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Droit international privé
Conflit de juridictions : compétence du tribunal du lieu de survenance du dommage
Mots-clefs : Conflit de juridictions, Compétence directe, Responsabilité délictuelle
En application de l'article 5-3° de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988, l’action qui tend à soumettre au juge de la responsabilité civile des faits susceptibles d’avoir causé en France un préjudice découlant directement et immédiatement d'un fait générateur localisé en Suisse peut relever de la compétence d’un tribunal français.
Souhaitant devenir agent sportif de joueurs de football sous contrat avec le FC Nantes, un homme sollicite la délivrance d'une licence d'agent de joueurs auprès de la Fédération internationale de football association, la célèbre FIFA, dont le siège est à Zurich. La licence lui est refusée en application du règlement de la Fédération, le candidat ne pouvant fournir la garantie bancaire exigée par ledit règlement. Sa plainte déposée auprès de la Commission européenne ayant été rejetée, il assigne la Fédération devant le tribunal de grande instance de Nantes sur le fondement, notamment, de l'article 1383 du Code civil.
Devant la juridiction d'appel, la FIFA avait soulevé l'exception d'incompétence territoriale du juge français, au profit du juge suisse, et plus spécifiquement du tribunal civil de Zurich. Cette exception est rejetée par la cour d'appel de Rennes, amenant la Fédération à former un pourvoi en cassation.
On précisera dès à présent que la difficulté soulevée dans cette affaire portait sur l’application de la convention de Lugano du 16 septembre 1988 qui « a pour objet d'étendre le bénéfice des règles instituées par la convention de Bruxelles aux relations entre les pays de la CEE et ceux de l'Association économique de libre échange (AELE) » parmi lesquels la Suisse (v. Clavel). Cette convention s'applique ainsi, en matière de compétence directe, notamment lorsque le défendeur a son domicile, ou son siège d'agissant d'une personne morale, sur le territoire d'un État membre de l'AELE (Conv. Lugano, art. 54 ter).
L'application à la cause de la Convention de Lugano pour apprécier la compétence directe du juge français n'est d'ailleurs pas contestée en l'espèce. La demanderesse au pourvoi critique, en revanche, la mise en œuvre par le juge français de l'article 5-3° de la Convention pour asseoir sa compétence. Elle prétend notamment que le lieu de survenance du dommage, lorsque celui-ci est la conséquence de l'existence même d'une réglementation donnée, est celui du siège de l'organe ayant édicté cette réglementation, désignant ainsi la juridiction suisse.
Le demandeur à l'instance pouvait-il saisir un tribunal français pour obtenir réparation de son dommage prétendument subi en France, alors que celui-ci résultait de l'application d'une réglementation édictée par un organe établi en Suisse ?
En matière extracontractuelle, la convention de Lugano, comme la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, prévoit au profit du demandeur une option de compétence. Au lieu d'avoir à attraire le défendeur devant les tribunaux de l'État de son domicile, conformément à la règle traditionnelle actor sequitur forum rei, exprimée par l'article 2, alinéa 1er, des conventions précitées, le demandeur peut se prévaloir de la compétente alternative prévue par l'article 5-3°, en faveur du tribunal du « lieu où le fait dommageable s'est produit » (le règlement « Bruxelles I » ayant ajouté « ou risque de se produire »). Et cette compétence spéciale donne elle-même lieu à une nouvelle option de compétence au profit du demandeur en présence d'un délit complexe, caractérisé par la dissociation dans l'espace entre le lieu du fait générateur et celui de la survenance du dommage ; le demandeur a alors le choix entre le tribunal du lieu de l'évènement causal et celui du lieu où le dommage est survenu (CJCE 30 nov. 1976, Mines de Potasse d'Alsace), solution qui rejoint celle prévue par l'article 46 du Code de procédure civile.
C'est ce choix qui avait été exercé par le demandeur à l'instance lorsqu'il assignait son adversaire devant la juridiction bretonne du lieu où il estimait avoir subi un préjudice découlant du fait générateur localisé en Suisse. Mais une telle option ne devait pas, selon l'argumentation développée par le moyen, aboutir à retenir, comme lieu de survenance du dommage, le lieu où avaient été subies les conséquences financières du préjudice directement et immédiatement provoqué par le fait générateur (CJCE 19 sept. 1995, Marinari ; CJCE 10 juin 2004).
La Cour de cassation rejette le pourvoi en estimant que « ayant relevé que l'action [du demandeur à l'instance] tendait à soumettre au juge de la responsabilité civile de supposées pratiques anti-concurrentielles ou de prétendus actes de concurrence déloyale susceptibles de lui avoir causé en France un préjudice, lequel résultait de l'impossibilité de débuter une activité d'agent sportif à Nantes, la cour d'appel en a justement déduit que le dommage litigieux, découlant directement et immédiatement d'un fait générateur localisé en Suisse, était survenu en France de sorte que [le plaideur] pouvait saisir un tribunal français en application de l'article 5-3 de la convention de Lugano du 16 septembre 1988 ».
Civ. 1re, 1er févr. 2012, no 10-24.843, FS-P+B+I
Références
■ H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe, 4e éd., LGDJ, 2010.
■ S. Clavel, Droit international privé, coll. « Hypercours », 2e éd., Dalloz, 2010, no 320, et sur la convention de Lugano du 30 octobre 2007, version révisée en vue d'un alignement sur le règlement « Bruxelles I », no 321.
