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[ 2 mai 2011 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Conditions de validité du licenciement du salarié malade : précisions sur la notion de « remplacement définitif »

Mots-clefs : Licenciement sans cause réelle et sérieuse, Absences, Maladie, Situation objective de l’entreprise, Remplacement définitif, Conditions de validité, Art. L. 1132-1 C. trav., Art. L. 1235-3 C. trav.

Le salarié, dont l’absence prolongée ou répétée en raison de son état de santé perturbe le bon fonctionnement de l’entreprise, peut faire l’objet d’un licenciement à condition toutefois que ces perturbations entraînent la nécessité pour l’employeur de procéder à son remplacement définitif par l’engagement d’un autre salarié, le recours à une société prestataire de services ne pouvant caractériser une nouvelle embauche.

Un syndicat des copropriétaires a licencié sa gardienne — salariée à temps plein occupant la loge — en raison de sa maladie prolongée « rendant nécessaire [son] remplacement définitif pour assurer le fonctionnement normal du service de gardiennage », le travail de cette dernière ayant été assuré pendant toutes ses absences par une société de prestation de services. La gardienne saisit alors la juridiction prud’homale sans savoir qu’elle s’engageait pour plus de sept ans de procédure, la décision de l’Assemblée plénière ici commentée statuant sur un arrêt d’appel rendu sur renvoi après une première cassation (Soc. 18 oct. 2007).

En principe, en vertu de l’article L. 1132-1 du Code du travail, le licenciement d’un salarié ne peut être motivé par son état de santé ou son handicap, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail. À titre exceptionnel, le licenciement motivé par la situation objective de l’entreprise dont le fonctionnement est perturbé par les absences prolongées ou répétées du salarié (conséquence de sa maladie) peut-être autorisé (Soc. 16 juill. 1998 ; Soc. 10 nov. 1998 ; Soc. 13 mars 2001) dans le respect d’une double condition qui pèse sur l’employeur qui doit établir :

– d’une part que le dysfonctionnement de son entreprise est dû aux absences du salarié ;

– et d’autre part, que ce dysfonctionnement impose de procéder au remplacement définitif dudit salarié.

La difficulté de mise en œuvre de ces conditions se place au niveau de l’interprétation faite par les juges de la notion de « remplacement définitif ».

En espèce, les premiers juges du fond avaient considéré que le licenciement était régulier puisque la société recrutée effectuait les mêmes tâches que la gardienne, même si cette dernière occupait encore sa loge et n’avait pas permis son remplacement dans des conditions identiques.

La chambre sociale cassa ce raisonnement au visa des articles L. 1132-1 (principe de non-discrimination) et L. 1235-3 (sanctions en cas d’irrégularité de fond d’un licenciement) du Code du travail : « si l'article [L. 1132-1] du code du travail faisant interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail dans le cadre du titre IV du livre II de ce même code, ne s'oppose pas au licenciement motivé, non pas par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié, celui-ci ne peut toutefois être licencié que si ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif ; que seul peut constituer un remplacement définitif un remplacement entraînant l'embauche d'un autre salarié ; qu'il en résulte que le recours à une entreprise prestataire de services ne peut caractériser le remplacement définitif d'un salarié » (Soc. 18 oct. 2007, préc.).

Statuant sur renvoi après cassation, les seconds juges d’appel résistèrent pourtant en considérant que le remplacement pouvait être considéré comme effectif et définitif du fait que les tâches étaient « intégralement reprises par un salarié de l’entreprise de services dans le cadre de dispositions s’inscrivant dans la durée ». Soulignant la bonne foi présumée du syndicat des copropriétaires, les juges estimèrent que « ce système d’emploi indirect [avait] l’avantage de mieux le garantir d’une absence prolongée du gardien, situation dont il avait durablement pâti et contre laquelle il était en droit de se prévaloir ».

L’Assemblée plénière casse à nouveau ce raisonnement et confirme mot pour mot la décision de la chambre sociale : ce cas exceptionnel de licenciement d’un salarié absent pour cause de maladie ne doit pas conduire à la suppression d’un emploi (qui relève du domaine du licenciement économique) mais à une embauche d’un autre salarié dans cet emploi et aux mêmes conditions (v. déjà jugé comme ne répondant pas à cet impératif l’embauche d’un salarié en CDI à mi-temps en remplacement d’une personne absente qui elle était à temps complet : Soc. 6 févr. 2008).

Les conditions ainsi posées et le contrôle strict opéré par la Cour de cassation du caractère définitif du remplacement (v. Soc. 19 oct. 2005) protègent ainsi l’emploi du salarié malade contre les licenciements abusifs.

Mais peut-on pour autant parler de suppression d’emploi lorsqu’une société de prestation de services est, elle-même, employeur ? En écartant le recours à ces sociétés, la Haute cour semble vouloir privilégier le recours au CDI, de peur que ces entreprises ne multiplient les CDD et contribuent ainsi au maintien d’une certaine précarité de l’emploi.

Ass. plén. 22 avr. 2011, n°09-43.334

Références

■ E. Dockès, J. Pélissier, G. Auzero, Droit du travail, 25e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2010, n°407 s.

■ E. Dockès, J. Pélissier, A. Jeammaud, A. Lyon-Caen, Les grands arrêts du droit du travail, 4e éd., Dalloz, coll. « Grands arrêts », 2008, n°77.

■ Code du travail

Article L. 1132-1

« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap. »

Article L. 1235-3

« Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9. »

Soc. 18 oct. 2007, n°06-44.251, RDT 2007. 717, note Pélissier.

Soc. 16 juill. 1998, Bull. civ. V, n°394.

Soc. 10 nov. 1998, Bull. civ. V, n°485.

Soc. 13 mars 2001, Bull. civ. V, n°84 ; D. 2001. 2339, note Gaba ; GADT, n°77.

Soc. 6 févr. 2008, n°06-44.385, JCP S 2008. 1205.

Soc. 19 oct. 2005, n°03-46.847.

 

Auteur :A. T.


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