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[ 12 décembre 2013 ] Imprimer

Droit des successions et des libéralités

Conformité à la Conv. EDH de la renonciation amiable à la succession par un enfant né hors mariage

Mots-clefs : Successions, Égalité des filiations, Rétroactivité de la loi, Transaction

Après avoir constaté qu'en vertu de deux actes préparatoires au partage, les héritiers avaient convenu de procéder au règlement de la succession conformément au régime antérieur à celui issu de la loi du 3 décembre 2001, et en connaissance de la teneur de l'arrêt Mazurek du 1er février 2000 de la CEDH regardant les anciennes dispositions comme incompatibles avec celles combinées des articles 1er du 1er protocole additionnel à la Conv. EDH et 14 de cette Convention, la cour d'appel en a exactement déduit que l'accord amiable ainsi intervenu, à l'occasion duquel le demandeur avait, en connaissance de cause, renoncé à une partie de ses droits dans la succession, devait recevoir application, conformément aux dispositions de l'article 25 II, 2° de ladite loi.

En conséquence de la jurisprudence Mazurek (CEDH 1er févr. 2000), la loi du 3 décembre 2001 a abrogé les textes issus de la loi du 3 janvier 1972 (C. civ., art. 760, 915, 908 anc.) réduisant les droits successoraux des enfants « adultérins » venant à la succession en concours avec des enfants « légitimes », pour établir généralement et définitivement l'égalité successorale des descendants.

Afin de promouvoir cette égalité, cette loi contient une disposition transitoire, l’article 25-II-2° disposant que « sous réserve des accords amiables déjà intervenus et des décisions judiciaires irrévocables, seront applicables aux successions ouvertes à la date de la publication de la présente loi au Journal officiel de la République Française et n'ayant pas donné lieu à partage avant cette date ». Ainsi, les nouveaux droits successoraux des enfants adultérins issus de la loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001 sont applicables aux successions qui n'ont pas donné lieu à un partage complet avant le 4 décembre 2001, sauf à celles ayant déjà fait l'objet d'un accord amiable ou d’une décision judiciaire irrévocable.

En l’espèce, un père, décédé le 1er janvier 2001, laissa pour lui succéder sa veuve, leurs deux enfants et un enfant né d’une relation hors mariage. Par deux actes transactionnels datés du 3 mai et du 29 juin 2001, les héritiers avaient convenu de procéder au partage successoral conformément aux dispositions des articles 759 et 760 du Code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi du 3 décembre 2001, les deux enfants « légitimes » recevant chacun cinq douzièmes de l’actif net, l’enfant né hors mariage n’en recevant que deux.

Celui-ci poursuivit alors l’annulation du partage intervenu le 23 juillet 2001. La cour d’appel s’y opposa, après avoir constaté qu'en vertu des deux actes préparatoires au partage, les héritiers avaient choisi de procéder au règlement de la succession conformément au régime antérieur et en connaissance de la teneur de l'arrêt Mazureck qui en avait dénoncé l’incompatibilité avec les dispositions combinées des articles 1er du 1er protocole additionnel à la Conv. EDH (Protection de la propriété) et 14 de cette convention (Interdiction de discrimination ).

Cette analyse est confirmée par la Cour de cassation, jugeant que la cour d'appel en a exactement déduit que l'accord amiable ainsi intervenu, à l'occasion duquel le demandeur avait, en connaissance de cause, renoncé à une partie de ses droits dans la succession, devait recevoir application, conformément aux dispositions de l'article 25 II, 2° de la loi du 3 décembre 2001.

Claire a priori, la disposition transitoire prévue par la loi du 3 décembre 2001 ne cesse cependant pas de susciter des difficultés d’application.

La Haute cour avait déjà dû régler le problème de son articulation avec l’article 14 alinéa 2 de la loi de 1972, que la loi de 2001 avait omis d’abroger, selon lequel « les droits successoraux institués par la présente loi ou résultant des règles nouvelles concernant l'établissement de la filiation ne pourront être exercés dans les successions ouvertes avant son entrée en vigueur (1er août 1972) ». Aussi, la Cour de cassation avait dû répondre à la question de savoir si l'article 25-II-2° de la loi de 2001 devait prévaloir sur l'article 14 de la loi de 1972 pour reconnaître aux enfants adultérins le droit de se prévaloir de leurs nouveaux droits successoraux dans des successions antérieurement ouvertes, même avant le 1er août 1972, dès lors que celles-ci n'avaient pas encore été partagées au 4 décembre 2001. Elle y avait répondu par l'affirmative en généralisant l'application de l'article 25-II-2° (Civ. 1re, 14 nov. 2007 ; Civ. 1re, 15 mai 2008).

Dans la décision rapportée, la question de savoir si le partage réalisé était complet au 4 décembre 2001 ne posait pas de difficultés particulières, les juges du fond ayant constaté qu’il le fut le 23 juillet 2001, soit antérieurement au 4 décembre 2001. En l’espèce, la discussion portait sur la transaction intervenue pour réaliser le partage, et plus spécialement sa conformité aux dispositions précitées de la Conv. EDH ; pour bénéficier de la rétroactivité prévue à l’article 25-II-2°, l’héritier lésé avait en effet tenté d’en contester la validité en dénonçant, notamment, l’inconventionnalité de ses termes, discriminatoires.

