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[ 31 mars 2020 ] Imprimer

Droit de la famille

Confinement de l’enfant de parents séparés

L’état d’urgence sanitaire et l’interdiction des déplacements qui en résulte pour lutter contre l’épidémie ont des incidences certaines sur l’exercice du droit de visite et d’hébergement et l’organisation de la résidence alternée des enfants.

Le confinement auquel nous sommes astreints est une épreuve pour tous et spécialement pour les enfants, contraints de refouler leur légendaire énergie mais aussi d’apprendre à travailler autrement, et à leur domicile. Pour certains, dont les parents sont séparés, une autre difficulté se pose, celle de l’impact potentiel de ce confinement obligatoire sur leurs modalités habituelles d’hébergement, qui reposent sur des allers-retours fréquents et répétés entre les domiciles respectifs de chacun de leurs parents, déplacements a priori incompatibles avec l’obligation de rester chez soi qui suppose d’ailleurs, pour être respectée, d’avoir élu un domicile, et non plusieurs. 

Dans ce contexte exceptionnel où la vie se déroule exclusivement à la maison, se pose alors la question de savoir si le confinement conduit à modifier les modalités d’exercice, par des parents séparés, de leur autorité parentale sur l’enfant ? A cette seule question, plusieurs réponses : oui, non, peut-être…

I. Oui, pour les raisons suivantes : 

1. La réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, telle qu’elle avait d’abord été prévue par un décret en date du 16 mars 2020 (Décr. n° 2020-260), et désormais régie par le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 (abrogeant le précédent), prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, modifie en toute hypothèse l'exercice, par des parents séparés, de leur autorité parentale. 

Rappelons en préambule que l’article 373-2 du Code civil énonce le principe selon lequel la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale. Précisons que l’alternative aux modalités de cet exercice, qui doit rester conjoint, est la suivante : soit l’enfant voit sa résidence principale fixée chez l’un de ses parents, l’autre parent exerçant un seul droit de visite et d’hébergement, soit l’enfant vit en résidence alternée chez ses deux parents. Quoi qu’il en soit, dans l’un comme dans l’autre cas, des déplacements sont nécessaires. Or depuis les deux décrets précités, la liberté d’aller et de venir est temporairement suspendue : les déplacements, par principe interdits, ne sont autorisés qu’à titre exceptionnel et dérogatoire (V. Décr. n° 2020-293 du 23 mars 2020, art. 3) et les parents ne bénéficient pas, dans ce cadre, d’un régime de faveur. Ainsi le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prévoit-il que « Jusqu'au 31 mars 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile est interdit à l'exception des déplacements pour les motifs suivants […] :
 4° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l'assistance aux personnes vulnérables ou la garde d'enfants […] ».

Dès lors, si les parents séparés conservent, malgré les mesures de confinement, le droit d’aller chercher, de déposer ou d’emmener leurs enfants chez l’autre parent, ce droit n’est exercé, dans les circonstances actuelles, qu’à titre dérogatoire à une interdiction de principe d’aller et de venir en sorte que concrètement, les parents divorcés ou séparés devront se munir de l’attestation de déplacement dérogatoire, téléchargeable ou à rédiger sur papier libre, et cocher la case n° 4 pour justifier leur déplacement entre leurs deux domiciles. Par précaution, il pourrait même leur être conseillé d’ajouter à ce justificatif une copie de leur jugement ou de leur convention de divorce ou, à défaut de divorce, d’un accord cosigné qui précise les modalités d’exercice de leur autorité parentale.

2. Impossibilité pour le parent de voir l’enfant hors de son domicile et par là même, hors du cadre de son droit de visite et d’hébergement ou de la période de garde alternée, même avec l’accord de l’autre parent, à l’effet de respecter strictement les règles de confinement imposées par le Gouvernement

3. La médiatisation du droit de visite du parent non hébergeant. L’hypothèse est la suivante : lorsque la résidence de l’enfant est fixée chez l’un de ses parents à titre principal, et que le droit de visite du parent « non hébergeant » doit s’exercer dans un lieu médiatisé, (dit encore lieu neutre), son droit sera paralysé puisque comme tout lieu de rassemblement et de réunion, les espaces médiatisés dédiés aux rencontres parents-enfants sont, pour éviter la circulation du virus, fermés. Ainsi le parent non hébergeant se trouve-t-il dans l’impossibilité d’exercer son droit de visite, étant précisé que le parent hébergeant, confronté par symétrie à l’impossibilité de remettre l’enfant, ne pourrait se voir reprocher d’empêcher l’exercice par le second parent de son droit de visite.

