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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Confiscation par l’Italie d’une statue grecque antique exposée dans un musée Californien
La décision de confiscation émise par les autorités italiennes, en vue de la restitution d’une statue en bronze de la période grecque classique exportée illégalement aux États-Unis n’emporte pas violation du droit à la protection de la propriété (Conv. EDH, art. 1er du prot. n° 1 à la Conv.).
CEDH 2 mai 2024, Getty Trust c/ Italie, n° 35271/19
Le « Jeune vainqueur », statue en bronze grecque réalisée entre 300 et 100 av. J.-C., est protégé au titre de patrimoine culturel par la loi italienne. Découverte en 1964 dans les eaux internationales de la mer Adriatique par un navire à pavillon Italien, elle est vendue aux enchères en Allemagne pour 3.95 millions de dollars à la fondation Getty. Elle est, à ce jour, exposée au musée Paul Getty en Californie.
Les autorités italiennes tentent à plusieurs reprises de récupérer la statue. Elles ouvrent, à cette fin, deux enquêtes. La première, pour réception et recel d’un objet archéologique volé, se conclut par l’acquittement des accusés (pt. 14). La seconde, pour exportation illégale, est abandonnée car l’instruction ne parvient pas à identifier de suspects (pt. 22). L’Italie saisit Interpol et entame des négociations par la voie diplomatique avec les autorités américaines. En 2010, les juridictions italiennes décident de confisquer la statue. La fondation Getty se pourvoit en cassation. La Cour de cassation italienne rejette le pourvoi, considérant que la statue est propriété de l’Italie car le navire l’ayant mis à jour battait le pavillon italien. La juridiction suprême note également qu’existe « une continuité entre la civilisation grecque qui s’était étendue en territoire italien, et l’expérience culturelle romaine subséquente (…) confirmée par la présence (…) de la statue. » (pt. 100).
La fondation Getty Trust saisit alors la CEDH. Les requérants, représentants de la fondation, allèguent que la décision de confiscation porterait atteinte à leur droit à la propriété, protégé par la Conv. EDH au titre de l’article 1er du Protocole n° 1 à la convention.
■ Protection de la propriété
En vertu de l’article 1er du protocole n° 1, toute personne a droit au respect de ses biens. Toute privation de propriété doit répondre à quatre critères cumulatifs : être prévue par la loi (1), pour cause d’utilité publique (2), et conforme aux principes généraux du droit international (3), et aussi être proportionnée (4), c’est-à-dire ménager un « juste équilibre » entre le respect des droits de la personne concernée, et l’intérêt général (CEDH 20 déc. 2022, Parizek c/ République Tchèque, n° 76286/14, § 42).
En l’espèce, bien que la statue demeure en la possession de la fondation Getty, la Cour admet que la décision de confiscation constitue une ingérence au droit à la propriété. En effet, la décision de confiscation a pour effet de limiter la capacité du requérant à « disposer pleinement de la statue » (pt. 273). « La complexité de la situation juridique » empêche toutefois la qualification de l’ingérence dans une catégorie plus précise (pt. 274). Cette ingérence doit répondre des critères susmentionnés (pt. 281).
Concernant la légalité, la Cour constate que l’ingérence était prévue par la loi italienne (pt. 299). Quant à l’utilité publique, la CEDH rappelle que la protection du patrimoine artistique et culturel constitue un but légitime pouvant justifier une ingérence (pt. 340 ; v. par ex. CEDH 29 nov. 2011 (déc.), Valette et Doherier c/ France, n° 6054/10). Estimant que les juridictions italiennes ont « raisonnablement démontré » que la statue faisait partie du patrimoine culturel de l’Italie, la Cour conclut que l’ingérence poursuit l’intérêt général (pt. 359).
Quant à la conformité au droit international, la CEDH relève que le droit international a progressivement réglementé le recours à des mesures similaires, destinées à permettre aux États de récupérer leur patrimoine culturel exporté illégalement. L’article 18 de la Convention de l’UNESCO de 2001 prévoit expressément la saisine du patrimoine subaquatique exporté de manière illicite. Ces dispositions de droit international sont ultérieures à l’exportation litigieuse, les autorités nationales italiennes ont agi dans un vide juridique car « aucun des instruments internationaux qui aurait pu les aider à récupérer un bien culturel exporté illégalement n’était en vigueur à l’époque des faits » (pt. 407).
■ Proportionnalité de l’ingérence
Demeure la question de la proportionnalité. Le requérant affirme que l’action serait prescrite, les autorités nationales n’ayant pas agi dans les trente ans suivant l’identification du propriétaire de la statue. Il fait également grief à la décision de confiscation de ne pas prévoir de compensation.
La Cour de Strasbourg rappelle que le principe d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité du patrimoine culturel n’est pas exclusif au droit italien. Plusieurs pays, y compris au sein du Conseil de l’Europe, ne prévoient pas de délai de prescription pour les actions visant à récupérer le patrimoine culturel volé ou illicitement exporté. Dès lors, l’absence de délai de prescription n’est pas suffisante en elle-même pour conduire à la violation du droit à la protection de la propriété.
La CEDH note aussi que la nature de la transaction, soit l’acquisition d’un bien culturel, justifie l’application d’un critère de diligence élevé qu’il incombait aux représentants de la fondation Getty de respecter. Or le requérant n’a fourni aucune preuve quant à la légalité de l’exportation de la statue. La Cour conclut que le requérant a agi de manière négligente ou de mauvaise foi lors de la transaction. Quant à l’absence de compensation, la CEDH considère qu’en effectuant un achat négligeant méconnaissant les exigences légales en vigueur, le requérant a « accepté, au moins implicitement, le risque que la statue pourrait être confisquée en absence de toute compensation » (v. pt. 404).
Compte tenu des éléments de fait, et de la large marge d’appréciation étatique dans les affaires concernant le patrimoine culturel, la CEDH conclut que l’ingérence était proportionnée et n’a pas excédé la marge d’appréciation (pt. 408 ; v. aussi CEDH 5 janv. 2000, Beyeler c/ Italie, n° 33202/96, § 112)
La non-violation de l’article 1er du protocole n° 1 est conclu à l’unanimité.
Références :
■ CEDH 20 déc. 2022, Parizek c/ République Tchèque, n° 76286/14
■ CEDH 29 nov. 2011 (déc.), Valette et Doherier c/ France, n° 6054/10
■ CEDH 5 janv. 2000, Beyeler c/ Italie, n° 33202/96 : AJDA 2002. 1277, chron. J.-F. Flauss ; D. 2003. 227, chron. J.-F. Flauss.
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