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[ 29 janvier 2018 ] Imprimer

Droit des obligations

Conditions de remboursement du payeur non subrogé de la dette d’autrui

Mots-clefs : Paiement, Subrogation, Dette d'autrui, Débiteur, Voie de recours, Cause du paiement, Remboursement, Preuve

Celui qui, sans être subrogé, acquitte une dette dont il sait n'être pas tenu et qui ne démontre pas que la cause dont procédait ce paiement impliquait l'obligation du débiteur de lui rembourser la somme ainsi versée ne peut agir à cette fin.

Un dirigeant de société est assigné par son ancienne compagne, celle-ci prétendant lui avoir prêté de l’argent à l’époque où ils vivaient ensemble et lui en demandant le remboursement. Pour accueillir sa demande, la cour d’appel constate qu’elle a payé par chèque une caution due au titre d’un contrat de bail commercial souscrit par la société dirigée par son ancien compagnon, ainsi que des loyers dus au titre de ce bail, et retient qu’il s’agit de dettes personnelles à ce dernier dont l’ancienne compagne, auteure des différents paiements nécessaires à leur acquittement, est en droit d’obtenir le remboursement. Au visa des articles 1134 et 1326 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 16 février 2016, cette décision est cassée au motif qu’il incombe à celui qui a sciemment acquitté la dette d’autrui, sans être subrogé dans les droits du créancier, de démontrer que la cause dont procédait ce paiement impliquait, pour le débiteur, l’obligation de lui rembourser la somme ainsi versée.

L'ancien article 1251 du Code civil (comp. art. 1346 nouv., généralisant le mécanisme de la subrogation légale) prévoyait initialement quatre cas de subrogation légale. 

Dans les deux premiers cas, qu’il soit codébiteur ou caution de celui tenu au paiement de la dette ou l’acquéreur de l'immeuble hypothéqué, le solvens était lui-même, du moins partiellement, tenu de la dette, (il était alors tenu « avec d'autres ou pour d'autres », art. 1251 anc., 3°). Dans les deux autres cas, celui de l'héritier acceptant à concurrence de l'actif net qui paie les dettes successorales et celui du créancier qui désintéresse un autre créancier qui lui est préférable, le solvens n’était cette fois pas tenu de la dette. Dans les autres hypothèses de paiement par un tiers de la dette d’autrui, l’auteur du paiement n’était cependant pas dépourvu de tout recours. Cette possibilité de recours, malgré l’absence de subrogation, demeure inchangée. Encore faut-il distinguer selon le cadre dans lequel le paiement a été effectué et le titre en vertu duquel il aura, en conséquence, été versé. Le solvens peut avoir effectué volontairement le paiement en qualité de mandataire du débiteur : dans ce cas, il bénéficiera d'un recours personnel contre celui-ci, fondé sur le mandat. Il peut aussi avoir avancé les sommes nécessaires au paiement, et dans ce cas, avoir demandé une subrogation conventionnelle au créancier, outre qu’il aura la possibilité d’exercer l'action subrogatoire contre le débiteur, une action personnelle fondée sur l’exécution du contrat de prêt lui sera également reconnue. Il se peut également qu'il ait payé la dette d'autrui dans une intention libérale : dans ce cas, la question d’un éventuel recours contre le débiteur ne se pose pas, l’intention ayant motivé le paiement ne pouvant que le priver de celle de vouloir en obtenir le remboursement. Il se peut enfin qu'il ait payé la dette d'autrui par erreur. Dans ce cas, s'il bénéficiait du recours de l'ancien article 1377 du Code civil contre le créancier pour obtenir la répétition de l’indu, la question s'était posée de savoir si la possibilité d’exercer un recours contre le débiteur lui-même pouvait également lui être reconnue. La Cour de cassation avait décidé en 1990 que le tiers qui, sans y être tenu, a payé la dette d'autrui, a un recours contre le débiteur, en ce que ce recours trouve sa cause dans le fait du paiement, générateur d'une obligation nouvelle distincte de celle éteinte par le paiement (Civ. 1re, 15 mai 1990, no 88-17.572). Cette décision excluait donc l'hypothèse d'un recours subrogatoire, l'obligation initiale étant éteinte, et l'obligation du débiteur envers le solvens étant nouvelle, mais admettait tout de même l’exercice d’un recours dirigé contre le débiteur. Elle l’avait néanmoins rapidement assorti d’une condition essentielle, ici rappelée : celle, pour le solvens, de démontrer l'obligation, pour le débiteur, de le rembourser (Civ. 1re, 2 juin 1992, no 90-19.374 ; Civ. 1re, 17 nov. 1993; n° 91-19.443). Si elle a pu à un moment se satisfaire, toujours en excluant le caractère subrogatoire, de la seule preuve par le solvens de son erreur (Civ. 1re, 13 oct. 1998, no 96-22.515), ce qui élargissait encore les conditions du recours personnel contre le débiteur, dans les cas où, par hypothèse, le recours subrogatoire ne pouvait être admis, la Haute cour est ensuite venue réaffirmer l’impossibilité pour celui qui, sans être subrogé, acquitte une dette dont il sait ne pas être tenu et qui ne démontre pas que la cause dont procédait ce paiement impliquait l'obligation du débiteur de lui rembourser la somme ainsi versée, d’agir à cette fin ni même de se prévaloir d'un dommage juridiquement réparable (Civ. 1re, 30 mars 2004n° 01-11.355). Par cette exigence probatoire, la Cour de cassation entend ainsi faire respecter le principe général du droit selon lequel nul ne peut s'enrichir injustement aux dépens d'autrui. En outre, ce recours est fondé sur une obligation nouvelle et n'atteint donc pas le principe d'extinction de l'obligation initiale par le paiement, principe auquel la subrogation déroge. Finalement, la jurisprudence a ajouté à l’effet traditionnellement extinctif du paiement un effet créateur inattendu : la naissance d'une obligation née du fait du paiement au profit du solvens non-débiteur, obligation dont la mise en œuvre est néanmoins cantonnée par les exigences inhérentes à la charge de prouver. Or en l’espèce, faute d’écrit attestant de l’existence d’un prêt conclu entre les deux concubins, le remboursement demandé ne pouvait pas, en vertu de la règle selon laquelle il appartient à celui qui se prétend créancier d’une somme à titre de remboursement de prêt de rapporter la preuve écrite d’un contrat de cette nature (art. 1326 anc., figurant au visa), être obtenu. L’on peut toutefois s’étonner que les juges n’aient pas tempéré leur exigence probatoire en tenant compte de l’éventuelle impossibilité morale pour la demanderesse, en raison des liens qui l’unissaient au défendeur, de s’être préconstituée un tel écrit.

Civ. 3e, 21 déc. 2017, n° 16-14.753

Références

■ Fiche d'orientation Dalloz: Subrogation.

■ Civ. 1re, 15 mai 1990, no 88-17.572 P: D. 1991. 538, note G. Virassamy.

■ Civ. 1re, 2 juin 1992, no 90-19.374 P: D. 1992. 407, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 1993. 130, obs. J. Mestre.

■ Civ. 1re, 17 nov. 1993, n° 91-19.443 P: RTD civ. 1994. 609, obs. J. Mestre.

■ Civ. 1re, 13 oct. 1998, no 96-22.515 P: D. 1999. 500, note D. R. Martin ; ibid. 116, obs. L. Aynès.

■ Civ. 1re, 30 mars 2004n° 01-11.355 P: D. 2004. 1125.

 

Auteur :M. H.


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