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[ 21 octobre 2020 ] Imprimer

Procédure civile

Conditions de la recevabilité du moyen invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation.

Est recevable le moyen soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation, dès lors qu’il est d’ordre public et qu’il résulte d’un fait dont la cour d’appel avait été mise à même d’avoir connaissance. 

Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 19-17.673

À la suite de la vente d’un véhicule, l’acquéreur a assigné en responsabilité et en garantie des vices cachés le vendeur professionnel, qui a appelé le concessionnaire en garantie des condamnations susceptibles d’être prononcées à son encontre. Ayant été débouté de ses demandes, l’acquéreur a interjeté appel devant la cour d’appel d’Orléans, qui, le 20 novembre 2018, a confirmé le jugement et l’a condamné à payer au vendeur une somme au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. 

L’acquéreur a alors formé un pourvoi devant la Cour de cassation en faisant valoir que, selon lui, la cour d’appel a méconnu l’interdiction de statuer au fond à partir des conclusions du vendeur, déclarées irrecevables par une ordonnance, devenue définitive, du conseiller de la mise en état (CME) pour faire droit à ses demandes, tant du rejet des prétentions de l’acquéreur que de la condamnation de celui-ci aux frais irrépétibles. En effet, le 9 janvier 2018, le CME a prononcé l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé car elles ont été notifiées postérieurement au délai de trois mois prévu par l’article 909 du code de procédure civile. Or, les ordonnances du CME statuant sur l’irrecevabilité des conclusions d’appel ont autorité de la chose jugée au principal. 

En revanche, ce moyen soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation est contesté par le vendeur, car étant nouveau, il doit être déclaré irrecevable. 

En principe, les moyens nouveaux sont irrecevables devant la Cour de cassation (C. pr. civ., art. 619, al. 1er). Cette règle a été jugée conforme à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH, 29 août 2000, Jahnke et Lenoble c/ France, req. n° 40490/98). Cette interdiction est la conséquence de la mission traditionnelle de la Cour de cassation, qui est chargée de vérifier si les juges du fond ont appliqué la loi aux faits. Les moyens nouveaux sont souvent mélangés de fait et de droit, argument soutenu par le vendeur devant la Cour, qui obligeraient les juges de la Haute Cour de procéder à des appréciations de fait étrangères à l’arrêt attaqué pour déterminer si ces moyens nouveaux sont ou non fondés. Néanmoins, peuvent être invoqués pour la première fois, sauf disposition contraire : 1) les moyens de pur droit ; 2) les moyens nés de la décision attaquée (C. pr. civ., art. 619, al. 2). En réalité, cette liste n’est pas limitative, puisqu’il existe d’autres exceptions au principe de l’irrecevabilité des moyens nouveaux devant la Cour de cassation consacrées par la jurisprudence. 

Parmi ces exceptions, la Cour de cassation a affirmé, dans son arrêt du 17 septembre 2020, qu’est recevable le moyen invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation, lorsqu’il est d’ordre public (première condition) et qu’il résulte d’un fait dont la cour d’appel avait été mise à même d’avoir connaissance (deuxième condition). 

S’agissant de la première condition, est d’ordre public le moyen tiré de la violation de la chose jugée (C. pr. civ., art. 125, al. 1er) lorsqu’elle est attachée à une décision judiciaire rendue au cours de la même instance (V. not. Civ. 3e, 6 déc. 1977, n° 76-12.870 ; Civ. 2e, 28 avr. 1986, n° 84-16.981 ; Civ. 1re, 29 oct. 1990, n° 87-16.605). Il est nécessaire de rappeler que toute décision juridictionnelle une fois prononcée bénéficie du principe de l’immutabilité qui interdit de remettre en cause ce qui a été définitivement jugé, sauf à exercer les voies de recours possibles. Les ordonnances du CME, statuant notamment sur l’irrecevabilité des conclusions en application de l’article 909 du Code de procédure civile, ont autorité de la chose jugée au principal (C. pr. civ., art. 914, al. 2), et ne peuvent alors être contestées que par la seule voie du déféré (C. pr. civ., art. 916, al. 2). À défaut, l’ordonnance du CME est définitive, et elle s’impose aux parties et à la cour d’appel (V. D. actu. 6 oct. 2020, obs. R. Laffly). Sur ce point, la Cour de cassation a jugé qu’une cour d’appel ne pouvait statuer sur le fondement de conclusions déclarées irrecevables par une ordonnance du CME (Civ. 2e, 12 mai 2016, n° 15-16.473). 

En l’espèce, le moyen invoqué est d’ordre public. Il est tiré de la violation de l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance du CME qui prononce l’irrecevabilité des conclusions du vendeur rendue au cours de la même instance. La cour d’appel ne pouvait, en visant cette ordonnance, aller à son encontre.

S’agissant de la deuxième condition, les juges du fond ont été mis à même d’avoir connaissance du fait servant de base au grief dès lors qu’il repose sur des circonstances de fait ou sur des documents qui leur ont été soumis et dont ils ont eu connaissance (V. not. Com. 22 oct. 1996, n° 93-12.291). Dans le cas d’espèce, la cour d’appel avait nécessairement eu connaissance de l’ordonnance du CME, car, en application de l’article 727 du Code de procédure civile, sont versées au dossier de la cour d’appel les copies des décisions auxquelles l’affaire donne lieu. 

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a jugé de la recevabilité du moyen soulevé pour la première fois devant elle, et a également jugé du bien-fondé dudit moyen conformément aux articles 1355 du Code civil et 914, dernier alinéa, du Code de procédure civile. Ainsi, a été prononcée la cassation de l’arrêt de la cour d’appel.

Pour aller plus loin : L’issue de l’affaire aurait pu être différente si la cour d’appel n’avait pas visé les conclusions du vendeur dans son arrêt pour confirmer le jugement qui avait débouté l’acquéreur de ses demandes. À ce titre, il faut citer l’article 954, dernier alinéa, du Code de procédure civile qui dispose que la partie qui ne conclut pas est réputée s’approprier les motifs du jugement de première instance (V. par ex., Civ. 2e, 10 janv. 2019, n° 17-20.018). La cour d’appel aurait pu rejeter les demandes de l’acquéreur en accueillant celles du vendeur en reprenant simplement les motifs du jugement. 

En poursuivant ce raisonnement, doit également être évoqué l’article 455 dudit code qui prévoit que « Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date. ».

En l’espèce, si le jugement a été rendu en visant les conclusions de première instance du vendeur tendant au rejet des prétentions de l’acquéreur, la cour d’appel pourrait les accepter et confirmer le jugement. Dans ce cas, le doute est permis quant à la recevabilité du moyen nouveau tiré de la violation de l’autorité de la chose jugée de l’ordonnance du CME, puisque celle-ci ne serait plus en cause dans l’arrêt attaqué. En l’absence de jurisprudence sur ce point, les avocats ne connaissent pas la tendance des cours d’appels et ignorent s’ils peuvent déposer leurs conclusions de première instance ou non. 

 

Auteur :Emmanuelle Arnould

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