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Droit administratif général
Conditions d’engagement de la responsabilité sans faute de l’État du fait d’une loi
Mots-clefs : Responsabilité sans faute de l’État, Dommage, Réparation, Préjudice, Espèce protégée par la loi, Silence de la loi
Dans sa décision du 1er février 2012, le Conseil d’État applique le principe selon lequel le silence d’une loi sur les conséquences de sa mise en œuvre n’exclut pas tout droit à réparation des préjudices que son application provoque, encore faut-il que les juges du fond recherchent dans quelle mesure le préjudice subi dépasse l’aléa inhérent à l’exploitation, en l’espèce une activité de pisciculture endommagée par un nombre croissant d’oiseaux ichtyophages, espèce protégée par la loi.
Des exploitants ont demandé au préfet à être indemnisé des préjudices occasionnés à leur activité piscicole en raison de l’accroissement du nombre de grands cormorans, espèce protégée par la loi. Devant le refus de l’autorité préfectorale, ils saisissent la juridiction administrative. À la suite du rejet de leur requête par le tribunal administratif, la cour administrative d’appel retient la responsabilité sans faute de l’État pour rupture de l’égalité devant les charges publiques en raison des dommages causés à leur exploitation par la prolifération de cette espèce protégée dont l’interdiction de destruction est prévue par la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature (v. désormais, art. L. 411-1 C. envir.). Les juges du fond ont condamné l’État à verser 50 000 euros aux requérants. Ces derniers forment alors un pourvoi en cassation contre l’arrêt limitant leur indemnisation à 50 000 euros. Le ministre de l’Écologie forme également un pourvoi contre cet arrêt qui retient la responsabilité sans faute de l’État pour rupture d’égalité devant les charges publiques.
Après avoir rappelé les conditions d’engagement de la responsabilité sans faute de l’Étatdu fait de la loi dégagées par l’arrêt Société La Fleurette (CE, Ass., 14 janv. 1938) et précisées notamment par l’arrêt du 2 novembre 2005, Coopérative agricole Ax'ion (confirmé par CE 25 juill. 2007, Leberger et Cortie) selon lesquelles : « il résulte des principes qui gouvernent l'engagement de la responsabilité sans faute de l'État que le silence d'une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en œuvre ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer », les juges du Palais Royal appliquent ce principe, dans leur décision du 1er février 2012. Ils considèrent qu’ « en l'absence même de dispositions de la loi du 10 juillet 1976 le prévoyant expressément, le préjudice résultant de la prolifération des animaux sauvages appartenant à des espèces dont la destruction a été interdite en application de ces dispositions, [v. désormais, art. L. 411-1 C. envir.], doit faire l'objet d'une indemnisation par l'État lorsque, excédant les aléas inhérents à l'activité en cause, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés » (v. les précédents concernant la loi de 1976 : CE, Sect., 30 juill. 2003, ADARC ; CAA Bordeaux 26 févr. 2004, Ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement).
Le Conseil d’État annule l’arrêt de la cour administrative d’appel et renvoie l’affaire devant les juges du fond car il appartenait à ces derniers de rechercher dans quelle mesure le préjudice subi par les pisciculteurs dépassait l’aléa inhérent à l’exploitation afin, le cas échéant de prévoir uniquement l’indemnisation de la part de ce préjudice excédant les pertes résultant normalement de cet aléa.
CE 1er févr. 2012, B. et EARL de l’Étang de Galetas, n° 347205
Références
■ Rupture de l’égalité devant les charges publiques
« C’est l’un des fondements de la responsabilité publique sans faute, propre au droit public, à la différence du risque et de la garde. En vertu du principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques, la collectivité doit indemniser le préjudice anormal (grave) et spécial qui résulte, pour une ou quelques personnes, de mesures administratives légales. Cette idée justifie un petit nombre de cas de responsabilité sans faute de la puissance publique, tous caractérisés par le fait que la rupture d’égalité entre les citoyens provient d’une activité d’intérêt général, volontaire et régulière : refus de recourir à la force publique pour exécuter une décision de justice (CE 30 nov. 1923, Couitéas, Rec. 789, S. 1923. 3. 57, note Hauriou, concl. Rivet) ; défaut de rétablissement de l’ordre public ; aménagement insuffisant des bâtiments publics pour les rendre accessibles aux handicapés (CE, ass. 22 oct. 2010, Bleitrach, RFDA 2011. 141, concl. Roger-Lacan) ; adoption de décisions administratives individuelles ou réglementaires légales (CE 22 févr. 1963, Cne de Gavarnie, Rec. 113), mais aussi édiction de lois (CE 14 janv. 1938, SA des produits laitiers “ la Fleurette ”, Rec. 25 ; CE, Sect. 30 juill. 2003, Assoc. pour le développement de l’aquaculture en région Centre, Rec. 368) ou application de conventions internationales (CE 30 mars 1966, Cie générale d’énergie radioélectrique, Rec. 257 ; CE, Sect. 29 déc. 2004, Almayrac, Rec. 465).
L’hypothèse nouvelle de la responsabilité de l’État du fait d’une loi inconventionnelle ne semble pas se rattacher à ce fondement, bien qu’il ne s’agisse pas non plus d’une responsabilité pour faute (CE, Ass. 8 févr. 2007, Gardedieu, Rec. 78, concl. Derepas). »
Source : A. Van Lang, G. Gondouin, V. Inserguet-Brisset, Dictionnaire de droit administratif, 6e éd., Sirey, coll. « Dictionnaires Sirey », 2011.
■ Article L. 411-1 du Code de l’environnement
« I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits :
1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ;
2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ;
3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ;
4° La destruction, l'altération ou la dégradation des sites d'intérêt géologique, notamment les cavités souterraines naturelles ou artificielles, ainsi que le prélèvement, la destruction ou la dégradation de fossiles, minéraux et concrétions présents sur ces sites.
II. - Les interdictions de détention édictées en application du 1°, du 2° ou du 4° du I ne portent pas sur les spécimens détenus régulièrement lors de l'entrée en vigueur de l'interdiction relative à l'espèce à laquelle ils appartiennent. »
■ CE, Ass., 14 janv. 1938, req. n° 51704, Lebon 25 ; GAJA, 18e éd. 2011, n° 50.
■ CE 2 nov. 2005, Coopérative agricole Ax'ion, Lebon 468 ; AJDA 2006. 142, chron. C. Landais et F. Lenica ; C. Broyelle, « L'arrêt Coopérative Ax'ion et la banalisation de la responsabilité de l'État législateur », RD publ. 2006. 1427-1440 ; E. Naïm-Gesbert, « Du droit de réparation sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'État du fait d'une loi », Dr. envir. avr. 2006/3, n° 137, pp. 94-97.
■ CE 25 juill. 2007, Leberger et Cortie, Lebon 392 ; AJDA 2007. 1559.
■ CE, Sect., 30 juill. 2003, ADARC, req. n° 215957, Lebon ; AJDA 2003. 1815, chron. F. Donnat et D. Casas ; D. 2003. Jur. 2527, note C. Guillard ; RDI 2003. 549, obs. L. Fonbaustier ; RFDA 2004. 144, concl. F. Lamy ; ibid. 151, note P. Bon ; ibid. 156, note D. Pouyaud.
■ CAA Bordeaux 26 févr. 2004, Ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement, req. n° 03BX01757, AJDA 2004. 1941, note C. Deffigier.
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