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[ 10 janvier 2020 ] Imprimer

Introduction au droit

Conflit de lois dans le temps : rien ne sert de le résoudre à toute allure

En vertu du principe de non-rétroactivité, une loi nouvelle relative aux baux d’habitation n'est pas applicable à un congé délivré avant l'entrée en vigueur de cette loi, peu important son application immédiate aux effets futurs des contrats en cours.

Le propriétaire d'un appartement, qu'il avait loué à un couple en 2011, avait donné congé à ces derniers, le 19 décembre 2013, ces derniers ayant jusqu’au 24 juin 2014 pour s’exécuter. Ce congé avait été délivré par le bailleur conformément à l'article 15-I, alinéa 1er, de la loi du 6 juillet 1989 dans sa rédaction, à l’époque applicable, issue de la loi du 13 juin 2006, qui disposait que « lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l'inexécution par le locataire de l'une des obligations lui incombant. A peine de nullité, le congé donné par le bailleur doit indiquer le motif allégué (…) ». Ce texte avait été ultérieurement modifié par l'article 5, 5°, b de la loi du 24 mars 2014 dite « Loi ALUR », entrée en vigueur le 27 mars 2014 et permettant au juge de « vérifier la réalité du motif de congé et le respect des obligations prévues au présent article » et de « déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n'apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes ». Les locataires congédiés avaient alors entendu contester en justice, au regard de cette nouvelle disposition, la validité du congé qui leur avait été délivré. 

La cour d’appel jugea le congé valable. 

Le couple de preneurs se pourvut alors en cassation, invoquant d’une part que comme toute loi nouvelle, la loi ALUR régissait immédiatement les effets légaux des situations juridiques en cours ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées, en sorte que le nouvel article 15 issu de cette loi était applicable au congé litigieux, dans la mesure où il n'avait pas encore produit tous ses effets (fixés au 24 juin 2014) à la date d'entrée en vigueur de la loi nouvelle (27 mars 2014) ; la juridiction d’appel aurait donc dû, comme elle y était désormais habilitée, vérifier la réalité du motif du congé, dont le caractère sérieux et légitime des circonstances censées le justifier n’avait pas, en l’espèce, été établi. Ils reprochaient d’autre part, aux juges du fond d’avoir justifié l’exclusion de l’application de la loi ALUR au congé litigieux par le dispositif transitoire d’application de cette loi tel qu’il avait été ultérieurement redéfini par une loi du 6 août 2015 (L. n° 2015-990 art. 82, II), venue préciser que l'article 15, dans sa rédaction issue de la loi ALUR, s'appliquait depuis la date d'entrée en vigueur de cette nouvelle loi à l'ensemble des contrats en cours au 7 août 2015. Or les locataires soutenaient que ce dispositif transitoire ne concernait que l'article 15 dans sa version issue de la loi du 6 août 2015, et non dans celle, exclusivement applicable au litige, issue de la loi ALUR du 24 mars 2014.

Par un motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, la Cour de cassation rejette le pourvoi, jugeant l’arrêt attaqué légalement justifié par le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, interdisant d’appliquer le texte précité dans sa rédaction issue de la loi du 24 mars 2014, à un congé délivré le 19 décembre 2013, soit avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

Cette solution rendue par substitution de motifs, permettant ainsi de censurer la motivation des juges du fond mais non leur décision, autorise la Cour de cassation à confirmer la validité du congé en l’espèce délivré, en substituant un motif de pur droit à la motivation retenue par les juges d’appel. 

Rappelons déjà que la théorie moderne de l’application de la loi dans le temps repose sur un double principe, celui de la de non-rétroactivité de la loi nouvelle et celui, complémentaire mais distinct, de son application immédiate : le premier gouverne le passé, le second, l’avenir. En outre, raisonnant à partir de la notion de « situation juridique », légale ou contractuelle, cette théorie s’appuie sur une distinction entre les conditions de validité de cette situation, d’une part, et les effets de cette situation, d’autre part. La combinaison de ces règles a permis de dégager les deux solutions suivantes aux conflits de lois dans le temps : 

-        Les conditions de validité et les effets d’une situation réalisée dans le passé, soit avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, demeurent régis par la loi ancienne et ne peuvent pas, en principe, être remis en cause par la loi nouvelle, en vertu du principe de non-rétroactivité.

-        Les conditions de validité et les effets d’une situation amenée à se produire dans le futur, soit après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sont régis, en principe, par la loi nouvelle, en vertu de la règle de l’effet immédiat de la loi nouvelle. Il est cependant fait exception à l’application immédiate de la loi nouvelle en matière contractuelle : les effets futurs d’un contrat, tel qu’en l’espèce, d’un bail, demeurent régis par la loi ancienne en vertu de la règle de la survie de la loi ancienne. Cependant, il n’est pas rare que comme dans l’affaire rapportée, le législateur déroge à la survie de la loi ancienne par un dispositif transitoire soumettant à la loi nouvelle, par exception à l’exception, les effets futurs d’un contrat en cours.

En l’espèce, la cour d’appel s’était fondée sur l’impossibilité d’appliquer le principe de survie de la loi ancienne, issue du dispositif transitoire prévu par la dernière loi édictée, pour juger que la loi ALUR ne pouvait être appliquée au bail litigieux, quand bien même le congé n'avait pas produit l’ensemble de ses effets à la date d'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Ainsi s’était-elle centrée sur la question des effets de la situation juridique contractuelle considérée, alors que le problème posé portait exclusivement sur les conditions de sa validité, comme en attestait l’objet même de la demande des preneurs, formée en contestation de la « validité » du congé. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation statue sur la seule règle en l’espèce applicable, le principe de non-rétroactivité, en vertu duquel la loi nouvelle n’a pas d’effet sur les conditions de validité d’une situation juridique, légale comme contractuelle, passée ; par conséquent, pour ce seul motif, le bailleur n'avait pas à justifier auprès d’un juge du caractère réel et sérieux de son congé, au sens de la loi ALUR, qui n'avait été promulguée qu'après sa délivrance. Autrement dit, le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle, notamment aux effets à venir et non encore produits d’un contrat antérieurement conclu, ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce. La substitution de motifs opérée par la Cour lui permet ainsi de maintenir le sens de la décision attaquée, dont la cassation devait être évitée dès lors que la validité du congé litigieux devait être constatée, mais d’en corriger la justification.

Civ. 3e, 19 déc. 2019, n° 18-20.854

Référence

■ Fiches d’orientation Dalloz : Application de la loi dans le temps

 

Auteur :Merryl Hervieu

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