Son pourvoi fut logiquement rejeté, la disposition transitoire réservant expressément le cas, soustrait au bénéfice de la rétroactivité légale, « des accords amiables déjà intervenus », comme ceux par lesquels une des parties renonce à une fraction de ses droits dans la succession, ce que la loi autorise.

Cette réserve légale, conjuguée à celle des « décisions judiciaires irrévocables », se comprend à l’aune de l’autorité de la chose jugée en dernier ressort des transactions (C. civ., art. 2052), qui signifie que la chose jugée est tenue pour la vérité : Res judicita pro veritate habetur.

Même discriminatoire, la transaction passée devait donc être exclue du champ de la rétroactivité que la loi limite aux cas de successions déjà ouvertes n’ayant pas donné à un partage complet ni fait l’objet d’une décision judiciaire irrévocable, et celles sur lesquelles les héritiers n’ont pas transigé. La cour prend enfin soin d’insister sur le fait que l’héritier avait renoncé à ses droits en connaissance de cause pour justifier l’inapplicabilité en la cause de l’article 2053 du Code civil, autorisant la rescision de la transaction en cas d’erreur sur l’objet de la contestation.

Civ. 1re , 20 nov. 2013, n°12-23.118

Références

■ CEDH 1er févr. 2000, Mazurek, n°34406/97.

■ Civ. 1re, 14 nov. 2007, n° 06-13.806 ; RTD civ. 2008. 90, note Hauser.

■ Civ. 1re, 15 mai 2008, n° 06-19.331 ; RTD civ. 2008. 708, obs. Grimaldi.

■ Code civil

Ancien article 759

« Les enfants naturels dont le père ou la mère était, au temps de leur conception, engagé dans les liens du mariage avec une autre personne, n'excluent pas celle-ci de la succession de leur auteur, lorsque, à leur défaut, elle y eût été appelée par application des articles 765 et 766 ci-dessous. 

En pareil cas, ils ne recevront, quel que soit leur nombre, que la moitié de ce qui, en leur absence, aurait été dévolu au conjoint selon les articles précités, le calcul étant fait ligne par ligne. 

La répartition de la succession se fixe d'après l'état des vocations héréditaires au jour du décès, nonobstant toutes renonciations ultérieures. »

Ancien article 760

« Les enfants naturels dont le père ou la mère était, au temps de leur conception, engagé dans les liens d'un mariage d'où sont issus des enfants légitimes, sont appelés à la succession de leur auteur en concours avec ces enfants ; mais chacun d'eux ne recevra que la moitié de la part à laquelle il aurait eu droit si tous les enfants du défunt, y compris lui-même, eussent été légitimes. 

La fraction dont sa part hériditaire est ainsi diminuée accroîtra aux seuls enfants issus du mariage auquel l'adultère a porté atteinte ; elle se divisera entre eux à proportion de leurs parts héréditaires. »

Article 2052

« Les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort. 

Elles ne peuvent être attaquées pour cause d'erreur de droit, ni pour cause de lésion. »

Article 2053

« Néanmoins, une transaction peut être rescindée lorsqu'il y a erreur dans la personne ou sur l'objet de la contestation. 

Elle peut l'être dans tous les cas où il y a dol ou violence. »

■ Article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme - Interdiction de discrimination 

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

■ Article 1er du 1er Protocole à la Convention européenne des droits de l’homme - Protection de la propriété

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. 

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

■ Article 25 de la loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001

« I. - La présente loi entrera en vigueur le premier jour du septième mois suivant sa publication au Journal officiel de la République française, à l'exception :

- de l'article 763 du code civil dans sa rédaction issue de l'article 4 ;

- des articles L. 132-2, L. 132-7 et L. 132-18 du code des assurances dans leur rédaction issue des articles 5 et 7 et des articles L. 223-9 et L. 223-18 du code de la mutualité dans leur rédaction résultant de l'article 6 ;

- de l'abrogation de l'article 1481 du code civil et de la suppression de la dernière phrase de l'article 1491 du même code résultant des II et III de l'article 15 ;

- de l'abrogation des dispositions du même code relatives au droit des enfants naturels dont le père ou la mère était, au temps de la conception, engagé dans les liens du mariage, résultant de l'article 16 et de la nouvelle rédaction des articles 759 à 764 opérée par les articles 3 et 4 ;

- des dispositions du second alinéa de l'article 1527 du même code, dans sa rédaction issue de l'article 17 ;

- des dispositions prévues aux articles 22 à 24.

II. - La présente loi sera applicable aux successions ouvertes à compter de la date prévue au I, sous les exceptions suivantes :

1° L'article 763 du code civil dans sa rédaction issue de l'article 4 et l'article 15 de la présente loi sera applicable aux successions ouvertes à compter de la publication de celle-ci au Journal officiel de la République française.

2° Sous réserve des accords amiables déjà intervenus et des décisions judiciaires irrévocables, seront applicables aux successions ouvertes à la date de publication de la présente loi au Journal officiel de la République française et n'ayant pas donné lieu à partage avant cette date :

- les dispositions relatives aux nouveaux droits successoraux des enfants naturels ;

- les dispositions du second alinéa de l'article 1527 du code civil dans sa rédaction issue de l'article 17.

3° Les causes de l'indignité successorale sont déterminées par la loi en vigueur au jour où les faits ont été commis.

Cependant, le 1° et le 5° de l'article 727 du code civil, en tant que cet article a rendu facultative la déclaration de l'indignité, seront applicables aux faits qui ont été commis avant l'entrée en vigueur de la présente loi. »

 

Auteur :M. H.


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