[Procédure civile]
« Le demandeur doit porter son action devant le tribunal du défendeur.
La même règle de rattachement est prévue, pour l’espace européen, par le règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (Règlement de Bruxelles I); mais elle est écartée pour certains litiges qui ne peuvent être tranchés que par une juridiction impérativement désignée sans considération de domicile, par exemple en matière de droits réels immobiliers le tribunal de l’État membre où l’immeuble est situé. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
« Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
■ Article 46 du Code de procédure civile
« Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur :
- en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ;
- en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;
- en matière mixte, la juridiction du lieu où est situé l'immeuble ;
- en matière d'aliments ou de contribution aux charges du mariage, la juridiction du lieu où demeure le créancier. »
■ Article 2 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968
« Sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État.
Les personnes qui ne possèdent pas la nationalité de l'État dans lequel elles sont domiciliées y sont soumises aux règles de compétence applicables aux nationaux. »
■ Convention de Lugano du 16 septembre 1988
Article 5
« Le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant :
1) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée; en matière de contrat individuel de travail, ce lieu est celui où le travailleur accomplit habituellement son travail, et, si le travailleur n'accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, ce lieu est celui où se trouve l'établissement qui a embauché le travailleur ;
2) en matière d'obligation alimentaire, devant le tribunal du lieu où le créancier d'aliments a son domicile ou sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une demande accessoire à une action relative à l'état des personnes, devant le tribunal compétent selon la loi du for pour en connaître, sauf si cette compétence est uniquement fondée sur la nationalité d'une des parties ;
3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ;
4) s'il s'agit d'une action en réparation de dommage ou d'une action en restitution fondées sur une infraction, devant le tribunal saisi de l'action publique, dans la mesure où, selon sa loi, ce tribunal peut connaître de l'action civile ;
5) s'il s'agit d'une contestation relative à l'exploitation d'une succursale, d'une agence ou de tout autre établissement, devant le tribunal du lieu de leur situation ;
6) en sa qualité de fondateur, de trustee ou de bénéficiaire d'un trust constitué soit en application de la loi, soit par écrit ou par une convention verbale, confirmée par écrit, devant les tribunaux de l'État contractant sur le territoire duquel le trust a son domicile ;
7) s'il s'agit d'une contestation relative au paiement de la rémunération réclamée en raison de l'assistance ou du sauvetage dont a bénéficié une cargaison ou un fret, devant le tribunal dans le ressort duquel cette cargaison ou le fret s'y rapportant :
a) a été saisi pour garantir ce paiement
ou
b) aurait pu être saisi à cet effet, mais une caution ou autre sûreté a été donnée ;
cette disposition ne s'applique que s'il est prétendu que le défendeur a un droit sur la cargaison ou sur le fret ou qu'il avait un tel droit au moment de cette assistance ou de ce sauvetage. »
« 1. La présente convention n'affecte pas l'application par les États membres des Communautés européennes de la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matières civile et commerciale, signée à Bruxelles le 27 septembre 1968, et du protocole concernant l'interprétation par la Cour de justice de ladite convention, signé à Luxembourg le 3 juin 1971, tels que modifiés par les conventions relatives à l'adhésion à ladite convention et audit protocole des États adhérents aux Communautés européennes, l'ensemble de ces conventions et du protocole étant ci-après dénommé “la convention de Bruxelles”.
2. Toutefois, la présente convention s'applique en tout état de cause :
a) en matière de compétence, lorsque le défendeur est domicilié sur le territoire d'un État contractant à la présente convention qui n'est pas membre des Communautés européennes ou lorsque les articles 16 ou 17 de la présente convention confèrent une compétence aux tribunaux d'un tel État contractant ;
b) en matière de litispendance ou de connexité telles que prévues aux articles 21 et 22 de la présente convention, lorsque les demandes sont formées dans un État contractant qui n'est pas membre des Communautés européennes et dans un État contractant qui est membre des Communautés européennes ;
c) en matière de reconnaissance et d'exécution, lorsque soit l'État d'origine soit l'État requis n'est pas membre des Communautés européennes.
3. Outre les motifs faisant l'objet du titre III, la reconnaissance ou l'exécution peut être refusée si la règle de compétence sur la base de laquelle la décision a été rendue diffère de celle résultant de la présente convention et si la reconnaissance ou l'exécution est demandée contre une partie qui est domiciliée sur le territoire d'un État contractant qui n'est pas membre des Communautés européennes, à moins que la décision puisse par ailleurs être reconnue ou exécutée selon le droit de l'État requis. »
■ CJCE 30 nov. 1976, Mines de Potasse d'Alsace, aff. 21/76, Rec. CJCE, p. 1735, concl. Capotorti ; D. 1977. 613, note Droz ; Rev. crit. DIP 1977. 563, note Bourel ; JDI 1977. 728, obs. A. Huet.
■ CJCE 19 sept. 1995, Marinari, aff. C-364/93 ; JDI 1996. 562, obs. Bischoff.
■ CJCE 10 juin 2004, aff. C-168/02, D. 2005. Pan. 1192, obs. Courbe et Chanteloup ; JCP 2005. I. 110, no 11, obs. Raynouard ; Rev. crit. DIP 2005. 326, note Muir-Watt.
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