov. 2002, Mouisel c/ France : à propos du port de menottes jugé disproportionné au vu des risques de sécurité, le détenu étant atteint d’une leucémie ; CEDH 11 juil. 2006, Rivière c/ France : les conditions de détention ont été jugées inappropriées aux troubles mentaux du détenu).

En l’espèce, le requérant purge une peine de trente ans de réclusion criminelle pour des faits d’assassinat, de tentative d’assassinat et de violence avec usage ou menace d’une arme. À la suite d’une tentative d’évasion, il fut victime d’une chute de plusieurs mètres engendrant une paraplégie des membres inférieurs ainsi qu’une incontinence urinaire et anale. L’homme forma, auprès du juge de l’application des peines, une demande de suspension de peine pour raison médicale sur le fondement de l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale. Contraint de se déplacer en fauteuil roulant, il fit valoir que les locaux n’étaient pas adaptés à son handicap, que les soins prodigués étaient insuffisants et qu’il devait se faire assister d’un détenu mis à sa disposition. En accord avec les avis de deux médecins experts, le tribunal rejeta sa demande en précisant, toutefois, qu’il existait des établissements pénitentiaires plus adaptés à son état de santé. Le requérant interjeta appel, puis forma un pourvoi en cassation, sans succès.

Saisie de l’affaire, la Cour européenne a dû se prononcer sur la compatibilité de l’état santé du détenu handicapé avec son maintien en détention ainsi que sur les modalités de sa prise en charge en prison.

■ Sur le maintien en détention

La détention d’une personne malade dans des conditions inadaptées peut être constitutive d’un traitement dégradant contraire à l’article 3 de la Conv. EDH. Dans l’arrêt Price c/ Royaume-Uni, la Cour européenne a considéré que constitue un traitement dégradant, le fait d’avoir maintenu en détention une personne, handicapée des quatre membres. De même, elle a condamné la France, sur le fondement de l’article 3 de la Conv. EDH, pour avoir maintenu en détention une personne handicapée dans un établissement où elle ne pouvait se déplacer, et notamment quitter sa cellule, par ses propres moyens (CEDH 24 oct. 2006, Vincent c/France, n°6253/03 ; aussi CEDH 7 fév. 2012, Cara-Damiani c/ Italie).

En l’espèce, après avoir rappelé qu’il a été tenu compte du handicap du détenu dans la décision de rejet de la demande de suspension de peine émise par la juridiction française, la Cour européenne a estimé que « [c]e n’est donc pas la question de la capacité du requérant à purger sa peine que pose la présente affaire mais celle de la qualité des soins dispensés » (Cons. n°55).

■ Sur les modalités de prises en charge en prison

Selon une jurisprudence constante (CEDH 9 sept. 2010, Xiros c/ Grèce), la Cour européenne impose aux États un devoir de soigner la personne malade au cours de sa détention, impliquant le respect de trois obligations : « veiller à ce que le détenu soit capable de purger sa peine, lui administrer les soins médicaux nécessaires et adapter, le cas échéant, les conditions générales de détention à la situation particulière de son état de santé » (Cons. n°47).

Ainsi, lorsque l’État décide de placer ou de maintenir en détention un détenu handicapé, il doit veiller à ce que les conditions de sa détention répondent aux besoins spécifiques de son infirmité (CEDH 10 juil. 2001, Price c/ Royaume-Uni, préc.). Il ne pourra s’exonérer de cette obligation en transférant la responsabilité de sa surveillance ou de son assistance à des codétenus. Dans l’affaire Zarzycki c/ Pologne, la Cour a considéré que dépendre de l’aide de codétenus pour aller aux toilettes, se laver et s’habiller peut être rabaissant et humiliant.

En l’espèce, la Cour a observé qu’aucun soin de rééducation n’a été prodigué au détenu pendant trois ans, alors même que des séances quotidiennes de kinésithérapie avaient été préconisées par les médecins. À ce titre, elle a considéré que les autorités nationales ne lui ont pas assuré une prise en charge suffisante. Elle a également souligné que l’assistance d’un codétenu pour l’accès aux sanitaires ne suffisait pas à satisfaire l’obligation de santé et de sécurité qui incombe à l’État.

Dès lors, la Cour a conclu à une violation de l’article 3 de la Conv. EDH, considérant ces circonstances comme un traitement dégradant, l’ayant « soumis à une épreuve d’une intensité qui a dépassé le niveau inévitable de souffrances inhérentes à une privation de liberté ».