4. Le confinement, un fait potentiellement justificatif du délit de non-représentation d’enfant. Qu’il s’agisse de l’exercice du droit de visite (sans lieu dédié) et d’hébergement ou de l’organisation de la résidence alternée, la question se pose de savoir si le risque de contamination, encouru tant par l’enfant que par le parent non hébergeant au début de la période de confinement, ainsi que par ses proches, peut justifier qu’un parent refuse de remettre l’enfant à l’autre parent, ce qui est, en principe, pénalement interdit (C. pén. 227-5). La réponse devrait être affirmative, à plusieurs titres :

Arguments de texte :

-        C. civ., art. 371-1 : L’autorité parentale, qui s’exerce conjointement mais dont chaque parent est titulaire, a pour but, notamment, de protéger l’enfant « dans sa santé ».

-        Décr. n° 2020-293 du 23 mars 2020, art. 3 : les déplacements, notamment pour la garde des enfants, sont autorisés par exception au principe d’interdiction. Si l’exception confirme la règle, elle ne doit pas conduire à la renverser : par principe donc, l’enfant n’est pas en droit de se déplacer, et le parent qui l’héberge ne devrait pas être fautif de respecter le principe plutôt que de faire le jeu de l’exception.

L’intérêt supérieur de l’enfant, protégé par des sources multiples tant sur le plan national que supranational, implique que son intérêt prime, a fortiori temporairement, sur celui d’un de ses parents. 

Argument médical : il a été démontré que les enfants, même sans être porteurs, sont des vecteurs (agents ?) puissants de transmission du virus. Outre l’intérêt de l’enfant à rester confiné dans le lieu où il a commencé à l’être, l’intérêt général commanderait également d’éviter la multiplication de ses déplacements entre plusieurs lieux.

+ En tout état de cause, dans le cas où un parent déciderait de ne pas remettre l’enfant à l’autre parent, il semble très peu probable, en cette période particulière de confinement, qu’il puisse être poursuivi pour avoir manqué pas respecté à ses obligations vis-à-vis de l’autre parent.

II. Non. Pour deux raisons :

1. Si l’on raisonne en termes de distance géographique. Lorsque les parents séparés habitent à proximité, ce qui est généralement le cas pour accorder la résidence alternée, les modalités d’exercice de l’autorité parentale devraient rester inchangées. 

L’organisation de la résidence alternée, mais aussi l’exercice du droit de visite et d’hébergement si les domiciles sont à proximité, devraient se dérouler habituellement, malgré les mesures de confinement.

2. Si les parents s’entendent pour réorganiser les modalités d’exercice de l’autorité parentale, par un réaménagement, en conséquence de l’impératif de confinement, de leurs temps respectifs passés avec l’enfant : ainsi, par exemple, si le parent hébergeant à la date du début du confinement décide de garder l’enfant plus longtemps que prévu, il peut ensuite, en contrepartie, accorder à l’autre parent un temps plus long d’hébergement ou lui permettre d’exercer, dans un temps ultérieur, son droit de visite de manière plus fréquente et rapprochée. Cette réorganisation peut aussi être opérée, en complément, par voie virtuelle : le parent excédant son temps d’hébergement ou de garde peut faire en sorte que l’enfant maintienne à distance ses liens avec l’autre parent, les logiciels et applications permettant des communications téléphoniques et/ou vidéo étant nombreux et souvent gratuits.

III. Peut-être. Sur un point particulier. 

Concernant la question de savoir si le confinement peut justifier la non-représentation de l’enfant, la question reste ouverte, selon les cas, et même dans celui d’une résidence alternée. Face au risque encouru par chacune des familles et par l’enfant lui-même, le parent chez qui l’enfant se trouvait au début de la période de confinement serait en droit d’invoquer le risque de contamination pour refuser de remettre l’enfant à l’autre parent à la date prévue. Sans doute faudrait-il tout de même, dans cette hypothèse, des circonstances particulières légitimant le refus : un risque particulier pour l’enfant s’il connaît des fragilités cardiaques ou respiratoires, ou pour une personne fragile de l’entourage d’un des deux parents. 

En revanche, lorsque les domiciles sont éloignés, notamment dans le cas où les parents ne vivent pas dans la même ville voire dans la même région, le statu quo quant aux modalités d’hébergement des enfants paraît plus délicat.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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