Rappelons qu’en France, la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades, offre au détenu la possibilité de demander sa libération pour raison humanitaire conformément à l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale « quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir ». Depuis la loi n°2014-896 du 15 août 2014, cette mesure d’aménagement de la peine nécessite la constatation préalable établie par un seul expert – deux experts étaient nécessaires auparavant –, de l’une des deux situations prévues à l’article 720-1-1 susvisé. Le condamné doit être soit « atteint d’une pathologie engageant le pronostic vital » soit son état de santé doit être « durablement incompatible avec le maintien en détention ». Toutefois, le contrôleur général des lieux de privation et de liberté (CGLPL) dénonce les conditions restrictives posées par l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale qui amènent à n’accorder une suspension de peine que dans des cas d’extrême gravité.

CEDH 19févr. 2015, Helhal c. France, n°10401/12

 

Références

■ S. Boussard, Les droits de la personne détenue, Dalloz, 2013, coll. « Thèmes & commentaires », p.181 et s., p. 212 et s..

■ J.-P. Céré, C. E. A. Japiassù, « Le système pénitentiaire français », in Les systèmes pénitentiaires dans le monde, Dalloz, 2011, « Thèmes et commentaires », p. 165 et s.

■ CEDH 14 nov. 2002, Mouisel c/ France, n°67263/01.

 CEDH 11 juil. 2006, Rivière c/ France, n°33834/03.

■ CEDH 10 juil. 2001, Price c/ Royaume-Uni, n°33394/96.

■ CEDH 24 oct. 2006, Vincent c/France, n°6253/03.

■ CEDH 7 fév. 2012, Cara-Damiani c/ Italie, n°2447/05.

 CEDH 9 sept. 2010, Xiros c/ Grèce, n°1033/07.

 CEDH 12 mars 2013, Zarzycki c/ Polognefileadmin/actualites/pdfs/FEVRIER_2015/CASE_OF_KAPRYKOWSKI_v._POLAND.pdf, n°15351/03.

■ Article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme - Interdiction de la torture

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

■ Article 720-1-1 du Code de procédure pénale

« Sauf s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la suspension peut également être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n'a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention. La suspension ne peut être ordonnée en application du présent article pour les personnes détenues admises en soins psychiatriques sans leur consentement.

La suspension ne peut être ordonnée que si une expertise médicale établit que le condamné se trouve dans l'une des situations énoncées à l'alinéa précédent. Toutefois, en cas d'urgence, la suspension peut être ordonnée au vu d'un certificat médical établi par le médecin responsable de la structure sanitaire dans laquelle est pris en charge le détenu ou son remplaçant.

Lorsque la peine privative de liberté prononcée est d'une durée inférieure ou égale à dix ans ou que, quelle que soit la peine initialement prononcée en cas d'urgence ou lorsque la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à trois ans, cette suspension est ordonnée par le juge de l'application des peines selon les modalités prévues par l'article 712-6.

Dans les autres cas, elle est prononcée par le tribunal de l'application des peines selon les modalités prévues par l'article 712-7.

Dans les cas prévus aux troisième et quatrième alinéas du présent article, le condamné peut être régulièrement représenté par son avocat lorsque son état de santé fait obstacle à son audition ; le débat contradictoire se tient alors au tribunal de grande instance.

La juridiction qui accorde une suspension de la peine en application des dispositions du présent article peut décider de soumettre le condamné à une ou plusieurs des obligations ou interdictions prévues par les articles 132-44 et 132-45 du code pénal.

Le juge de l'application des peines peut à tout moment ordonner une expertise médicale à l'égard d'un condamné ayant bénéficié d'une mesure de suspension de peine en application du présent article et ordonner qu'il soit mis fin à la suspension si les conditions de celle-ci ne sont plus remplies. Il en est de même si le condamné ne respecte pas les obligations qui lui ont été imposées en application des dispositions de l'alinéa précédent ou s'il existe de nouveau un risque grave de renouvellement de l'infraction. La décision du juge de l'application des peines est prise selon les modalités prévues par l'article 712-6.

Si la suspension de peine a été ordonnée pour une condamnation prononcée en matière criminelle, une expertise médicale destinée à vérifier que les conditions de la suspension sont toujours remplies doit intervenir tous les six mois.

Les dispositions de l'article 720-2 ne sont pas applicables lorsqu'il est fait application des dispositions du présent article. »

 

Auteur :M. Y.

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